Publié le: 8 juillet 2016

Le pouvoir des familles sous la loupe

recherche – Emilie Gachet, macro-économiste au CS, explique comment les dynamiques familiales influencent les successions.

Transmission intra- ou extra-familiale: l’étude présentée par Credit Suisse (lire ci-contre) analyse également en détail la façon dont les structures et les dynamiques familiales influencent le processus de succession, ses formes de succession, le choix de cette forme. Interview d’Emilie Gachet (Senior Economist Analyse sectorielle Suisse au Crédit Suisse).

JAM: Comment les PME familiales choisissent-elles leur repreneur?

n Emilie Gachet: La question du repreneur est l’une des premières qui se posent lors d’un règlement de succession, qu’il s’agisse d’une succession intra-familiale (Family buy out, ou FBO), d’une reprise par les collaborateurs (Management buy out, MBO) ou des personnes externes à l’entreprise (Management buy in, ou MBI), voire une vente à une autre entreprise ou société de participation.

A qui veulent-ils transmettre?

nNotre étude montre qu’avant la mise en œuvre effective, 41% des sondés souhaiteraient céder leur société à des membres de la famille, 25% éliraient leurs collaborateurs (MBO), 17% prendraient des tiers (MBI) et 21% opteraient pour le vent du large, en l’occurrence le rachat par une autre entreprise. Par rapport à 2013, toutes les formes ont été citées plus fréquemment. Cette année, nous avons plus de réponses multiples, ce qui montre que les gens sont moins certains et cochent plusieurs solutions. Toutefois, les projets extra-familiaux ont légèrement gagné en importance depuis le dernier sondage.

Et Ă  qui la transmettent-ils dans les faits?

nSur les successions réalisées, le cadre familial représente 46% (MBO: 25% et MBI: 30%). Mais ces chiffres ne sont pas comparables pour des raisons méthodologiques. Ce que l’on peut en tirer, c’est que la vente à des tiers (MBI) intervient bien plus souvent dans la réalité que ce qui était prévu ou souhaité.

Comment l’influence familiale détermine le choix du repreneur?

nElle est très importante. L’étude observe que 53% des PME qui ne comptent pas de membres d’une même famille parmi les propriétaires finissent par choisir un MBO. Cette part tombe à 31% si des membres d’une même famille sont en partie propriétaires. Et si les propriétaires ou la direction se compose exclusive­ment de membres d’une même famille, le choix d’un MBO n’atteint que 16%. A l’inverse, les entreprises purement familiales choisissent majoritairement un FBO.

Comment les liens de parenté influencent-ils la succession?

nLa volonté de conserver l’entreprise dans la famille s’avère en effet la plus marquée lorsque des parents avec leurs enfants se trouvent parmi les propriétaires, et également lorsqu’il y a des frères et des sœurs. Par contre, cette intention est moins forte si le cercle des propriétaires n’est composé que de conjoints. Donc l’existence de descendants déjà associés à la propriété semble être un facteur important dans la succession d’entreprise.

Comment le prix est-il influencé?

nPar la relation entre le cédant et le successeur. Notre sondage montre que les membres de la famille et les amis ont la possibilité de reprendre la société à un prix particulièrement avantageux. Ils bénéficient en moyenne d’un rabais de 41% sur le prix du marché et 18% des repreneurs membres de la famille reçoivent même la société gratuitement. Seul un tiers paie le prix du marché intégral ou un prix supérieur. Et les partenaires commerciaux (22%) obtiennent le prix le moins intéressant.

A quels descendants cèdent-ils la direction et la propriété?

nPlusieurs principes de répartition peuvent entrer en jeu. Outre la répartition à part égale, il y a aussi l’attribution au mérite ou à l’ainé des enfants. Selon notre sondage, cette répartition diffère selon qu’il s’agit de la propriété ou de la direction. En ne prenant en compte que les préférences, 81% des PME souhaiteraient que la direction opérationnelle soit confiée au descendant le plus qualifié. En revanche, le principe d’égalité est prépondérant pour ce qui concerne la propriété.

Quelles conséquences ces choix ont-ils ensuite dans le développement des PME?

nNos collègues de l’Université de St-Gall ont trouvé que ces principes de répartition semblaient influencer la performance de l’entreprise. L’évolution de la performance depuis le moment de la reprise se révèle particulièrement positive dans les entreprises où les prédécesseurs avaient misé sur le choix du mérite pour la direction: 40% des entreprises qui ont appliqué ce choix qualifient la situation actuelle de meilleure par rapport à la période de la reprise (28%: pire). Cette performance s’est en revanche détériorée dans 37% des entreprises qui ont opté pour la transmission à parts égales et 45% des PME qui ont privilégié le principe de la primogéniture (l’ainé) ont vu leur situation se péjorer. En revanche, s’agissant des propriétaires, cet écart entre répartition au mérite et répartition selon un principe égalitaire est beaucoup plus faible.

Qu’avez-vous appris en matière d’instruments de gouvernance?

nIl faut relever d’emblée, dans les PME suisses, la forte implication des propriétaires dans la direction (80%) et la participation de la direction au capital de l’entreprise (77%). A cela s’ajoute le fait que 65% des membres de conseils d’administrations s’activent en plus à l’opérationnel.

En cas de successions, les propriétaires et les familles ont le choix entre divers instruments qui leur permettent de régler leurs relations et de prendre certaines mesures en vue d’une succession. Selon l’étude, ces instruments sont intensément utilisés par les propriétaires de PME suisses: 42% d’entre eux choisissent la convention d’actionnaires, le pacte successoral (36%), le testament (32%), la charte familiale (3%) restant relativement rare. Ces instruments peuvent en outre permettre de tracer les grandes lignes du règlement de succession.

Comment le choix d’un instrument et d’un type de succession sont-ils liés?

nL’enquête montre qu’il existe un lien entre ce niveau de réglementation et le type de formes de succession. On voit que les PME qui utilisent un plus grand nombre d’instruments de gouvernance ont tendance à privilégier un FBO: 46% des entreprises disposant de trois instruments ou plus envisagent une transmission au sein de la famille. A l’inverse, un degré assez élevé de réglementation est rarement associé à un MBO. Les entreprises familiales sont préoccupées par ces instruments de gouvernance afin d’assurer le maintien du contrôle familial sur l’entreprise.

Quel lien existe entre choix d’un descendant et instruments de gouvernance?

nIl existe aussi un lien entre le choix du principe de répartition et la mise en œuvre d’instruments de gouvernance. Les PME qui dans notre sondage envisagent de transmettre la propriété et la direction au descendant le plus qualifié sont aussi celles qui utilisent plus d’instruments de gouvernance. A l’inverse, celles qui choisissent de répartir l’entreprise à parts égales entre tous les héritiers ne disposent souvent d’aucun instrument. Cela veut dire que les PME qui choisissent le plus qualifié des descendants prennent une position particulière par rapport au principe égalitaire du droit successoral et le savent bien. En recourant plus souvent aux instruments de gouvernance, elles adoptent une sorte d’assurance.

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

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