Publié le: 1 octobre 2021

Baisse de vélocité de la monnaie

INFLATION – Selon les analyses empiriques présentées par Maxime Botteron, économiste «Analyse conjoncturelle Suisse» au Credit Suisse, le risque de forte hausse des prix reste limité. Une croissance de 3,5 % est attendue en 2021 et de 2,5 % l’année prochaine.

La pandémie joue les prolongations et se reflète dans les chiffres de l’économie. Dans la présentation annuelle de CS sur les prévisions économiques qui s’est tenue en ligne mi-septembre. L’occasion de rappeler d’emblée qu’on risque d’y trouver quelques temps encore, «du sable dans les rouages». Pour Maxime Botteron, économiste Analyse conjoncturelle Suisse, les prévisions chiffrées s’en ressentent. Si l’économie suisse se montre assez stable en juin – en glissement annuel – les prévisions pour 2021 n’ont pas changé et les économistes de CS misent toujours sur une croissance de 3,5 % du PIB. En revanche, pour 2022, les calculs ont été revus à la hausse, soit 2,5 % au lieu de 2 %.

Frais de production, délais...

Premier thème abordé: la reprise, où en est-on? Dans de nombreux secteurs, la réouverture se poursuit en s’adaptant à cette nouvelle situation, en se contorsionnant suivant des mouvements contradictoires. Car sur le marché des biens, la demande s’est avérée robuste. La croissance est forte également dans les machines et les métaux. Ce boom industriel n’est pas réservé à la Suisse, mais bien présent au plan global.

«la moitié des entreprises interrogées surpondèrent les fournisseurs en suisse et en europe – au détriment de l’asie.»

Le frein, toutefois, semble lié à ces fameux «goulets d’étranglement» qui préoccupent les PME romandes depuis quelques mois. Les conséquences de cet état de fait sont un accroissement des frais de production, un allongement des délais – en particulier s’agissant des commandes de matières premières. Ce mouvement tend donc à freiner un peu la croissance. Pour Maxime Botteron, une certaine normalisation devrait voir le jour en 2022.

Plus globalement pour la Suisse, les derniers trimestres «pandémiques» (en comparaison avec le 4e T 2019) ont montré une belle capacité de résistance – en partie liée au fait que les mesures liées à la pandémie ont été moins restrictives que dans d’autres pays et régions économiques. On peut donc parler d’une vraie reprise: «Les indices hebdomadaires du SECO ont déjà dépassé les niveaux d’avant le début de la crise, confirme l’économiste.»

Après la réouverture en T2, il reste donc une certaine incertitude pour T3 et T4. Le tourisme (comprenant également l’hôtellerie et la restauration) est encore très en deçà des niveaux moyens, mais la pharma, l’industrie et le commerce ont rejoint leurs moyennes ante-Covid-19.

Emploi et consommation

Le marché du travail s’est lui aussi repris: «Le rebond dû à l’embauche est bien visible. Le taux de chômage baisse progressivement et devrait s’établir à 2,5 % vers la fin 2022, prévoit Maxime Botteron. Cette dynamique soutient également la croissance de la consommation des ménages.»

Les difficultés liées aux livraisons tendent à freiner le boom industriel. C’est confirmé par l’indice des directeurs d’achats des entreprises industrielles suisses: pour 70 % d’entre eux, la situation actuelle se caractérise par des délais de livraison plus longs et une hausse de prix d’achats. La moitié des entreprises interrogées ont réaménagé ces chaînes en mettant une plus grande pondération sur les fournisseurs en Suisse et en Europe – au détriment de l’Asie. Un rééquilibrage est prévu entre les secteurs. Même si la demande en biens, qui avait connu une forte croissance pendant la crise (meubles, frigo, fitness domestique, jardinage) ne devrait pas se tasser aussi vite que prévu (en raison des goulets d’étranglements), un certain rééquilibrage en faveur des services devrait avoir lieu, mais à un rythme plus lent, car un rattrapage complet des services non consommés n’est matériellement pas possible (typiquement: le nombre de repas pris dans les restaurants).

«la baisse progressive du taux de chômage devrait soutenir la consommation des ménages.»

