Publié le: 13 mai 2016

Ils faisaient du numérique sans le savoir!

sensile technologies – Basé à Morges, le télémètre des pétroliers est leader mondial sur le marché de la lecture du niveau des citernes. L’utilisation rationnelle de ces données permet entre autres d’économiser un tiers des coûts de logistique. Bon à prendre!

«Nous faisions du cloud computing au début des années 2000, raconte Cédric Morel, directeur de Sensile Technologies. Mais depuis que cela s’appelle du cloud computing, le soleil brille encore plus fort pour nous!» Ses appareils dispersés dans le monde entier auprès des plus grandes compagnies pétrolières ont à peu près tout vécu. Leurs batteries tiennent 7 ans (au minimum), des grands froids sibériens à moins 40°C) jusqu’au record de température enregistré à Oman (57°C). Interview à Morges.

Journal des arts et métiers: Oserais-je vous demander de vous présenter aux lecteurs du Journal des arts et métiers?

n Cédric Morel: Je suis le directeur de Sensile Technologies. Notre société fournit une solution pour optimiser la logistique des produits pétroliers. Nous avons développé un matériel qui est installé sur des citernes de produits pétroliers, qu’il s’agisse de gaz, de mazout, de lubrifiants, de carburants. Nous pouvons mesurer le niveau qu’il y a dans ces citernes et transmettre ces informations sur une solution cloud, de sorte que le livreur de produits pétroliers puisse décider en tout temps quel est le moment optimum pour livrer ce client. Aujourd’hui, nous avons installé 60 000 systèmes qui tournent dans 60 pays.

Qu’est ce qui caractérise l’évolution de votre société au cours des dernières années, prenons depuis 2008?

n Depuis, nous avons presque triplé le parc que nous avions, même un peu plus. Nous sommes partis sur tous les continents. En développement de produit, nous avons franchi une étape dès 2009 avec la nouvelle génération d’unités de télémétrie. Nous y avons intégré tout le design de l’équipement pour faciliter l’installation des boitiers – car finalement le coût du technicien est important dans la solution. Notre but ultime, c’est de faciliter encore la tâche du technicien pour que cela soit de plus en plus simple. Au final, tout un chacun pourra poser ces boitiers. Donc par rapport à 2008, c’est le même fonctionnement. C’est juste encore plus simple. Il y a moins de câbles à connecter et plus de moyens de vérifier si on fait les choses correctement.

Comment récoltez-vous les données?

n Il y a toujours un capteur au fond de la citerne et une unité à l’extérieur qui envoie des SMS. Maintenant, pour l’installer, il n’y plus besoin de connecter la batterie, comme autrefois. Il suffit de passer un aimant. Avant d’en arriver au stade où tout un chacun installera nos appareils, ce seront les chauffeurs qui le feront. A commencer par le domaine du gaz, car le montage est plus simple en raison du type de capteur utilisé.

Est-ce de la musique d’avenir?

n De la musique de demain. Les chauffeurs font déjà les changements de pile. Les installations, ils les feront bientôt.

Vous avez développé cette clientèle de gérance. Les produits sont-ils les mêmes?

n Oui, mais nous vendons les produits aux pétroliers et eux les revendent aux gérances. Notre business modèle est vraiment orienté pétrolier et gazier. Selon notre point de vue, c’est eux qui doivent l’offrir à leur client. Nous ne sommes jamais allés les vendre directement aux régies. Donc nous vendons directement à des pétroliers ou à des distributeurs qui revendent à des pétroliers.

Dans quel pays se situe pour vous le marché des gérances?

n Principalement en Suisse. Un peu en Allemagne et en Autriche.

Qui sont donc vos clients actuellement?

n Tous les groupes pétroliers et gaziers mondiaux. Il y avait beaucoup de Shell à l’époque. Aujourd’hui, ce groupe a vendu ses activités downstream, toutes les entités qui viennent après la raffinerie. Donc il s’agit d’autres noms qui sont peut-être moins connus du public. Aujourd’hui, en Suisse, nous travaillons avec Eni, Vitogaz, Socar, Shell... Nos clients distributeurs en ont toute une série. Au niveau global, il existe un grand groupe qui a racheté beaucoup d’activités de Shell et qui s’appelle DCC Energy. Cette société irlandaise possède beaucoup de nos clients, des ex-entités Shell rachetées. Ils ont repris Butagaz et aussi quelques entités de Statoildans le Nord… C’est en raison de nos avancées dans le Nord que nous avons reçu l’Export Award en 2014 de Switzerland Global Entreprise.

