Publié le: 3 mars 2023

Le Brigand du Jorat se plaît à Berne

PORTRAIT – Nommé au Conseil national depuis juin 2022, Daniel Ruch est l’entrepreneur forestier qui monte. Sa grande PME de Corcelles-le-Jorat est connue loin à la ronde. Syndic multirécidiviste, député au Grand Conseil, ce PLR vaudois soutient les PME et tient ses valeurs de liberté pour non négociables.

Il s’appelle Daniel Ruch et dans la région, son nom se prononce «Ruque» et non «Ruche». Il fait partie des Brigands du Jorat et ce n’est pas un hasard non plus si l’une de ses valeurs en politique est la liberté. Il aurait presque pu être libéral, mais sa famille est radicale. D’une radicalité qui l’entraîne à participer aux activités de cette innocente troupe. Qui pratique – au nom d’ancêtres bien réels ou bien mythiques, cela dépend des versions, mais cela nous entraînerait trop loin – des enlèvements de personnalités. Celles-ci sont ensuite libérées contre le paiement d’une rançon en liquides buvables et transvasables. C’est d’ailleurs un aspect de sa personnalité qui a frappé le quotidien «Le Temps» au moment de brosser le portrait de ce néo-élu qu’on n’avait pas vu venir. «Daniel Ruch, le Brigand du Jorat qui va monter à Berne.» C’était en juin 2022. Depuis, nous le confirmons, il y est monté. Et si tout se passe bien cet automne aux fédérales, il devrait y rester.

Sylvain et Amanda, transmettre!

On passe une petite heure à papoter avec lui dans son bureau tout au fond du couloir. C’est une affaire familiale. Son fils Sylvain (prénom incontournable pour un forestier fils de forestier) travaille sur place et s’occupe de la gestion, des finances et de toute la compta. Contre le mur, une vraie collection de ballons de foot. «Certains sont de vrais collectors. Mon fils a joué comme espoir à Yverdon, c’est dire le nombre de matchs que j’ai pu suivre.»

Sa fille Amanda ne tarde pas à venir dire bonjour. Elle a suivi une formation complète de forestière et dirige les équipes sur le terrain. Main de bûcheronne dans un gant de velours, serait-on tenté d’ajouter. «Elle connait surtout sur le bout des doigts le travail à faire, donc elle sait le temps que prennent les choses.»

Dans le corridor trône un portrait colorisé du général Guisan (la fameuse photo de profil de Hans Steiner avec les trois étoiles – pour ceux qui savent). «Je l’ai récupéré à la déchetterie, tu te rends compte. Et donc j’ai décidé de l’installer ici.» C’est à la fois la maison et pas non plus totalement sa maison, le foyer où il aime rentrer. Au bout d’un moment, son épouse l’appelle: «Est-ce que tu rentres dîner?»

Charisme sur le terrain

On fait un crochet sur le terrain. Nous prenons sa voiture. Amanda nous accompagne. La brume se lève sur le Jorat, on se retrouve soudain plongé dans une autre temporalité. On parque à côté d’une ferme, juste le long d’une série de troncs. Une gigantesque machine est partiellement engagée dans un champ boueux. Le mécanicien installe des chenilles. Le patron pose pour la photo. Daniel Ruch parle avec le paysan qui commande les travaux et le garde forestier qui donne ses conseils. Présence et charisme in situ. Au détour, il prend connaissance des nouvelles du pays, des familles voisines, raconte une anecdote, rappelle un souvenir.

Chez Daniel Ruch, le père de famille, le patron de PME et le responsable politique ne font qu’un. On sent qu’il veut comprendre le fond du problème et sait aussi très bien se faire obéir quand arrive le moment de prendre une décision. «Parce qu’une fois que les choses ont été discutées et qu’une discussion a eu lieu, il faut que ça avance», sourit-il. Pas besoin de taper sur la table. Alors oui, ses pointes d’humour fusent et cela peut surprendre, mais le résultat est là. Pas besoin de dire qu’en politique, ce sont de vrais atouts. Y compris à Berne.

Des pépinières de talents

Il a le contact facile et intuitif, cet entrepreneur forestier qui a appris à être prudent, en forêt comme en politique. Il a soixante ans. C’est dire si des géants, il en a vu tomber. «Il ne faut pas mettre les gens sous pression. C’est comme ça que les accidents arrivent.» Alors il soigne la formation et fait pousser des pépinières de talents. Il a quarante employés, six à sept apprentis. «Quand des jeunes viennent pour un stage, je veux voir les parents. Pas question qu’ils restent dans leur voiture! Il faudrait que les parents s’impliquent un peu plus dans le choix des métiers.»

