Publié le: 20 janvier 2017

Protéger l’exemple suisse

UELI MAURER – Le ministre des finances s’engage avec conviction pour un OUI à la réforme
de l’imposition des entreprises III, soumise au vote populaire le 12 février prochain.

Journal des arts et métiers: Comment expliquer ce projet complexe et technique doté d’un nom biscornu, la troisième réforme de l’imposition des entreprises, ou RIE III?

n Ueli Maurer, conseiller fédéral: La Suisse doit s’adapter à une nouvelle donne internationale et abandonner le modèle des privilèges fiscaux accordés aux entreprises multinationales. Sur ce point, nous n’avons pas d’alternative. Pour éviter que ces sociétés – en jargon technique, on les appelle des sociétés à statut fiscal particulier – se délocalisent dans des pays où la fiscalité est plus avantageuse, nous proposons avec la RIE III une réforme acceptable à l’international avec les mesures de compensation qui s’imposent. Cela étant, nous préservons des dizaines de milliers de places de travail et des rentrées fiscales importantes.

Pourquoi la Suisse a-t-elle mis sur les rails cette troisième réforme?

n L’abolition des privilèges fiscaux mentionnés était depuis longtemps une revendication de la gauche, donc du camp des opposants actuels à la RIE III. Comme ces déductions fiscales ne sont plus aujourd’hui en harmonie avec le paysage fiscal international, le Conseil fédéral souhaite désormais franchir un pas dans cette direction. Ceci pour éviter des mesures de rétorsion dont la place économique suisse peut aisément se passer. De ce fait, il était clair pour le Conseil fédéral que ces déductions ne seraient pas supprimées dans les mesures de compensation. Telle était la situation de départ lorsque nous avons abordé la RIE III – en étroite collaboration avec les autorités cantonales.

Pourquoi un OUI à cette réforme est-il important pour la place économique suisse?

n Environ 150 000 places de travail sont potentiellement concernées – c’est dire toute l’importance de ce projet. Nous voulons tout faire pour que ces places de travail restent en Suisse.

«150 000 PLACES DE TRAVAIL CONCERNéES, c’est DIRE l’ENJEU DE CETTE VOTATION!»

Quel sens aurait un rejet?

n Un NON reviendrait à un status quo et provoquerait une situation d’incertitude juridique. Même si les privilèges accordés aux sociétés à statut fiscal particulier n’étaient pas supprimés tout de suite, il faudrait s’attendre à un départ de nombreuses entreprises. Cela ne se traduirait donc non seulement par la perte de places de travail, mais aussi par des déficits fiscaux pour la Confédération, les cantons et les communes, à hauteur de milliards de francs. Pour compenser ces pertes, il faudrait que le contribuable ordinaire passe à la caisse.

Le Conseil fédéral et le Parlement recommandent un OUI à la RIE III. Le National l’a accepté par 
139 voix contre 55 et les Etats par 29 contre 10. Pourquoi une telle unité, dont nous avions perdu l’habitude?

n La grande majorité du Parlement s’est montrée raisonnable, capable de saisir de manière réaliste les conséquences d’une mauvaise politique. Très sincèrement, je ne parviens simplement pas à saisir pour quelle raison la gauche s’oppose à cette réforme. Les conséquences d’un refus seraient mauvaises pour le marché du travail. Les recettes fiscales fonderaient, tout cela ne joue pas en faveur de l’électorat du PS. Le référendum est une balle que la gauche se tire dans le pied.

Selon les adversaires, la réforme ne servirait que les intérêts des grandes entreprises. Et les PME?

n Les entreprises, dans les plus larges proportions, tireront partie de la RIE III. Tandis que les PME au plan local seront à même de poursuivre leur collaboration avec de grandes multinationales, les nouvelles mesures fiscales et les tarifs de la RIE III profiteront à toute l’économie. Non seulement aux grandes structures internationales que nous voulons conserver en Suisse, mais aussi à leurs fournisseurs et contractants, bien souvent des PME et des artisans. Dans le débat, on oublie souvent de mentionner que les sociétés à statut fiscal particulier tendront à être davantage imposées.

La gauche craint les cadeaux fiscaux aux entreprises…

n C’est de la polémique pure! Le contraire est vrai. La RIE III permet aux grands contributeurs fiscaux de rester en Suisse. Elle évite les pertes d’impôts à hauteur de milliards de francs. Sans cette réforme, il faudra tôt ou tard que les petits contribuables en paient le prix.

