Publié le: 8 juillet 2016

Le courage de s’opposer à l’inutile

Philippe Nantermod – Ecrasées par les coûts réglementaires, les PME ne peuvent pas s’en sortir face à l’Etat. Le radical valaisan se montre favorable à leur examen par un organe indépendant.

Journal des arts et métiers: Les coûts de la réglementation pèsent de plus en plus lourd sur les PME suisses et le Conseil fédéral ne bouge pas, alors qu’il s’était engagé sur cette question. Quelle issue politique voyez-vous à cette question pour les PME de ce pays?

n  Philippe Nantermod: Notre problème semble insoluble. L’administration fait parfois un petit effort, mais elle tend à augmenter systématiquement la densité normative. Il y a donc toujours plus de règles. Je vais être un peu douloureux dans ma réponse. Le seul moyen, c’est d’avoir moins d’administration. Or cela passe par des coupes budgétaires fortes pour qu’elle ait moins de moyens d’être pénible. En Valais, un service devait contrôler certains produits chimiques. Une année, un type de contrôles est devenu inutile. Ils ont donc inventé de nouvelles tâches. L’administration s’autoalimente tant qu’elle a des budgets à disposition.

 

Comment lutter contre les coûts de la réglementation?

n  En modifiant les lois si ces dernières ne permettent pas de réduire le nombre de tâches. Si vous voulez couper des postes à la Régie fédérale des alcools, elle invoquera la loi qui rend ces contrôles obligatoires. Si vous coupez dans l’Office fédérale des transports, il y aura peut-être moins de fonctionnaires qui surveilleront les employés des remontées mécaniques pour s’assurer que le personnel a bien pris son dimanche de congé au mois de février.

«l’administration nous rend méfiants. On se méfie du fait qu’elle veuille trop en faire.»

 C’est totalement idiot d’arrêter de travailler à cette période dans la branche touristique! Je plaide pour le courage de voter afin d’éviter de créer des lois. Trop souvent, on met en valeur le travail parlementaire par les lois qu’on adopte. Je me réjouis à l’idée d’être représenté par un petit confetti rouge sur le tableau du vote final à Berne!

 

Que pensez-vous de la motion PLR intitulée «Réduction de la bureaucratie. Faire analyser les coûts de la réglementation par un organe indépendant»?

n  J’y suis favorable! C’est triste de devoir en arriver là, mais nécessaire. En Valais, nous étions déjà très bureaucratiques. Avec l’administration fédérale, on vole à des kilomètres au-dessus en matière de bureaucratie inutile. J’ai vu des fonctionnaires fédéraux se déplacer en Valais pour réaliser un audit sur une affaire de publicité qui ne convenait pas. Après des heures de discussion, d’échanges d’e-mails, pour une valeur de 500 francs et une amende de 150, ils ont déplacé un type jusqu’en Valais. Et l’amende a été abandonnée. Je n’avais jamais vu une chose pareille! La lourdeur de l’administration nous rend méfiants. Qu’elle veuille trop en faire avec du «Swiss finish» partout. Une bonne administration devrait être invisible, tout faire pour s’effacer et disparaître.

 

A cela s’ajoute le boulet des charges administratives. Comment les PME peuvent-elles s’en sortir?

n  Les PME seules ne peuvent pas s’en sortir face à l’administration. De plus, cette dernière tend à se calquer sur les gros plutôt que sur les petits.

«Le cadre légal est adapté aux gros. On va vers un modèle à la française!»

Voyez le rapport de la Finma sur les établissements financiers. Ils ont pris le pouls du terrain auprès des plus grandes banques, sans écouter les petits gestionnaires de fortune et encore moins les clients! Le cadre légal est adapté aux gros. On va vers un modèle à la française, avec des champions nationaux, des regroupements, des grosses structures. On ne devrait pas prendre les grandes entreprises comme étalon pour fixer le niveau de normes de l’administration fédérale.

 

Comment simplifier la vie des PME en matière de bureaucratie ?

n  Il faut renforcer les droits de PME face à la justice. On a la chance en Suisse d’avoir des tribunaux qui sont efficaces. Le Tribunal fédéral traite ses dossiers pour la plupart en 130 jours. En Belgique, c’est six ans! Donc le système fonctionne bien. Or il y avait une proposition dans la révision de la loi sur les cartels qui consistait à élargir le droit d’action des personnes concernées. Et aussi de tenir compte des mesures prises par l’entreprise pour améliorer la concurrence. Toutes ces mesures figuraient dans la révision de la loi sur les cartels et elles n’étaient pas contestées. On devrait les réintroduire dans une révision light.

