Publié le: 9 décembre 2022

Coups de sonde d’un stand à l’autre

Foires et salons – Comment ces canaux de vente séculaires et favoris des PME évoluent-ils

par ces temps contrastés et postpandémiques? Certains événements semblent tirer leur épingle du jeu et mieux s’en sortir que d’autres. Quels sont les facteurs en jeu?

À tourner dans les salons cet automne, en Suisse romande et outre-Sarine, on finit par observer un consensus se dessiner sur ce qui marche actuellement le mieux: les salons impliqués dans la vie économique locale – lorsque le tissu est dense, bien réseauté, et que l’identification à la région fonctionne.

Un trait émerge: «On voit vraiment que le secret est le focus, observe Pierre-Yves Kohler, organisateur du SIAMS, salon dédié à la microtechnique. Dans les salons pointus et positionnés du monde professionnel, les événements bien perçus sont aussi bien visités.» Mais comment évalue-t-il la popularité des foires et des salons généralistes en cette fin d’année? «La seule expérience dont je dispose cette année est Moutierexpo au Forum de l’Arc. En termes de résultat, grand succès, la halle était bien pleine tous les jours de la manifestation. Une excellente ambiance, des visiteurs et des exposants satisfaits, même si je ne crois pas les chiffres publiés en général. Et pas de tapis dans les allées, ce qui veut dire une bonne économie et un meilleur bilan écologique.»

Ă€ la bonne franquette

L’ancrage local est plus que jamais un atout. Prenons l’exemple d’un microsalon régional, la Foire de Travers. La petite foire de Travers a connu le 30 septembre dernier une bonne fréquentation en dépit d’une météo un peu suboptimale. Avec un atout de taille dans le contexte actuel, l’approche microlocale.

«La plupart des marchands, ils sont une quinzaine, viennent de la région et proposent des produits locaux. Parfois, certains se désinscrivent en cas de mauvais temps, car ils n’ont pas de dispositif pour se protéger contre la pluie. Ou bien leurs produits, par exemple des cosmétiques, supportent moins l’humidité», raconte Katy Ventura, collaboratrice administrative à la commune de Val-de-Travers. Par contraste, la Foire de Couvet (fin mai et fin octobre) présente plus de produits frais, de légumes de saison. À Travers, on trouve tout de même des glaces, de la viande séchée, des textiles, de la poterie, des livres spirituels. Et même un stand de produits péruviens qui se déplace en Suisse romande.

«Tout s’est déroulé à la bonne franquette, parce que les exposants choisissent leur emplacement par ordre d’arrivée et nous les aidons à s’installer, explique Raphaël Bourquin, responsable local de la sécurité de proximité. Nous n’avons pas de problème de parking pour les visiteurs, car la place est suffisante. Ni de déchets sauvages parce que les artisans produisent des biens durables, donc réutilisables et ne doivent pas se débarrasser des invendus.» Ce qui arrive plus souvent qu’on ne le croit.

Un comité motivé

Autre facteur de réussite, le team organisateur. La foire d’automne de Soleure montre les avantages d’une implication forte (et bénévole) d’un comité qui porte haut et fort sa motivation. «Notre événement représente un cas à part, une quasi-exception dans le paysage des salons régionaux», confirme non sans fierté Urs Unterlerchner, le président du comité d’organisation de la Heso, qui s’est tenue fin septembre. Avec une fréquentation qui remonte peu à peu à des niveaux prépandémiques, soit une centaine de milliers de visiteurs dont certains reviennent plusieurs fois. «Comme l’entrée est gratuite, nous ne tenons pas de statistiques précises.»

Une machinerie locale bien huilée depuis des années. Doté d’un comité de bénévoles des plus motivés – «c’est un honneur d’y participer», souligne le président. Si l’entrée est gratuite, les exposants se voient proposer trois tarifs différents, le plus avantageux pour les membres de l’association des commerçants de la ville, une offre intermédiaire pour ceux qui sont basé dans un cercle allant jusqu’à 15 kilomètres autour de la cité soleuroise. Et un tarif plus onéreux pour ceux qui viennent de plus loin. Parmi les 250 exposants, Urs Unterlerchner note un fléchissement dans les secteurs du textile. Du côté des producteurs de meubles de la région, il faut signaler de nombreuses disparitions pures et simples. Comme le nombre de demandes de stand excède l’offre, les organisateurs peuvent choisir les exposants – afin de concocter une foire bien équilibrée en termes de secteurs présentés.

Cette préoccupation – ajoutée à l’envie de donner un très fort accent local à la manifestation – donne lieu à d’amples réflexions. À cet effet, le comité se réunit deux jours en décembre pour tirer les enseignements de l’édition passée, cogiter sur les directions à prendre, les défauts à corriger. Faut-il faire plus de place pour la restauration? Quelles branches pourraient-on solliciter? Parmi les évolutions récentes, la montée en force de nouvelles exigences du côté des règlements, la police du feu, mais aussi les lancinantes questions liées aux déchets et à l’utilisation de couverts en plastique. «À l’avenir, il faudra un peu plus peaufiner le marketing face aux nouvelles générations, pour lesquelles le fait de venir à la foire d’automne de Soleure n’est pas encore une évidence.»

