Parmi les entreprises déjà présentes à Saint-Aubin (FR), l’une produit des insectes, une autre de la spiruline, une troisième des macarons qui fleurent bon.
Les atouts de ce parc technologique ne manquent pas. Sur son dépliant, le Swiss Campus for Agri & Food Innovation (AgriCo) incite les entreprises, PME et start-up qui souhaitent innover dans l’agroalimentaire à rejoindre «la communauté du campus AgriCo. Un espace pionnier qui favorise les échanges et les synergies afin de trouver plus que ce que vous cherchez. De l’idée à la réalité, du labo aux tests en champs, de la ferme à nos assiettes.»
Visite et interview avec Mélanie Costinas, responsable de la gestion du site qui nous conduit devant une grande maquette posée sur une table basse. On le voit tout de suite, la place pour les entreprises ne manquera pas!
JAM: On commence la visite par un coup d’œil à cette grande maquette qui représente aussi l’avenir du site?
Mélanie Costinas: On y voit certains bâtiments existants, dont certains ont déjà été rénovés, comme celui dans lequel nous nous trouvons. Et d’autres en voie d’être construits. Sur cette maquette figure aussi les espaces prévus et en attente de légalisation et d’autres bâtiments qui pourraient pousser à l’avenir, en fonction de la demande. Les travaux devraient se poursuivre au moins jusqu’en 2030. Déjà 27,7 ha de zone d’activités ont été légalisés: dans le détail, 15 ha de surfaces industrielles construites et 3,6 ha d’espaces collectifs et naturels.
Le site se veut exemplaire en matière d’environnement?
À terme, nous disposerons sur place de toutes les énergies 100 % locales et durables. Nous allons construire une STEP, ce qui représente un énorme plus pour les entreprises qui ne devront pas en construire une. Cette STEP – la mutualisation des services est au cœur de notre stratégie – permettra aussi de traiter les eaux usées des communes environnantes.
Sur le site, il y aura des navettes pour transporter les gens. Une zone centrale sera piétonnière. Les camions et transporteurs feront le tour de tout le quartier après leur sortie de l’autoroute. Nous aurons des recharges pour les voitures électriques. Des panneaux solaires sur l’ensemble du site injecteront dans un microgrid une partie du courant nécessaire pour le site. Nous avons un partenariat avec Groupe E dans ce sens.
Nous encourageons la mobilité douce et le covoiturage. Quant au transport public, une ligne de bus s’arrêtera directement sur le site depuis la gare de Domdidier. Nous avons prévu des stations de vélos, des voitures en car-sharing. Quant aux navettes sans conducteur, il faudra attendre que la route soit terminée!
Ce site de Saint-Aubin nous plonge au cœur de l’histoire chimique et pharmaceutique du pays. Comment les choses se sont-elles passées?
C’est l’entreprise chimique Ciba-Geigy qui achète en 1964 une parcelle de 125 hectares (ha) en rase campagne, au milieu des champs et construit sur d’anciens marais à Saint-Aubin (FR) un «centre d’étude agricole pour la recherche».
C’est l’architecte Uli Huber du bureau zurichois Zweifel & Strickler qui gagne le mandat. Les travaux sont réalisés en deux temps, les infrastructures et habitations de 1967 à 1968, date à laquelle Fridolin Beglinger, paysagiste, aménage avec les architectes des espaces verts sur le site. Il faut encore deux années pour construire les bâtiments du centre de recherche, finalisés en 1970.
On passe ensuite à la période Novartis et post-Novartis?
En 1996, les sociétés Ciba-Geigy et Sandoz fondent Novartis. Cette dernière reprend le site et change son affectation en le dédiant à la santé animale. Cette activité impliquait des tests sur divers animaux pour la mise au point de médicaments et n’a pas manqué de déclencher des controverses. Finalement, le groupe américain Elanco qui reprend la division de santé animale de Novartis en janvier 2015. Suite à une restructuration, Elanco regroupe ses compétences sur son site de Bâle.
