Les 56es Journées romandes des arts et métiers se sont déroulées les jeudi et vendredi 22 et 23 juin 2023 au Palladium de Champéry sur le thème suivant: «Renforcer la politique en faveur des PME». Voici quelques reflets en paroles et en images.
10h30. Fabio Regazzi, président de l’usam. «Allocution d’ouverture»
Je vous souhaite à toutes et à tous une cordiale bienvenue dans ce beau village de Champéry. Nous allons parler de politique, le cœur de métier de l’usam. Les quatre grandes faîtières font campagne pour les élections fédérales – afin de renforcer la politique en faveur des PME. L’usam est une institution politique et elle continuera à l’être, contre vents et marées, en poursuivant sa collaboration avec les partis bourgeois. De cela dépend à long terme notre prospérité économique. Faisons vivre le débat démocratique qui fait la force de notre pays. Je vous laisse en compagnie de Pascal Schouwey, qui animera ces deux journées de débat.
10h40. Michel Santi, économiste et financier. «Pertes de la BNS et turbulences financières: quel impact sur l’économie?»
Sous les yeux, vous avez l’évolution des pertes et profits de la BNS de 2003 à 2023. Comment comprendre les 132 milliards de pertes en 2022? Une infime minorité de gens ont été choqués dans notre pays. 80 % des profits générés en quinze ans ont été anéantis en un seul exercice. Le pic du bilan de la BNS a été atteint en février 2002 avec 977 milliards de francs suisses. Soit 130 % du PIB suisse. Cette perte a suscité beaucoup de railleries et de suspicions. Certes, une banque centrale n’a pas pour but de générer des profits. Pour autant, les pertes de la BNS seront lourdes de conséquence et un facteur de volatilité. C’est non négligeable. Cela représente 15 000 francs par citoyen. Les fonds propres passent de 200 milliards (2021) à 66 milliards (2022).
La BNS n’est pas un acteur mineur au G20, elle compte au niveau global. Sa monnaie est une valeur refuge par excellence. Mais elle n’a que trois membres décisionnaires. Le comité exécutif de la FED compte 16 membres, 6 membres pour la BCE, 8 au Japon. Et la BNS, seulement trois. Pourquoi? J’ai assisté à des réunions du FOMC à Washington, parfois 60 personnes y assistent en plus des 16. Ce n’est pas le cas à la BNS qui estime qu’il n’y a pas suffisamment d’économistes qualifiés dans le pays. Même l’Islande, 372 000 habitants, compte cinq membres dans la direction générale de sa banque centrale.
Dès 2009, la BNS achète des euros pour enrayer la hausse du franc suisse. La version de la BNS des baisses de taux quantitatives. Cet argent créé a permis d’acheter des devises. Malheureusement, la BNS n’a pas eu le succès escompté. En deux ans, l’euro a atteint pratiquement 1,10. Le bilan de la BNS est passé entre 2009 et 2011, de 47 à 200 milliards de francs suisses. À l’époque, une concentration des risques est reconnue. Un cran supplémentaire a été franchi en septembre 2011: l’indexation du franc suisse sur l’euro au niveau de 1,20, niveau qui devait être protégé coûte que coûte. L’échec était programmé. Comment la BNS pouvait-elle prétendre rivaliser dans un marché des changes à 8 milliards? En 24 heures, c’est dix fois le PIB de la Suisse. Quelle prétention! Le franc suisse représente seulement 3 % des volumes échangés. Et la BNS voulait acheter des euros et des dollars pour investir de manière boulimique.
Quand j’ai publié mon livre, je n’ai trouvé nulle part en Suisse sur aucun site, comment ces pertes se sont produites. L’opacité était totale, j’ai dû aller chercher des informations aux États-Unis. Grâce à l’exigence de transparence américaine (formulaire 13F) de la SEC, j’ai trouvé des infos sur la BNS. À raison de 15 milliards par mois, la BNS a vendu ses positions en devises étrangères, dès le premier trimestre 2022. Or le timing était mauvais. Cela a coïncidé avec un effondrement. Le Nasdaq, dont la BNS était friande, a connu des pertes très importantes. C’est comme si la BNS était devenue un giga fonds d’investissement. Quand on compare le graphique du bilan de la BNS et celui des GAFA (fonds spéculatifs), le parallèle est frappant. Le portefeuille d’actions de la BNS a fondu au plus mauvais moment, à mesure que les bourses chutaient. Le formulaire 13F. Dès 2015, la BNS a investi massivement dans les start-up du pétrole de schiste, actuellement cela ne vaut plus rien, car ces entreprises ont échoué.
Les autres banques centrales investissent dans leur tissu économique régional. Même la banque centrale chinoise ne place pas sur les bourses américaines. Elle acquiert des bons du trésor américain. La BNS a investi dans Apple, Amazon et Tesla et vendu à perte en 2022. Les actions de Carvana ont perdu 90 % de leur valeur en neuf mois. Parlons de l’or, jusqu’en 1999, la BNS devait conserver 40 % d’or au minimum dans son bilan. 1300 tonnes ont été vendues en plusieurs fois. Dans le discours de Philipp Hildebrand en 2005, le prix est de 351,40 dollars l’once. En 2000, la BNS détenait 2600 tonnes d’or, 30 % des réserves US. Par trois fois, on a atteint 2000 dollars l’once. J’ai effectué le calcul. 1300 tonnes à 1950 francs. Nous obtenons un manque à gagner de 67 milliards de francs suisses! La BNS ne s’est pas démarquée par son sens du timing.
