Publié le: 3 février 2023

D’où jaillissent les mauvaises idées

FONDS SOUVERAIN – Qu’il s’agisse de deux milliards pour la politique climatique, de 500 millions pour un fonds d’innovation ou de la distribution des bénéfices de la Banque nationale suisse: les fonds souverains ont le vent en poupe. Ce n’est pas une bonne idée. C’est aussi l’avis de Karin Keller-Sutter, la nouvelle ministre des Finances.

Un fonds souverain permet l’Etat d’investir ses excédents. En général, ce surplus provient d’une source unique et limitée dans le temps, par exemple de matières premières comme le pétrole ou le gaz. Dans ce cas, l’État a le double intérêt de diversifier les placements et de les sécuriser pour l’avenir. Comme les fonds souverains des pays du Golfe ou de la Norvège.

Dans certains cas, l’État investit des bénéfices liés à ses propres exportations à l’étranger. Singapour en est l’exemple. La Chine suit aussi ce modèle, dans une moindre mesure. Tous les fonds souverains se caractérisent par le fait que l’État investit ses propres billes. Partout, il contrôle les fonds directement ou par le biais d’entreprises publiques ou de concessions.

Une machine Ă  subventions

Quant aux fonds souverains qui réussissent, ils sont gérés de manière technocratique. L’influence politique sur eux est pratiquement nulle et il n’y a pas de contrôle démocratique. De plus, ils n’investissent généralement pas dans le pays – et s’ils le font, c’est uniquement dans des projets étatiques. Et le plus important : les fonds souverains n’ont pas de mission de promotion politique.

C’est précisément là que réside le problème avec les joyeuses idées de fonds souverains qui fleurissent à Berne. Elles ont toutes pour objectif de promouvoir les entreprises en Suisse. Mais cela ne sert à rien: ce qu’on aimerait appeler fonds souverain n’est qu’une machine à subventions.

Le Secrétariat d’État à l’économie a proposé un fonds d’innovation de 500 millions de francs pour les start-up en phase ascensionnelle, appelées scale-up. Or, rien qu’en 2021, plus de trois milliards de francs ont été injectés dans ces entreprises – par des privés. Cela signifie que le besoin de subventions publiques est nul. Plus problématique encore: les entreprises qui entreraient dans le fonds souverain seraient celles qui échoueraient au test de marché. L’Etat prendrait des participations dans les entreprises faibles.

De telles idées ne sont pas nouvelles. En 1985, la garantie des risques à l’innovation, qui devait permettre à l’État de réassurer les investissements dans les innovations a été massivement rejetée par le peuple. C’est la même attitude qui prévaut aujourd’hui sur le rôle supposé de l’Etat dans les investissements.

Une chose est certaine: les lignes directrices politiques ne sont pas un bon critère pour investir. Il est aussi clair que les entreprises doivent passer le double test du marché. D’une part, elles doivent convaincre les investisseurs par leurs idées. D’autre part, elles doivent gagner des clients grâce à leurs produits. Si elles font les deux, elles créent de la valeur et survivent. Si elles ne créent pas de valeur, rien ne justifie qu’elles reçoivent des fonds publics.

Mieux vaut innover

On prétend souvent que les entreprises innovantes ne reçoivent pas d’argent parce qu’elles n’ont pas encore de produits à présenter et qu’elles ne peuvent donc pas enthousiasmer les investisseurs. C’est faux pour deux raisons.

La difficulté à obtenir des investissements pousse ces entreprises à travailler encore plus sur leurs idées. Les toutes meilleures sont alors retenues par les investisseurs. La réalité empirique de la Suisse montre que peu d’autres économies sont aussi innovantes. En outre, il existe avec Inno-suisse, un instrument éprouvé avec une répartition claire des rôles est déjà disponible.

Avec les pertes de la Banque nationale, l’idée du fonds souverain a suscité un joli coup de frein. Le Conseil fédéral a illico presto reporté l’examen du fonds d’innovation. Lors de la conférence d’hiver des arts et métiers qui s’est tenue à Klosters à la mi-janvier, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et les conseillers nationaux Nicolo Paganini (Le centre) et Peter Schilliger (PLR) ont clairement rejeté les fonds souverains. Car au fond, ils le savent bien: l’innovation est un atout pour l’économie, pas les subventions, qui font plutôt penser à un miroir aux alouettes. La conseillère fédérale Keller-Sutter s’est aussi opposée aux subventions dans le cadre de l’augmentation des prix de l’énergie.

Henrique Schneider, usam

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