Dans l’ensemble donc, l’économiste s’attend pour 2022 à une poursuite de la reprise, portée par le marché du travail et la consommation. Les restrictions introduites ou réintroduites affecteront encore certains secteurs, comme le tourisme, la restauration, les voyages, les grandes manifestations. L’équipe de CS, légèrement en dessous du consensus, table sur une croissance de 3,5 % en 2021 et de 2,5 % en 2022.

Inflation: analyses empiriques

Faut-il s’inquiéter de l’inflation? Tel était le thème du sujet spécial de cette présentation. L’analyse de CS porte sur l’ensemble des pays industrialisés. Prenant en compte les sautes de prix actuelles, les dépenses publiques importantes de cette période, la politique monétaire expansionniste des banques centrales, des facteurs qui ont suscité des craintes d’inflation. Les analyses empiriques présentées par Maxime Botteron montre une accélération en T2 qui se poursuivra probablement en T3 à un rythme comparable voire plus élevé. «Mais dans l’ensemble, nous ne voyons pas là de quoi s’inquiéter. Au cours des dix dernières années, la relation entre masse monétaire et inflation a considérablement faibli. Le risque de voir se former une spirale salaires-prix au regard d’une trop forte demande est faible en Europe et en Suisse. Les risques d’inflation sont tellement faibles que la Banque centrale européenne et la Banque nationale suisse n’envisagent pas de relever leurs taux directeurs dans un avenir proche et donc maintiennent les taux négatifs.»

Et Maxime Botteron de souligner que le peu d’inflation qui subsiste est en grande partie du à l’augmentation des prix du pétrole. Sans ce facteur, elle serait encore bien plus faible. Alors quels sont les risques réels du côté pétrolier? «Au niveau de la demande de pétrole, le ralentissement de l’économie chinoise et la résurgence de cas de Covid-19 rendent la situation à court terme incertaine», estime l’économiste.

«Le prix du pétrole devrait légèrement baisser au cours des 12 prochains mois.»

«Cependant, poursuit-il, la demande devrait rester assez solide en 2022, voire s’améliorer encore. Concernant l’offre, d’une part l’OPEP+ (Russie incluse) augmente progressivement sa production, notamment pour maintenir ses parts de marché. D’autre part, les pays producteurs non-membres de l’OPEP devraient aussi augmenter leur offre. Cela devrait entraîner un rééquilibrage des stocks. Le prix du pétrole devrait légèrement baisser au cours des 12 prochains mois.»

Dans la foulée, l’économiste précise que le prix du Brent actuel était de 73,6 dollars US (clôture 15.09.21) avec prévisions à trois mois à 73 USD et à 68 dollars à 12 mois. Aux États-Unis, où la politique est plus expansionniste, le risque n’est selon lui pas beaucoup plus élevé. Mais au fond, pourquoi cette corrélation entre la croissance du numéraire et l’inflation – jadis mise en évidence par l’économiste Milton Friedman (1912-2006) – a-t-elle fortement baissé depuis 2011?

Que s’est-il passé? Selon Maxime Botteron, cette situation est due à une baisse de la vélocité de la monnaie qui joue à raison contraire de l’augmentation de la masse monétaire sur le niveau des prix. «Les taux d’intérêts ayant baissé, les coûts d’opportunité sont également plus faibles, ce qui diminue d’autant les incitations à investir. En résumé: moins de réinvestissements, donc moins de transactions, donc moins de monnaie échangée, donc pas d’accélération de l’inflation.»

Pour le mettre en évidence, les économistes de CS ont construit un «taux d’intérêt fictif», objet complexe calculé à partir des multiples instruments et mesures prises par les différentes banques centrales.

Les taux d’intérêts ayant baissé, les coûts d’opportunité sont également plus faibles, ce qui diminue d’autant les incitations à investir.

Or cet assemblage complexe, ce taux fictif, est actuellement nettement en dessous du taux d’intérêt (normal) d’équilibre (du marché). D’une certaine manière, si l’on ose résumer, la résultante de toutes les mesures produit un panorama encore moins encourageant aux yeux des investisseurs que les taux d’intérêts «officiels».

Il faudrait donc massivement plus de monnaie en circulation pour que l’augmentation de masse monétaire influence malgré tout les prix au sens friedmanien.

François Othenin-Girard

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