En cas de non, la classe moyenne payera l’addition?

n Bien sûr, c’est le rôle des politiques de décider comment de telles pertes fiscales devraient être compensées. Mais à moyen terme, certainement, il faudrait d’une manière ou d’une autre prendre en compte ce scénario. C’est pourquoi la RIE III est une réforme qui profite à l’ensemble des contribuables.

Les opposants donnent aussi à titre dissuasif l’exemple de la deuxième réforme fiscale, avec des conséquences financières totalement sous-estimée. Quels ont été les effets de la RIE II?

n Ceux qui affirment que la deuxième réforme a eu des conséquences négatives se trompent. La réalité est bien différente. Depuis l’acceptation de la RIE II, les recettes fiscales de la Confédération, des cantons et des communes ont au contraire progressé plus fortement que le PIB. Du point de vue des rentrées fiscales, on ne peut pas dire que la RIE II a affamé l’Etat. Il n’y a pas eu de déplacement de la charge fiscale des entreprises sur les personnes physiques. La Suisse a au contraire massivement profité d’un développement très dynamique des rentrées fiscales de l’imposition sur les gains. Et à terme, de tels effets peuvent aussi bien être attendus de la RIE III. Cette réforme est un investissement sur l’avenir. Elle crée les conditions permettant de s’assurer que la substance fiscale demeure dans notre pays et que de nouvelles places de travail soient créées.

Si la réforme est acceptée, quelles sont les conséquences pour les collectivités publiques?

n Pour éviter une relocalisation à l’étranger des sociétés à statut fiscal particulier, et valoriser l’attractivité de la place économique suisse, la RIE III prévoit des mesures de compensation. Ainsi, les cantons peuvent réduire leur taux d’imposition sur les bénéfices pour les entreprises. Ces conséquences ne peuvent pas être chiffrées à l’heure actuelle. En revanche, il est clair que la Confédération a prévu environ un milliard de francs, pris sur l’impôt fédéral direct, qui sera versé aux cantons pour compenser ce manque à gagner. La question de savoir dans quelle proportion les villes et les communes devront compenser la diminution des recettes fiscales liées aux personnes morales dépend en fin de compte des clés de répartition utilisées par les cantons pour leurs communes en lien avec l’augmentation de la part de l’impôt fédéral direct. Si nous voulons calculer de manière correcte, nous ne pouvons pas comparer les diminutions de recettes à prendre en compte avec le status quo. Car si nous ne faisons rien, de nombreuses entreprises aujourd’hui privilégiées fiscalement s’en iront et il faudra alors compter sur une diminution des recettes fiscales à un niveau que nous ignorons.

Le fédéralisme sera-t-il renforcé? La marge de manœuvre des cantons et des communes sera-t-elle plus importante?

n J’en suis persuadé. Grâce à la RIE III, chaque canton peut établir une solution qui lui convient pour conserver son attractivité fiscale. La réforme leur propose diverses mesures aussi adaptées que possibles aux propriétés de leur environnement économique. La RIE III est aussi dans l’intérêt des cantons. Si tel n’était pas le cas, on verrait mal pourquoi elle serait soutenue par la Conférence des responsables cantonaux des finances.

«avec cette initiative, lA GAUCHE SE TIRE une balle DANS LE PIED.»

Quelle signifie cette réforme pour la recherche et l’innovation?

n Parmi les mesures les plus significatives de la RIE III se trouvent les «Patent box» et les déductions fiscales pour la recherche et le développement. Ce faisant, la réforme fiscale est orientée sur les exigences et les défis de la R&D dans notre économie. C’est le succès même de la Suisse qui est en jeu, le fait que nous sommes toujours parvenu jusqu’ici à être innovants. La RIE III le permet en donnant les moyens aux cantons de soulager au plan fiscal les entreprises qui investissent beaucoup dans la recherche et le développement et tirent profit de leurs inventions. La réforme fiscale représente la garantie que notre pays conservera sa place dans la ligue des champions des pays dotés d’une économie innovatrice au plan mondial.

Quels sont les meilleurs arguments pour la RIE III?

n La réforme fiscale sécurise les recettes fiscales à hauteur de milliards de francs et des dizaines de milliers de places de travail. Elle déploiera ses effets à court terme sur les finances publiques. C’est un excellent investissement. L’économie suisse restera fiscalement attractive pour les entreprises provenant du marché intérieur et extérieur. A moyen et à long terme, elle assure la création et l’implantation de nouvelles entreprises. Enfin, elle permet d’améliorer les conditions-cadres des PME.

Interview: Gerhard Enggist

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