Publié le: 1 octobre 2021

Born-global: succès confirmé

RICO BALDEGGER – Ancien de Saint-Gall, serial entrepreneur et directeur de la HEG de Fribourg, il fonde l’Institut entrepreneuriat et PME. Spécialisé dans les jeunes pousses à croissance ultra rapide, il prend leur pouls, analyse leurs méthodes et décortique leur culture d’entreprise.

JAM: Rico Baldegger, Ă  quoi ressemble cette sortie de crise pour les PME et les start-up?

Rico Baldegger: Le creux dans la croissance des PME est net.Contrairement aux craintes, le taux de démarrage, ou activité entrepreneuriale totale (AET) n’aura été en 2020 que légèrement inférieur (9,24 %) à celui enregistré en 2019 (9,77 %). En 2021, selon nos observations, les PME et les créateurs d’entreprises se sont bien repris.

Où en est-on avec la motivation des créateurs d’entreprises aujourd’hui?

Il y a un truc spécial en Suisse. Chez nous, la motivation de créer une start-up par nécessité n’apparait pas comme prioritaire. Un autre moteur influence cette démarche, à savoir la création par opportunité. Cela se voit particulièrement dans les domaines scientifiques. Il y a également une composante «life style». C’est un nouvel état d’esprit en Suisse. Swisscom, le Groupe Bühler, La Mobilière, pour ne citer que quelques exemples, trouvent «cool» d’investir aujourd’hui dans les start-up, afin d’observer l’innovation en marche. C’est en vogue. Cela dit, la Suisse tend quand même à rester confinée dans sa zone de confort.

Pourquoi? À quoi cette attitude est-elle due?

Ce qui le montre, c’est la proportion d’étudiants en fin de cursus qui excluent de créer une entreprise, qui est beaucoup plus élevée qu’à l’international (36,9 % en CH contre 26 % à l’international). Pourquoi se lancer alors que je pourrais avoir un job bien payé, des vacances et d’autres avantages. Cela pourrait changer avec une génération Z qui semble plus orientée business, ce que nous constatons auprès de nos étudiants.

Cette attitude menace-t-elle l’esprit entrepreneurial?

Bien sûr, la pandémie et ses incertitudes influencent également la perception. Cela dit, l’âge joue aussi un rôle, comme le montre une étude récente sur le «Mythe de Mozart»: en matière de création d’entreprises, les jeunes surdoués ne représentent qu’une forte exception. En fait, la classe d’âge des 35 à 44 ans sont ceux qui ont le plus de succès. Il y a là une piste à approfondir: la formation continue à l’entrepreneuriat pour ceux qui ont 40 à 50 ans et souhaitent se lancer.

C’est surprenant. Quels sont leurs atouts?

Avec leur réseau et leur expérience, avec les mauvaises expériences qu’ils ont pu faire ou croiser, ils sont aussi plus forts dans la partie opérationnelle. C’est une tendance générale et la proportion est la même aux États-Unis, ce qui est en soi très intéressant: la classe d’âge qui a le plus de succès outre-Atlantique est celle des 35 à 40 ans.

Qu’en est-il des entreprises qui naissent directement à l’international, ces fameuses born-global dont vous nous décriviez le succès en 2009. Est-ce que cela se confirme dix ans après?

Oui, le succès des born-global se confirme en Suisse, car vu la taille du marché, à un moment donné on est obligé d’aller à l’étranger. Alors, pourquoi pas dès le début? Leur pourcentage a du reste sensiblement augmenté, notamment à proximité des pôles de compétences. Leur grande vitesse de croissance est frappante! Une année seulement après leur création, les plus rapides s’activent déjà dans onze pays et au minimum sur deux continents en une année. C’est une bonne nouvelle pour la Suisse car cela montre que nous avons un très grand potentiel au niveau international – et donc un rôle certain à y jouer!

Comment les PME se lancent-elles à l’international?

Elles agissent un peu comme les grandes entreprises et les multinationales, c’est-à-dire recherchant avant tout à s’implanter dans un «hub», elles choisissent comme point de départ des villes globales, comme Singapour pour l’Asie du Sud-Est ou São Paulo pour le Brésil. Elles y trouvent des compétences, des conseils juridiques et financiers, cela les rassure.