Le site de Saint-Aubin est alors fermé et 80 postes sont touchés. Le site est mis en vente et c’est l’État de Fribourg qui le reprend en 2016. La réflexion commence pour mettre en valeur ce qui devient rapidement une friche industrielle à protéger. Une partie du site fait l’objet d’une protection.
Intermède. Cela fait penser au site d’Ilford (ex-site Ciba) à Marly fermé en 2013 ou au site industriel dit de la Maillarde à Romont suite à la fermeture de Tetrapack en 2016: un site où Rolex s’installe en attendant la construction de sa future usine à Bulle. En nous promenant sur le site, on découvre des bâtiments abandonnés, certains dans leur jus. Le contraste entre les bâtiments rénovés et le reste de la friche est marquant.
Quelles ont été vos premières impressions, vous qui étiez longtemps active chez Nestlé et à l’international en Irlande, pour un fournisseur de câbles téléphoniques?
Lorsque nous sommes arrivés, tout était en place comme si les humains avaient disparu d’un seul coup: il y avait le local des pompiers avec tout le matériel – que nous avons pu leur rendre – le local pour l’entretien du matériel ou mon collègue Hubert Piccand travaillait, les machines, les salles où les animaux étaient gardés. Beaucoup de choses étaient sales et en mauvais état.
Bref, en 2016 nous n’avions qu’un seul bâtiment à mettre en valeur. Nous avons alors fait un concours à l’international pour accueillir des start-up. Cela nous a permis de remettre un peu de vie sur le site. Ensuite, nous avons pu peu à peu commencer à rénover les bâtiments au fur et à mesure.
C’est compliqué à rénover, le béton qui date des années soixante?
Oui et comme une partie des bâtiments est protégée, la rénovation a dû se faire à l’identique, en respectant les toits couverts de grands U en béton, les couleurs qui étaient utilisées lors de la construction. Les bâtiments ont aussi été isolés, éclaircis, à l’image de cette cafétéria.
Le bâtiment de l’accueil dans lequel nous nous trouvons était celui dans lequel se trouvaient les directeurs de Novartis. Nous l’avons gardé comme bâtiment administratif pour y organiser des séances. Ces locaux peuvent être utilisés par les entreprises présentes sur le site ou extérieures. Certains bureaux ont été loués à l’année, mais leurs occupants déménageront au fur et à mesure que certains bâtiments seront rénovés.
Quelles entreprises sont déjà présentes?
Sur le site, on trouve par exemple SQTS, Service suisse de gestion de la qualité, qui a déplacé de Courtepin à Saint-Aubin ses laboratoires de contrôle de la qualité des produits alimentaires et non alimentaires. Il y a aussi Maison Amarella, qui produit des macarons. Autrefois artisanale, elle est en train de se développer. Nous hébergeons une entreprise, Low Impact Food, qui produit des produits à base d’insectes, apéro-snacks, granola. Et une autre, MaSpiruline, qui a mis au point des produits à base de spiruline, comme du chocolat, des exemples parmi d’autres.
N’importe qui peut présenter un projet?
Nous vivons actuellement une situation transitoire. Le site, et c’est sa mission, n’accueillera à terme que des entreprises actives dans l’agro-alimentaire. En attendant les rénovations, d’autres secteurs peuvent profiter des espaces ou s’accommoder de solutions provisoires dans des bâtiments qui seront détruits.
En revanche, AgriCo peut accueillir des prestataires de services actifs en dehors de l’agroalimentaire, c’est un plus pour les entreprises qui sont déjà sur le site. Nous avons déjà une fiduciaire, une agence de placement et des conseillers en fortune. Des cours de pilates sont organisés. Nous ouvrirons à terme un restaurant d’entreprise. À l’entrée, nous prévoyons un centre de soins avec une naturopathe, des commerces pour vendre les produits du site et ceux de la région. Et plus tard, une crèche, mais seulement lorsque les travaux seront terminés.
Interview: François Othenin-Girard
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