«Au final, un résultat antisocial»
prévoyance vieillesse – La réforme adoptée en mars mélange les deux piliers. Les rentiers AVS actuels deviennent des seniors de deuxième classe. Interview de Karin Keller-Sutter (PLR/SG).
karin keller-sutter – «Le trou de sept milliards de francs creusé dans l’AVS ne sera jamais comblé par l’âge de la retraite à 67 ans. La conseillère aux Etats rejette la réforme de l’AVS.
Journal des arts et métiers: La réforme de la prévoyance vieillesse est passée de justesse au National. Comment interprétez-vous ce résultat?
n  Karin Keller-Sutter: La réforme est extrêmement contestée et le National ne l’a en effet acceptée que par une voix d’écart. Les vert’libéraux, qui en fait rejettent la réforme, ont au final voté en sa faveur, afin que le peuple puisse s’exprimer. Au Conseil des Etats, le PS et le PDC ont toujours disposé d’une majorité stable, raison pour laquelle ils n’ont pas dû faire de compromis importants.
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Vous rejetez la réforme telle qu’elle se présente actuellement. Qu’est-ce qui vous dérange le plus dans ce projet?
n  La réforme avait pour but de maintenir le niveau des prestations dans le 1er et le 2e pilier et d’assurer une assise financière solide aux deux piliers. Aucun de ces deux objectifs n’est atteint. Le projet étend les prestations de l’AVS et ce faisant péjore fortement la situation financière de cette dernière. Pour financer l’AVS de manière équilibrée, il faudrait augmenter, en 2030 déjà , soit la TVA de 0,82%, soit les charges salariales de 0,62%. Après 2030, le besoin financier prendra l’ascenseur à un point tel que même fixer l’âge de la retraite à 67 ans ne permettrait pas de combler le trou de 7 milliards de francs creusé dans les caisses de l’AVS. La réforme porte atteinte à la justice intergénérationnelle et crée une AVS à deux classes.
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70 francs de plus pour les nouveaux rentiers – cela ne semble pas énorme. Vaut-il vraiment la peine de se battre contre cette augmentation?
n  Oui, car ce supplément de 70 francs par mois non seulement crée une AVS à deux classes, puisque les personnes déjà retraitées n’en profitent pas, mais il détériorera aussi la situation financière de l’AVS dès 2027 déjà , lorsque les baby-boomers arriveront à l’âge de la retraite. De plus, ce montant de 70 francs, versé selon le principe de l’arrosoir, n’est pas nécessaire, car la génération comprise entre 45 et 65 ans, touchée par la baisse du taux de conversion obtient une pleine compensation. Cette tranche d’âge voit ses droits acquis garantis durant 20 ans. On fait, par ailleurs, totalement fi du fait que la hausse des rentes des nouveaux retraités aura aussi des conséquences pour la caisse fédérale, car la Confédération finance un cinquième de l’AVS. Les contribuables devront donc ici encore passer à la caisse.
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La réforme adoptée n’est-elle pas plus avantageuse pour les arts et métiers que le concept du National?
n  Non, pas du tout. La variante préconisée par le National coûtait environ 500 millions de moins en charges salariales et ne nécessitait aucune hausse des cotisations. Mais la comparaison ne fait plus sens, car nous devrons voter sur un seul modèle. Or celui-ci ne comprend pas seulement une augmentation de la TVA de 0,6%, mais aussi une augmentation des cotisations salariales de 0,3%. Pour des raisons politiques, le PS et le PDC ont réduit l’augmentation de la TVA à 0,6%. Mais du coup, la solution actuelle ne dispose plus d’un financement suffisant. Cela revient à commander un menu à cinq plats mais à n’en payer que trois. L’augmentation de 70 francs nécessitera donc bientôt de nouvelles hausses d’impôts ou des prélèvements supplémentaires sur les salaires. Je viens du monde des PME et je sais que les entrepreneurs des arts et métiers savent calculer. Cette réforme coûte très cher aux petites et moyennes entreprises.
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L’AVS est déjà dans les chiffres rouges et les caisses de pension souffrent d’un taux de conversion minimal trop élevé. A-t-on le droit, dans ce contexte, de faire échouer cette réforme?
n  Je vois la chose de la façon suivante: sans rĂ©forme, nous ne parviendrons pas Ă rĂ©soudre les problèmes; avec cette rĂ©forme, non seulement nous ne le rĂ©solvons pas, mais nous crĂ©ons en plus des coĂ»ts supplĂ©mentaires. Nous pĂ©jorons ce faisant la position de dĂ©part de toutes les rĂ©formes Ă venir, parce que le supplĂ©ment accordĂ© aux nouveaux rentiers mettra rapidement l’AVS en difficultĂ©. L’élargissement des prestations actuel correspond ainsi Ă la diminution des prestations ou Ă l’augmenÂtation des impĂ´ts de demain. La pression sur l’augmentation de l’âge de la retraite augmentera considĂ©rablement. Or ni la diminution des prestations, ni l’augmenÂtation de l’âge de la retraite ne permettent de construire une majoritĂ©. Il ne restera que l’augmentation des impĂ´ts pour rĂ©Ă©quilibrer les finances de l’AVS.