Attachement de la population

Une manifestation durable? «Nous devons toujours un peu dépoussiérer et retravailler le fil rouge, changer un peu l’enrobage d’une formule qui a fait ses preuves, améliorer les infrastructures et repenser les animations, les publics.» Cela fait quatre décennies que Jacques André Roth, s’active dans l’événementiel. Figure de proue de la Foire du Jura, il met en avant «cette convivialité qui se renouvelle à Delémont en dépit de la pandémie, car les Jurassiens et les visiteurs extérieurs y sont attachés.»

Autre atout avéré: le fait qu’une quantité d’exposants présentent les mêmes produits issus du commerce local, ce qui permet au public d’affiner ses choix, de comparer, cela crée une plus forte émulation. Et à côté du terroir, des meubles, des secteurs classiques, qu’est-ce qui marche? «Il y a des objets que les gens veulent voir sur place, cette année, les panneaux solaires ont bien marché, cela change en fonction des préoccupations du moment.»

Rampe de lancement

Surfer sur les modes, la nouveauté, les besoins? «La foire peut être une occasion pour une jeune entreprise de se présenter au public, de mesurer l’intérêt qu’elle suscite et de peaufiner son positionnement, explique Jacques-André Roth. Nous avons des jeunes qui se lancent avec de petits budgets. Ils montent un stand et démarrent ainsi dans la vie professionnelle.»

Autre exemple, Bruno Chevrey s’est lancé avec son spa en bois suisse à la Foire du Valais. Dont il est revenu «avec un bon sentiment». Un emplacement pour un stand s’est libéré et il raconte qu’il a sauté sur cette occasion (lire JAM 11). Une première expérience de marché qu’il ne regrette pas avec, à la clé, la première rencontre avec de vrais clients, des prospects.

À Genève, les Automnales ont cartonné et les observateurs du bout du lac, comme Thierry Mertenat, se font un plaisir de comparer avec un humour caustique le cas de la Cité de Calvin et de la Ville Olympique. «Lausanne avait son Comptoir Suisse et son Concours Jean-Louis. Elle n’a plus qu’un Palais de Beaulieu désert, écrit-il dans la Tribune de Genève. Pour remplir, il faut se renouveler. C’est ce qu’a compris Palexpo avec ses Automnales. Ce n’était pas gagné. Le lieu, immense, avec ses plafonds qui culminent à 25 mètres de haut et ses surfaces au sol interminables, a été conçu jadis pour le Salon de l’auto, pas pour celui des arts ménagers.»

Législation et volonté politique

Plus que jamais, la concurrence pulse en ligne. Pour la contrer, il faut avoir quelque chose à montrer, à prendre en main, à goûter et à toucher. Une expérience directe du produit. «Ces foires ont le mérite de placer sur le devant de la scène des exposants qui n’ont pas de point de vente physique. Ceux-ci participent bien volontiers à des foires ou des salons, à l’image des Automnales à Genève ou de la Foire du Valais, surtout après une période de crise conséquente », explique Flore Teysseire, secrétaire patronale de Genève Commerces, l’association genevoise du commerce de détail qui regroupe plus d’une septantaine d’enseignes de toutes tailles et dont la mission tend à la défense des intérêts de ses membres et à la promotion du secteur à Genève.

L’enjeu, bien sûr, est de pouvoir ouvrir les commerces en fin d’année pour stimuler les ventes et ainsi offrir l’opportunité aux commerces d’espérer rivaliser avec leurs concurrents des régions avoisinantes – aux horaires plus flexibles et mieux adaptés aux habitudes de consommation de la population – ainsi qu’avec le e-commerce. Mais pour cela, la volonté politique et un partenariat social sain doivent être au rendez-vous. «À Genève, suite à la dernière votation sur les heures d’ouverture des magasins, la perte des ouvertures dominicales se fait cruellement ressentir, déplore Flore Teysseire. La législation en vigueur ne permet que deux ouvertures spéciales pour la fin de l’année: une nocturne jusqu’à 21h30, qui a été fixée au 21 décembre 2022, et la journée du 31 décembre 2022, ce qui est maigre comparé à nos voisins vaudois ou français et pénalise malheureusement les commerces genevois».

Retrouver un sens de la fĂŞte

Veiller à ce que les législations n’empêchent pas les PME d’accéder au débouché naturel que sont les foires et les salons, c’est une priorité pour toute la Suisse. Nombreux sont ceux qui se souviennent avec amertume comment les Bâlois de MCH Group ont successivement racheté la Züspa à Zurich, la défunte foire aux échantillons bâloise, la Muba, tout comme le légendaire Comptoir Suisse à Lausanne – avant de les fermer en invoquant le manque de fréquentation et la baisse de la demande. Le contraste n’en est que plus marqué avec les événements qui marchent, voire qui carburent, comme la Foire du Valais, celle du Jura, ou le fameux Salon des goûts et terroirs de Bulle: «Les visiteurs d’aujourd’hui ont plus que jamais besoin que l’on s’intéresse à eux, dans le présent des expériences partagées », écrit Thierry Mertenat.Et Pierre-Yves Kohler de conclure: « Un salon est un équilibre et nous devons veiller à ne pas le mettre en danger avec nos évolutions.» En conservant également un sens de la fête qui parfois a disparu.

François Othenin-Girard

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