Publié le: 10 mars 2017

«Système dual» avec une SSR allégée

PAYSAGE MÉDIATIQUE SUISSE — Un journalisme de qualité en Suisse devient de plus en plus difficile à financer et la raison en est simple. Quant au remède, il passerait par la SSR ou plutôt par une SSR «light», estime Karl Lüönd*.

Financer un journalisme de qualité en Suisse devient toujours plus difficile. Dernière victime, «L’Hebdo»! Et même sur le plus grand marché suisse alémanique et à une époque où la conjoncture publicitaire était meilleure, des titres tels que «Facts» et «Cash» n’ont pas survécu. En réponse, l’initiative populaire «No Billag» veut assurer le financement d’un journalisme de qualité, thème majeur qui concerne également les médias électroniques.

Les luttes s’intensifient

La raison de cette situation difficile s’explique simplement. Le marché suisse alémanique couvre un bassin de 5 millions d’individus. En comparaison, celui du Land allemand 
Rhénanie-Du-Nord-Westphalie en compte 17,6 millions et Berlin 3,5 millions. Or le problème insidieux des médias, c’est que leur investisse­ment de base (coûts fixes) est proportionnel à la taille du marché, un investissement que payent toutefois les lecteurs et annonceurs par leur quantité (tirage vendu et diffusion).

Hiver médiatique

Entre-temps, l’hiver a recouvert le paysage médiatique, la subsistance se raréfie et les luttes pour le partage s’intensifient. Le naufrage de Publicitas fut probablement la saignée la plus brutale. Pendant des décennies, le leader de la commercialisation publicitaire avec ses barèmes gravés dans le marbre, était de facto un cartel qui soutenait les petits et moyens journaux: économiquement douteux, certes, mais politiquement souhaité par l’Etat. Or aujourd’hui, les tarifs publicitaires (du moins pour les gros clients et la plupart des titres) se négocient.

Certains éditeurs expient désormais leurs péchés du passé. En effet, ils ont investi massivement dans les techniques d’impression, les empêchant d’investir suffi­samment tôt 
et en conséquence dans les réseaux et logiciels. Puis, c’est difficilement qu’ils tentent de corriger la structure bénéficiaire. En cause notamment le prix des abonnements qui était et sont encore trop bon marché. Actuelle­ment, les éditeurs calculent des scénarios avec des recettes publicitaires ne représentant que 30 ou 20% du chiffre d’affaires voire moins. Rappelons qu’auparavant, cette part atteignait jusqu’à 70%!

Risque de «spirale fatale»

Le risque de tomber dans la dénommée spirale fatale est énorme. Le lecteur qui dépense bientôt 500 francs voire plus pour l’abonnement annuel à un quotidien se pose, à juste titre, la question de son utilité. Celle-ci résiderait dans un contenu rédactionnel approfondi, des services complets et, surtout, un traitement fidèle des événe­ments locaux. Or cette prestation journalistique ne se rationnalise guère. «Economiser» dans les médias signifie fatalement sacrifier des emplois.

Mais pas pour tous! Alors que certaines rédactions économisent des bouts de chandelle, certaines entreprises, les autorités et quelques institutions ont puissamment renforcé leur image en termes de relations publiques. L’écart entre la communication de certains groupes puissants et les capacités des rédactions à pouvoir la traiter de manière objective s’élargit de plus en plus. Résultat? Une migration des forces journalistiques vers la partie adverse ainsi que la possibilité toujours plus fréquente d’acheter le contenu éditorial.

La même dérive frappe les chaînes de télévision privées. Financièrement, la plupart d’entre elles sortent à peine la tête de l’eau et doivent courir frénétiquement derrière chaque parrainage. Sur certaines chaînes, les prévisions météo sont présentées par deux ou trois entreprises... Entre-temps, l’information surfe en surface et s’épuise à montrer des images bien intentionnées de faits divers.

La SSR m’a toujours laissé sceptique. Depuis que l’habile Leo Schürmann, directeur de la SSR dans les années 80, a échoué à l’élection au Conseil fédéral, il a passé sa frustration en lançant une campagne d’expansion débridée des chaînes, faisant de la SSR un outil de pouvoir aux attributs totalitaires.

«LEO SCHUERMANN A FAIT DE LA SSR UN OUTIL DE POUVOIR AUX ATTRIBUTS TOTALITAIRES.»

D’accord, mais qu’apporterait vraiment un downsizing de la SSR? Qui voudrait ou pourrait assurer la production quotidienne de feuilletons du genre «Gothard», «Blackout» ou «Le Croque-mort»? L’idée d’une SSR «light» est encore à peine imaginable. A mes yeux, il faut un «système dual» (radiodiffuseur public sans publicité et radiodiffuseurs privés sans redevances) ainsi qu’un mandat «allégé» pour la SSR: la télévision doit se concentrer sur l’information, le documentaire, la culture et le sport et réduire la production de séries nulles, d’émissions de pur divertissement et doit revoir à la baisse ses ambitions sur Internet.

Monopole publicitaire
inacceptable

Enfin, Admeira – nouvelle société de commercialisation publicitaire commune à la SSR, Ringier et Swisscom – doit être ouverte à tous les éditeurs intéressés. Un monopole de la publicité protégé par des groupes publics tels que Swisscom et la SSR est inacceptable.

*Karl Lüönd, publiciste et critique des médias

N.D.T: Ce texte a été publié dans la 
«NZZ am Sonntag» et dans la «Schweize­rische Gewerbe Zeitung».

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