Publié le: 12 août 2016

Chronique d’une rupture de stock

distillerie – Jean-Pierre Morand répond aux questions qui se posent suite à trois mauvaises récoltes d’abricots en Valais. 
La concurrence étrangère est féroce dans les eaux-de-vie et cette entreprise familiale parle du «tsunami» vécu ces dernières années.

Le communiqué a claqué comme un coup de tonnerre dans un contexte déjà difficile pour les produits suisses. «Après trois mauvaises récoltes d’abricots luizet, la Distillerie Morand se retrouve en rupture de stock pour l’‹Abricotine AOP›.» Elle espère reprendre les livraisons aussi vite que possible durant l’automne. La famille Morand explique avoir renoncé à produire son eau-de-vie à partir de fruits étrangers, invoquant le respect pour la ligne suivie par la maison depuis sa fondation en 1889. La question cruciale, c’est comment ne pas se faire prendre sa place… Interview de Jean-Pierre Morand, administrateur délégué de la Distillerie Morand.

Journal des arts et métiers: Sur l’Abricotine, quelle va être votre stratégie pour ne pas perdre des parts de marché?

n Jean-Pierre Morand: Le risque est évident que l’espace laissé par l’«Abricotine AOP» soit occupé par des eaux-de-vie faites à partir de fruits étrangers déjà souvent servies faussement comme de l’Abricotine. Il faudra ensuite reconquérir le terrain. Dans une première phase, nous mettons en avant, les produits dont nous disposons encore, comme l’«Abricot cœur», l’Abricotine très haut de gamme et la «Douce de Abricot». Nous rappelons aussi que l’alcool AOP du Valais le plus emblématique est la «Williamine». Nous espérons qu’une attente a été créée que l’on voudra revenir au produit authentique, dès qu’il sera disponible. L’annonce a créé la conscience du fait que l’abricot luizet est unique et qu’il n’est pas assuré. Si cela aide à ce que les clients et les prescripteurs se rendent compte qu’il y a autant de différence entre une Abricotine et une eau-de-vie d’abricot non AOP qu’entre une Arvine et du Veltliner, alors l’épreuve difficile que nous traversons aura servi à quelque chose.

 

Quelle est la situation financière et commerciale de votre société?

nChaque branche a pour habitude de dire qu’elle fait face à des difficultés. Je ne souhaite simplement à personne de devoir affronter le «tsunami» que les alcools produits à base de fruits suisses ont vécu ces dernières années. Avec une base solide et une marque forte comme la «Williamine», la Distillerie a pu jusqu’ici maintenir sa position, alors que beaucoup de producteurs ont disparu. Tout cela n’a rien d’évident. Notre objectif est de relancer en valorisant l’eau-de-vie comme le produit qui incarne au plus fort le terroir (12 kg de fruits par litre et 20 kg pour les «cœur») et en diversifiant les modes de consommation. Nous développons aussi nos sirops, en très forte progression ainsi que les tisanes et épices, à travers la marque Saint-Bernard acquise en 2015.

 

Comment les différents marchés ont-ils évolués depuis 2012?

nL’eau-de-vie sous sa forme traditionnelle continue à être sous pression. Les «Douce de» et les nouvelles propositions comme le «prémix café sWiss Rock» progressent et ont du potentiel. Les «cœur» suscitent l’enthousiasme et apportent clairement un nouveau de palier très haut de gamme. Il faudrait pouvoir les appuyer avec des moyens marketing dont nous ne disposons pas. Il faut donc viser à un développement organique plus lent.

 

Comment avez-vous négocié le passage au franc fort?

nLe coup a porté sur le volume et des marges déjà limitées. Nous avons partagé l’effort avec nos distributeurs et avons passé à une tarification en euro. Ceci étant, la Suisse doit prendre conscience que vendre des produits avec des fruits trois fois plus chers est de moins en moins évident. Ce serait aussi une raison pour que, chez nous, les cafetiers restaurateurs aient un pincement de conscience plus fort, lorsqu’ils servent un sorbet «valaisan» 100% étranger... La Suisse est notre marché potentiel le plus grand!

 

Quels ont été les résultats de la stratégie pour l’hôtellerie-restauration que vous aviez présentée en 2012?

nElle se poursuit et se développe. Le «sWiss Cocktail service» est un vrai succès. Nos moyens d’action sont limités et cela prendra du temps. Je me répète: le soutien de la branche dans la proposition est essentiel. On admire l’Autriche. On y propose pas fièrement pour commencer une Grappa et il y a plusieurs Williams sur les cartes, pas que des whyskies.

 

En plus de ses autres mandats dans le tourisme et comme directeur de la société Rostal SA rachetée par Louis Morand & Cie SA, Fabrice Haenni, le directeur de la Distillerie, a-t-il assez de temps à consacrer à Morand & Cie?

nCes engagements sont secondaires. M. Haenni a un engagement remarquable pour la Distillerie. Il empoigne les dossiers et les mets en œuvre. De plus, nous travaillons main dans la main. Nous avons plus avancé depuis une année que durant les cinq dernières.

 

Quelle est votre position sur l’évolution des coûts de la réglementation ?

nNous sommes un secteur fortement réglementé par «tradition», alors ce n’est pas notre souci principal…

 

Quelle est votre position sur l’initiative «AVSplus», qui prévoit une augmentation de 10% des rentes AVS?

nNous sommes forcés à travailler sur une réduction des charges. Cette initiative ne va pas dans le bon sens.

Interview: Othenin-Girard

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