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La réforme est également combattue par l’extrême gauche. Ces alliances contre nature ne vous préoccupent-elles pas ?
n  Non, je n’ai pas ce type de pensées. C’est la nature de notre système politique au sein duquel différentes forces politiques partagent des positions pour ou contre un sujet.
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Vous-mêmes, en tant que femme, recommandez cependant l’égalisation de l’âge de la retraite?
n  Oui, c’est ma position. Lorsque l’AVS a été fondée en 1948, l’âge de la retraite était identique pour les hommes et les femmes. Il a été progressivement abaissé pour les femmes en raison d’une prétendue infériorité physique. A cette époque, il était de bon ton de considérer que l’homme pouvait subvenir seul aux besoins de la famille. L’égalisation de l’âge de la retraite découle aujourd’hui de considérations financières. Ce faisant, les femmes contribuent pour 1,2 milliard par année à l’assainissement de l’AVS. Mais le coût du supplément accordé aux nouveaux rentiers s’élèvera à 1,4 milliard en 2030 déjà , si bien que la contribution des femmes partira en fumée.
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Quelle chance donnez-vous Ă ce projet en votation populaire?
n  Le projet sera vraisemblablement fortement contestĂ© et je m’attends Ă une campagne de vote Ă©motionnelle. J’espère toutefois que le peuple renverra ce projet Ă l’expĂ©diteur. Je reste persuadĂ©e que les votants seront sensibles Ă la question de la justice entre gĂ©nĂ©rations. La diffĂ©rence de traitement entre les nouveaux retraitĂ©s et les rentiers actuels constitue une première dans l’histoire de l’AVS. Le projet viole l’équitĂ© intergĂ©nĂ©rationnelle. Les jeunes payeront plus, sans savoir s’ils bĂ©nĂ©fiÂcieront un jour, eux aussi, des mĂŞmes prestations. Et les femmes devront travailler une annĂ©e de plus pour financer l’augmentation des prestations des nouveaux retraitĂ©s. Une rĂ©forme dont peu seulement profiteront, mais pour laquelle de nombreuses personnes payeront plus d’impĂ´ts, je trouve cela injuste.Le projet doit ĂŞtre remaniĂ©!
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Et si le peuple coulait cette réforme, le 24 septembre prochain?
n  Il faudrait alors lui proposer de plus petits paquets, qui soient plus transparents et compréhensibles. Par exemple, l’égalisation de l’âge de la retraite pourrait aller de pair avec une augmentation modérée de la TVA. Quant à la question du taux minimal de conversion, on pourrait la lier à une autre compensation suffisante. Ce que mon expérience politique m’a appris, c’est qu’en politique, il existe toujours des solutions de rechange.
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Cela fait plus de 20 ans que toutes les réformes de la prévoyance vieillesse échouent. Au fond, la Suisse est-elle encore réformable sur de tels grands projets?
n  La prévoyance vieillesse est un thème réputé difficile et délicat qui touche chacun de nous. Il est question de niveaux de vie dans la troisième partie de la vie et de dignité en vieillissant. Du coup, cette proposition ne recoupe pas les positions idéologiques et politiques. Une initiative AVS-plus light ne peut en aucun cas stabiliser les finances de l’AVS. Et si l’on pèse tout le paquet à l’aune de l’équité entre les jeunes et les vieux, le résultat est net: c’est antisocial!
Interview: Gerhard Enggist
(trad.)
Karin Keller-Sutter (53 ans) est depuis 2011 conseillère aux Etats du canton de Saint-Gall. Avant cela, elle a gravi tous les échelons, conseillère communale, députée au Grand Conseil puis, durant les douze dernières années, conseillère d’Etat. Dans ses fonctions actuelles, elle est première vice-présidente du Conseil des Etats et membre de la Commission de l’économie et des redevances (CER), de la Commission des affaires sociales (CSSS) et de la Commission de politique extérieure (CPE). Née dans le monde des PME et des arts et métiers, elle assume différents mandats dans l’économie privée. JAM
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