 

En parallèle, les PME doivent affronter les enjeux de la numérisation. Sont-elles préparées?

n  Le plus important, c’est que l’Etat ne mette pas de bâton dans les roues des entreprises. Qu’il ne se mette pas, sous couvert de protection sociale, de mœurs publiques, d’empêcher les entreprises d’innover, de s’adapter aux nouvelles conditions. J’espère qu’en Suisse des entreprises vont proposer des services très concurrentiels à leurs clients et que personne ne se mettra en tête de les empêcher d’exercer au nom de la concurrence. Il faut toujours proposer le meilleur à sa clientèle et essayer de dépasser son concurrent. L’Etat ne doit pas se demander comment les PME doivent se préparer, c’est à elles de le faire. Il doit plutôt se demander comment réduire les normes qui les empêchent de se développer.

 

Quelle est votre position sur Uber?

n  On parle souvent de la guerre qui fait rage entre les taxis et Uber. J’ai déposé une motion pour abolir une ordonnance sur le trafic routier professionnel. Cette ordonnance aurait pour conséquence de rendre Uber illégal sur le sol suisse, ce qui provoquerait des amendes.

«Uber: de toute façon cette concurrence est inéluctable.»

D’autre part, les taxis seraient contraints d’appliquer des normes des années 1950, un permis professionnel absurde depuis que le GPS existe, une bureaucratie folle, des horaires de travail absurdes. Si vous dormez cinq heures dans votre taxi, parce qu’il n’y a pas de clients, on considère que c’est du travail. Cette loi empêche les taxis de proposer un service concurrentiel face à Uber qui déferle sur le pays. Ce faisant, on empêche aussi Uber de réagir. On peut continuer dans l’absurdité et de toute façon cette concurrence est inéluctable. Mais il vaudrait mieux abroger cette loi, introduire quelque chose de plus libéral. Et que le meilleur gagne! Tout le monde sera content, il y aura plus de courses de taxi et des services de meilleure qualité.

 

Comment le monde politique réagit-il? En est-on conscient à Berne?

n  Le Conseil fédéral a accepté ma motion. Je ne vois que la gauche syndicale de Jean Christophe Schwaab (PS/VD) pour s’y opposer, au motif que c’était mieux avant! Cette motion est soutenue par Taxi Suisse et par Uber, par de nombreux clients qui ont tout à y gagner.

«L’état n’est pas là pour verrouiller votre véhicule ou installer une grille dans votre jardin.»

En tant que libéral, je pense que la numérisation est un changement de fond qu’il faut accepter tout en redonnant aux gens une vraie liberté de commerce et d’entreprendre. Cela ne sert à rien de mettre les pieds contre le mur en espérant revenir aux années 1990.

 

Que pensez-vous du point de vue de l’administration fédérale?

n  Qu’elle donne l’impression que dès que quelque chose figure dans une loi, cela devient légitime. Mais elle confont «légalité» et «légitimité». C’est un gros problème de la politique à Berne. Il est peut-être légal d’interdire Uber, mais illégitime de m’empêcher de monter dans n’importe quelle voiture et de payer dix balles à la fin de la course. Cela ne regarde que le chauffeur et moi. Cette dichotomie se retrouve dans la bureaucratie. Un fonctionnaire prétend qu’il a le droit de venir vous contrôler vingt fois par année, d’examiner tous vos papiers et vous faire perdre la journée, trois fois par mois, juste parce que c’est dans la loi. Au fond, quand on veut lutter contre la bureaucratie, c’est parce que l’on pense que c’est illégitime.

 

Est-ce que la sécurité informatique est une tâche d’Etat?

n  J’ai un peu de peine avec l’idée qu’un individu mette en place un réseau informatique et qu’ensuite ce soit à l’Etat de le sécuriser. L’Etat assure une sécurité générale, il ne met pas un policier à chaque carrefour. L’Etat a un rôle à jouer pour la répression et la prévention. Mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’il prenne à sa charge la sécurisation des parcs informatique. De la même manière, l’Etat n’est pas là pour verrouiller votre véhicule ou installer une grille dans votre jardin. Ce n’est pas à lui de s’occuper du firewall de votre entreprise. A force de faire une fixation sur la sécurité informatique, on oublie à quel point il est facile de se faire voler de simples documents papier. Chez soi, au bureau et à l’administration fédérale, il y a toujours une faille.

 

Propos recueillis par François Othenin-Girard

 

Trajectoire

A la tête de l’USPI

Philippe Nantermod étudie au Collège de l’Abbaye à St-Maurice où il obtient une Maturité en 2003. Il poursuit ses études en Droit à l’Université de Lausanne, qu’il enchaîne avec un stage d’avocat à Sion. Il obtient son brevet en juin 2012.

Au plan politique, il est député au Grand Conseil valaisan depuis 2013 et élu au Conseil national en 2015. Depuis avril dernier, il est également vice-président du PLR suisse. Devenu récemment président de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI), il succède au Genevois Hugues Hiltpold.

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