Vous avez souvent mentionné le «triangle de la réussite» (croissance, innovation et culture d’entreprise) comme base du succès des born-global. Pour la Suisse, quelle est la composante déterminante?

La culture d’entreprise, sans conteste. La Suisse romande a l’avantage au niveau entrepreneurial d’être marquée par la culture américaine, les biotechnologies. La langue française et ses réseaux lui ouvrent certainement des portes en Amérique latine et en Afrique. C’est avec ce type d’atouts que l’on fait la différence. La culture d’entreprise à l’international ne se limite pas à la maîtrise d’une langue, mais elle implique de pouvoir s’appuyer sur des gens qui connaissent le pays au plan opérationnel et sont capables de faire avancer des projets. En Suisse alémanique, cette même dimension culturelle favorise les relations avec l’Allemagne qui reste la locomotive. Les start-up du Plateau disposent là d’un avantage comparatif alors que la Suisse romande reste plus proche des États-Unis.

Comment mettez-vous en pratique cette internationalisation Ă  la HEG de Fribourg?

Notre haute école cultive des liens avec le Mexique et nombre de ses entreprises. Dans notre staff, des gens parlent couramment le mandarin. Nous encourageons nos étudiants à effectuer une partie de leurs études et leurs stages en entreprise à Singapour et en Australie, et nous accueillons les étudiants de ces régions dans le même but. À la fin, cette expérience est validée par un double diplôme. Ces temps, nous sommes en train de nous accréditer à l’international dans un club qui constitue la «Champions’ League» des business schools. Actuellement, quatre hautes écoles en Suisse allemande en font partie et l’IMD en Suisse romande, mais cette dernière se focalise sur la formation continue. Donc Fribourg serait la première en Suisse romande à accréditer des programmes bachelor et master!

Les jeunes générations poussent sur la durabilité, le climat, l’impact énergétique: qu’observez-vous pour votre part?

Que cette tendance se confirme fortement et qu’à mon avis, elle n’est pas près de reculer. Nous enregistrons un nombre croissant de projets d’étudiants dans les domaines durables. C’est flagrant de voir à quel point l’économie circulaire, les questions liées à la nourriture et à la traçabilité, les textiles et les provenances, ainsi que toute la partie concernant la santé et le bien-être, montent en force. Nous avons de grandes cartes à jouer sur ce terrain car finalement, ce n’est pas une question de taille ou de technologie. C’est avant tout une question de persuasion. Les projets entrepreneuriaux qui sont persuadés et persuasifs – ont plus de succès!

Quels effets les aides sectorielles ont-elles sur l’envie de créer une entreprise?

Elles contribuent à créer du lien entre les PME et les start-up. Leur effet est donc stabilisant sur le long terme, car elles permettent des échanges entre personnes, des échanges d’information, des partages lorsque les soumissions se font ensemble. Il y a tellement à gagner en collaborant!

Quel est le risque n° 1 pour les entrepreneurs aujourd’hui?

L’innovation dans les R&D (recherche et développement) a été un peu négligée. Tout le monde était occupé à faire un tas d’autres choses. Les aspects culturels liés à l’innovation ont été impactés par le télétravail. Les collaborations ont ralenti et cela crée aujourd’hui un effet de rattrapage.

L’effet de la pandémie sur les transmissions d’entreprises?

Les successions d’entreprises seront à l’avenir beaucoup plus marquées, voire conditionnées, par la capacité de l’entreprise à faire évoluer toute son approche vers le numérique. Pour une PME dont la numérisation n’est pas le point fort, la transmission à des générations plus sensibles à cet aspect sera bien plus rude: outils, rapport aux clients, marketing, tout sera revu. Le degré de numérisation est encore médiocre en Suisse. On tend à surestimer le travail réellement fait. On est là au cœur de la dimension culturelle: il faut convaincre les décideurs. Nous avons lancé des formations mais elles n’ont malheureusement eu qu’un écho limité. Je regarde donc ce sujet avec un brin de scepticisme.

Interview: François Othenin-Girard

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