Sa PME est connue très loin à la ronde. «C’est l’une des plus grandes du pays et la première en Suisse romande, tu vois.» Il tutoie d’emblée. Chez lui, c’est une seconde nature comme chez d’autres grands tutoyeurs (Christian Constantin en tête du classement romand). Cela passe bien avec les journalistes. Alain Rebetez l’a remarqué lui aussi.

Fidèle à ses idées: non négociable

Entré comme «vient-ensuite» au National en juin 2022 – il succède à Isabelle Moret, ou bien à Frédéric Borloz, tous deux devenus conseillers d’État. On ne saura jamais vraiment lequel des deux il remplace. L’histoire du PLR Vaud ne le retiendra pas. À titre personnel, nous pencherions pour Monsieur Borloz, à cause de la terre et du terroir qu’on est censé trouver sous les semelles de l’ancien patron des vignerons, ex-syndic d’Aigle. L’essentiel, c’est qu’il soutienne à fond les PME. Et sur ce sujet, il se distingue. On a vu qu’il votait souvent les positions soutenues par l’usam. Il ne veut pas faire de jaloux, ce n’est pas le style de sa maison. Mais rester fidèle à ses idées, oui, cela ne se négocie pas.

La machine parlementaire, il saura, sinon la dompter, du moins la comprendre. Il repère vite où sont les clés. Ça se voit quand il se met au volant de l’un de ses monstres forestiers, l’une des quatre machines fabuleuses (qu’on appelle processeur) qui scient, ôtent les branches en moins de temps qu’il ne faut à une soirée de contemporains pour «poutzer» les cure-dents après un gueuleton.

Daniel Ruch découvre donc peu à peu les rouages du Parlement, mais on ne se fait pas de soucis pour lui. Après s’être activé une bonne décennie au Grand conseil vaudois (depuis 2012), ce syndic multirécidiviste dans sa commune de Corcelles-le-Jorat (depuis 2007 déjà) sait dénicher les consensus. Ou les construire!

Gustave Roud et le chœur mixte

On était sur la route pour aller voir l’une de ses machines. Et puis on fait un autre crochet pour aller voir la maison de Gustave Roud. Toute une vie que le poète de Carrouge a passée avec sa sœur Madeleine dans la ferme achetée par ses parents et où il a fallu se résigner à habiter. Pour ne plus vouloir la quitter. Des générations d’écrivains qui continuent à faire le pèlerinage. Ou bien à s’intaller pas loin (Jacques-Étienne Bovard). Un sentier didactique existe. La plaquette est vissée contre le mur. Et notre syndic d’ajouter qu’il a inauguré une école baptisée au nom de l’auteur d’ «Air de la solitude» et du «Petit traité de la marche en plaine».

Puis le téléphone sonne. C’est un directeur de chœur mixte qui aurait besoin d’un mécène pour un concert. «Je donne souvent pour les clubs sportifs, les associations, les clubs de foot, mais je tiens à voir les gens. Ceux qui vous envoient un e-mail, ça ne va pas.» C’est aussi tout ça, les PME en mode local.

Ça va cette campagne?

À propos de repas et de soutien – car déjà elle pointe son nez, cette campagne pour la réélection du conseiller national Daniel Ruch. Tout cela n’a pas l’air de trop l’inquiéter. Il a des vues sur une grande salle à Moudon. Cela permettra de recevoir quelques centaines de personnes. Fidèle à la devise selon laquelle il vaut mieux une salle plus petite mais pleine à craquer, qu’une grande salle à moitié vide. On sent qu’il aime bien ça, les campagnes politiques. Deux fois qu’il tente le grand saut à Berne, ce qui veut dire deux campagnes au compteur.

Il revient de loin. C’est l’une des premières choses qu’il raconte. Onzième d’une fratrie de douze. Placé dans une ferme parce que son père est malade et qu’il faut faire bouillir la soupe. Le métier de bûcheron arrive naturellement, le matin il «gouverne» (les vaches) et l’après-midi, il bosse en forêt. Puis un événement digne d’un Ramuz: un ouragan qui arrache tout dans la région en 1982 – bien avant Lothar (fin décembre 1999). Une aubaine pour se lancer!

Avec un collègue, il travaille ces montagnes de bois mort pour gagner sa vie. D’abord comme ouvrier tâcheron, puis comme indépendant. Du bois, du bois et encore du bois. La première voiture est échangée contre un tracteur – au grand dam de sa dame. Suit le premier dépôt, les premières machines.

Au fil des années, Daniel Ruch se met à acheter des forêts, puis il loue des appartements et exploite une station de lavage de voiture. Il dote aussi son entreprise de compétences spéciales dans la stabilisation biologique: aménager des lits de ruisseau avec des ouvrages en bois pour ancrer la forêt, lutter contre l’érosion des sols, lancer des travaux de réfection de berges et de routes. «La forêt pousse chaque année de dix millions de mètres cubes et nous pourrions en exploiter sans problème cinq millions de plus.»

François Othenin-Girard

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