L’initiative sur le sauvetage de l’or de la BNS (qui exigeait que la part de l’or dans les actifs de la Banque nationale soit portée à au moins 20 %) avait suscité une levée de boucliers des autorités et de la BNS. Ce texte a échoué face au peuple le 30 novembre 2014. Pour la BNS, il fallait vendre le maximum d’or pour vendre l’idée du sauvetage du franc face à l’euro (PEG). Mais trois semaines après la votation, ce PEG a été abandonné! Thomas Jordan a même écrit dans une analyse que le PEG était une erreur. Au final, l’important n’est pas la perte, mais la légitimité de la perte de la BNS. Vendre la moitié de son stock d’or à ce prix est déjà en soi incroyable. Mais surtout, les investissements à risque ne sont pas légitimes.
La BNS a fait des choix politiques et s’est comportée comme juge et partie, pourquoi privilégier les bourses américaines pour placer l’argent des Suisses? Le quart du portefeuille titre américain était consacré aux 100 entreprises qui dégradent le plus le climat. Le total des investissements correspond au total des émissions de toute la Suisse sur une année. En Argentine, au Pakistan, les conséquences du climat se traduisent directement dans les résultats économiques. Les banques centrales ont leur rôle à jouer sur ces questions.
11h34 «Représenter les PME dans la politique économique». Débat: Pascal Schouwey (PS), Philipp Brégy, conseiller national (Le Centre/VS) (PB). Jacqueline De Quattro, conseillère nationale (PLR/VD) (JDQ). Pierre-André Page, conseiller national (UDC/FR) (PAP).
PS. Relations de la Suisse et l’UE, les PME, sont-elles négligeables?
PAP. Elles sont le tissu économique et il faut retrouver la façon de travailler en réseau. Y compris avec nos voisins. Ce qui nous permet de mieux former nos apprentis.
JDQ. Oui, mais on ne peut pas tout faire tout seul. On ne peut pas avancer sans un accord avec l’UE, les blocages nous empêchent d’avancer. Il faut nous garantir un accès aux marchés.
PB. C’est un sujet difficile. On a fait un premier pas, mais dans quelle direction? Il faut soutenir les PME qui exportent.
PAP. Sur l’électricité, on peut faire des conventions séparées, mais il faut un accord global. Il nous faudra importer beaucoup d’électricité.
PS. Forces de travail et immigration, oĂą en est-on?
JDQ. La population vieillit, la démographie renforce le phénomène. L’immigration sera incontournable, mais pour des gens qui viennent bosser. Cela va être compliqué au Parlement. Des idées existent, comme la Green Card. Il faut aussi valoriser les filières professionnelles.
PS. Dans l’agriculture aussi?
PAP. On veut aussi gérer l’immigration. Nous voulons éviter les profiteurs qui viennent pour utiliser les services sociaux. On pourrait réintroduire des quotas. On veut éviter une Suisse à 10 millions d’habitants. On a des écoles d’agriculture pleines, mais pas assez de domaines à exploiter. Ensuite, ces jeunes vont travailler dans des bureaux d’études.
PB. On a besoin de gens qui travaillent dans les métiers de l’hôtellerie-restauration, par exemple. Dans nos cantons touristiques, nous avons besoin de main-d’œuvre étrangère et il faut trouver un système pour aller de l’avant. Nous devons améliorer la flexibilité.
PS. Avec le virage de l’intelligence artificielle, quels nouveaux métiers?
PB. Les travaux au bistrot, à l’hôpital et dans l’agriculture n’en profiteront pas. Il faut donc inciter les gens à choisir de tels métiers. Et travailler pour renforcer l’apprentissage.
JDQ. Cela ne remplacera pas l’humain. Je n’ai pas envie d’être accueillie par un robot dans un hôtel. Il faut attendre deux mois pour faire réparer son store.
PS. Nouvelles réglementations? Sur le climat?
PAP. J’espère que nous allons pouvoir faire face à la prochaine avalanche de réglementations. Les gens ont déjà fait beaucoup pour aller dans ce sens.
JDQ. La décarbonisation progressive, nous ne pouvons pas la refuser. Mais pas avec des interdictions et des taxes, comme le peuple l’a montré avec la loi sur le CO2. Il ne faut pas que les Verts reviennent par la petite porte.
Questions de la salle
Sur l’aménagement du territoire?
PAP. Hors zone à construire, je me bats depuis 2015 pour utiliser les possibilités existantes. On a perdu pour dix voix, et à cause de l’Union suisse des paysans. C’est l’une de mes défaites les plus difficiles.
JDQ. C’est un sujet épineux. À Montreux, un projet de densification a été refusé. Il faut concilier les intérêts publics sur un même territoire. Je suis optimiste sur notre capacité à apprendre de ce que nous avons vécu politiquement, mais les conflits d’intérêts me semblent programmés.
François Othenin-Girard