Que voulait dire pour vous la numérisation avant que cela ne devienne un thème si largement partagé?

n C’est passer une transmission d’informations. Cela se faisait d’une manière ou d’une autre. Avant, le concierge devait, une fois par semaine ou par mois, aller mesurer le niveau de la citerne et noter le résultat sur un bout de papier. Il appelait la régie pour leur dire combien il en restait. La régie reportait cela sur un tableau et en faisait de même pour tous ses immeubles. Puis, elle appelait ses fournisseurs pour leur faire part des besoins, 3000 litres ici, 8000 là-bas. Aujourd’hui, il n’y a plus de jaugeage manuel, ni papier. La jauge est installée sur la citerne.

Quelle est votre valeur ajoutée dans la chaîne pétrolière?

n Notre rôle consiste à faire remonter l’information directement au pétrolier. Soit il décide selon son contrat de livrer quand il le faut et sans avertir qui que ce soit. Donc il livre et envoie une facture. Soit il fait une offre en rappelant que l’on sera bientôt à sec dans les deux prochaines semaines et qu’il fera une tournée dans cette région. Cette remontée d’information permet d’être plus efficace. Cela évite les appels, les erreurs humaines très fréquentes, lorsque les gens notent des chiffres sur un bout de papier. Les plaintes viennent dans 95% des cas d’une mauvaise mesure. Tout cela, c’est ­fini! On arrive pour terminer à une optimisation de la logistique. Ils n’arrivent pas trop tard. Ils livrent au bon moment avec la bonne quantité. Et au final, nos clients économisent 30% de frais de logistique. Sur les sites qui sont équipés, ils réduisent leurs livraisons de 30%. Sans vendre moins, car la consommation est la même. Cela fait 30% de camions-citerne en moins. 30% d’émissions de CO2 en moins. 30% de risques d’accidents en moins. Parce que chaque camion-citerne qui roule sur la route génère un risque. Si on peut réduire ces risques, c’est un gain significatif pour tout le monde!

Avez-vous encore une grande marge de progression ou bien devez-vous songer à vous diver­sifier?

n La marge est encore importante. Chez nos clients, nous équipons seulement 5 à 10% de nos citernes en moyenne. Ce qui correspond bien entendu aux citernes avec le plus de livraisons. En premier lieu, ils ont équipé des clients qui sont de grands consommateurs, parce que le rendement est meilleur. Pour toucher les autres clients, il faut un système qui coûte encore moins cher à l’installation, donc qui soit installé plus facilement. Ces petits clients, jusqu’au particulier, deviendront alors rentable. C’est une question d’années avant que cela soit faisable.

Quelle est la différence entre vos produits et les petits boitiers que l’on colle à l’extérieur des citernes pour les eaux usées sur les voiliers?

n Cela n’a rien à voir, car les données ne sont pas envoyées pour être ­sauvegardées. C’est un système assez basique que j’ai vu chez les Suédois. Notre technologie est installable partout. Un petit boitier comme vous le décrivez ne peut pas, par exemple, être installé sur une citerne enterrée puisqu’on doit pouvoir le voir en permanence. La technologie qu’on a peut être posée sur n’importe quelle citerne, n’importe où dans le monde. Pas besoin d’avoir un accès à l’extérieur de la citerne, ni une vue sur celle-ci. Il suffit d’une ouverture pour entrer le capteur, même de manière déportée ou enterrée.

Comment cela fonctionne-t-il?

n Donc le capteur de pression est plongé au fond de la citerne. Nous l’achetons chez Huba Control. Et voici (photo ci-dessus) notre boitier de dernière génération, NETRIS 2, qui est connecté au capteur. A l’intérieur, un module GSM, un pack de piles, une connexion pour le capteur et une carte SIM. Il y a peu, Swisscom a fait une annonce sur l’Internet des objets. Il se crée des réseaux parallèles aux réseaux GSM qui s’appellent des Low Power Work Wide Area Network (LPWAN), des réseaux de communication radio à plus basse puissance que le GSM, qui permet de prendre une plus petite batterie et de durer plus longtemps.

Combien de temps dure votre batterie?

n C’est la grande question que nous examinons ces temps. Notre but, c’est sept ans, en transmettant tous les jours, contre trois à cinq ans actuellement, suivant la fréquence des transmissions.

Allez-vous vous diversifier?

n Cela viendra en son temps. Nous avons en effet pas mal de demandes d’autres secteurs.

Interview François Othenin-Girard

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