Publié le: 9 décembre 2016

Transition et rythme de vie

REDIMENSIONNER – Etienne Guggisberg a quitté ses locaux à Aclens pour se recentrer sur son bureau d’étude dans sa villa de Sénarclens. Transmettre ou se réadapter, ils ont choisi.

Etienne Guggisberg a quitté ses ­locaux à Aclens pour se recentrer sur son bureau d’étude et s’installer dans sa villa à Sénarclens. Itinéraire d’un chef d’entreprise qui a cherché à remettre son bien et fini par ré­adapter la taille et le but de son entreprise à son nouveau style de vie.

JAM: OĂą sont vos machines et vos collaborateurs?

n Etienne Guggisberg: Il y a deux ans, certaines décisions germaient encore. En fait, dans une entreprise familiale, on essaie toujours de garder un lien d’une génération à l’autre. Mais pour moi, très vite, cela n’a pas été le cas. Mes deux enfants, 26 et 24 ans, ont choisi d’autres voies. L’un est cuisinier, l’autre termine ses études à la Haute école de Gestion et de Tourisme à Sierre.

Vous avez exploré d’autres pistes?

nIl y a sept ou huit ans, je cherchais des opportunités pour m’appuyer sur un bras droit solide. Sans succès! Même avec un chasseur de tête qui me proposait, juste au moment de la crise des subprimes, des ingénieurs espagnols bardés de diplôme. A son grand désarroi, je lui ai dit qu’il était inutile d’avoir des têtes pleines, mais qu’il fallait d’abord une expérience pratique. Je ne pouvais pas former quelqu’un.

Quel Ă©tait votre sentiment Ă  ce moment-lĂ ?

nJe m’en suis félicité. J’avais un collègue qui voulait lui aussi débuter une collaboration. Après coup, il m’a raconté qu’il avait trouvé quelqu’un, mais que cette personne n’était pas à la hauteur. Cela lui a coûté toutes ses réserves latentes! Le type l’a mis à sec avec des erreurs de commandes et d’organisation. Or dans ce secteur de l’électricité, la main d’œuvre est prédominante, cela devient vite très cher: en deux ans, il a perdu quelques centaines de milliers de francs. C’est considérable! De mon côté, j’ai dû pas mal cravacher, mais ce chiffre correspond à peu près à ce que j’ai gagné en deux ans.

Comment avez-vous vécu cette période de transition?

nMieux que mon collègue qui a terminé au CHUV. Il a fini par faire une casse. Nous nous connaissons depuis une vingtaine d’année et il a racheté la PME de son patron à 26-27 ans. De mon côté, j’ai racheté l’entreprise à mon père et j’ai été obligé d’hypothéquer ma maison pour payer mes parts dans la société.

Et vous-même, côté santé?

nDepuis quelques années, j’ai aussi eu des ennuis, à chaque fois des avertissements, pendant les vacances, les week-ends, ou la pause de midi. Cela ne m’a jamais coûté une heure. On se dit que cela fait partie de la vie de manager, on passe à autre chose. Jusqu’à ce que je me fasse enlever une vésicule biliaire. J’ai passé une semaine à l’hôpital et commencé de réfléchir sérieusement. J’ai décidé de changer de rythme de vie.

Comment cela s’est-il concrétisé?

nD’abord, j’ai limité le nombre d’employés pendant une année et demie, mais cela n’a pas suffi. Et en même temps, j’ai cherché à vendre l’entreprise. J’ai eu des pourparlers, souvent avec des entreprises françaises ou des citoyens intéressés à mettre un pied en Suisse. Cela n’a jamais rien donné de concret. D’abord pour des questions de finances et de fiscalité. Mon entreprise dispose toujours d’un cash très important. Or la personne qui rachète l’entreprise aurait dû reprendre ce cash. Cela aurait coûté un saladier en impôts et autres. On aurait pu contourner le problème en créant une nouvelle société avec un nom sœur, tandis que j’aurais pu garder l’autre entité. Pour les repreneurs, c’était un point noir. Le deuxième point noir étant que l’entreprise ne tenait que grâce à moi. Que techniquement, j’avais les connaissances, en plus d’avoir les contacts avec les clients.

Est-ce difficile de se retirer d’une discussion quand cela ne mène à rien?

n Oui, je me rappelle qu’un père tenait à ce que son fils reprenne mon entreprise. Mais au final, ce dernier n’avait aucune connaissance des constructions métalliques. Le père m’a proposé de l’engager et de le former pendant deux ans avant de lui transmettre les rênes. Or cela m’a paru être une option extrêmement dangereuse, parce que c’était prendre des risques financiers importants sans avoir aucune garantie à l’arrivée. Pour finir, nous avons compris l’un et l’autre que cela ne fonctionnerait pas.

Et les spécialistes financiers?

nOui, il en vient vite un certain nombre pour racheter des entreprises, y mettre un directeur, essayer d’augmenter la valeur du tout, puis de le revendre deux à trois ans plus tard. Là, cela aurait pu se faire si j’avais été le propriétaire des locaux à Aclens. Mais ce n’était pas le cas. Leur idée était de jouer sur un tableau et sur l’autre, de développer, etc.

Comment vendre?

nLes prix sont négociés à la baisse, c’est le plus courant, sauf si votre société est un mastodonte ou un acteur hyper spécialisé. Je prévois qu’un nombre important de PME vont disparaître par désintérêt des nouvelles générations. Par manque de moyen, ils préfèrent se mettre à leur compte, plutôt qu’on leur offre un pont en or. J’en ai croisé plusieurs, dont un à qui j’avais proposé de venir comme associé. Je l’aurais intéressé directement au bénéfice afin qu’il puisse acheter les parts au fur et à mesure, et très rapidement. Il ne prenait aucun risque et n’avait que des avantages. Mais même là, il a préféré la bonne dose d’adrénaline et se lancer tout seul.

Est-ce rationnel de préférer partir tout seul?

Ce n’est pas rationnel, mais enthousiasmant. C’est grisant. Je travaille avec l’un de ceux qui s’est mis à son compte. Il n’habite pas loin d’ici et nous nous appelons souvent. Je lui confie des mandats, il me donne des dossiers à calculer. Le deuxième a préféré rester dans la sous-traitance.

Et quelle décision avez-vous prise à ce stade?

Il fallait trouver une solution, car à force de tirer sur la corde, j’allais finir par connaître le même sort que mon collègue électricien. J’ai donc décidé de me passer de personnel et de me contenter de la partie bureau, de réaliser la gestion des projets, la partie calculation, les estimations et le conseil à la clientèle. Cela me permet d’être entièrement libre avec mon agenda. L’année passée, j’ai donc tourné la page et vendu toutes mes installations, sauf une camionnette. Et puis, tout en gardant cette activité de bureau, j’esssaie aussi de gérer mes fonds de manière un peu plus dynamique.

Interview:
François Othenin-Girard

Les plus consultés