Publié le: 13 août 2021

Boudu bien sauvé des eaux

estivales – Les randonneurs cet été ont trouvé refuge sur les sentiers épargnés par la montée de l’élément liquide. Il a fallu parfois composer et emprunter d’autres itinéraires – sans aucune garantie de rester au sec. Mais c’est aussi le sel de la vie, ces imprévus, ces chemins détournants, ces traverses sauvages.

À force de se rendre au port pour regarder où on en est, on finit par se lasser de voir les eaux remonter peut-être, peut-être pas, un centimètre par heure, vers le haut, puis vers le bas. La montagne étant elle-même gorgée à souhait par les liquidités estivales, il n’était pas souhaitable, de l’avis éclairé de nos spécialistes, de se rendre sur nos sommets et de risquer sa vie entre deux coulées de boue.

Dans les régions lacustres, les gouvernements cantonaux concernés ont proscrit la navigation en invoquant un argument fatal: «Comme les autres ont pris cette décision, on était bien obligé de suivre. Promis on fera mieux la prochaine fois.» Je ne cite personne, même si ce n’est pas l’envie qui manque. L’inter­diction par mesure de précaution semble dont être devenue – après la pandémie – une manière de s’affirmer pour les cantons soucieux de ripoliner leur bilan politique.

Pour sublimer les frustrations de vacances passées à quai, de nombreux «plaisanciers» comme moi ont chaussé leurs grolles pour aller marcher sur le plateau.

Un lac de boue en pleine forĂŞt

Le plateau, c’est un refuge bien helvétique. En semaine et aux heures creuses, il paraît même désertique. Il est possible de s’enfiler des kilomètres en ligne droite entre des champs de betterave, de maïs, de pommes-de-terre. «Il faut suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant», aurait lancé un André Gide marcheur de l’impossible, transpirant en plein cagnard et coiffé de son chapeau d’explorateur. Une expression qui prend tout son sens cet été. Il faut monter tout en restant à plat!

Se lancer au hasard en évitant les rives envahies par l’élément liquide ne garantit pas au promeneur de rester au sec. Ce dernier s’expose également aux nappes phréatiques qui se sont rappelées sournoisement à nos mémoires géologiques nau­fragées. «Ah oui, tiens! Cela doit être une nappe phréatique», lorsque surgit un lac de boue dans une innocente forêt qui jusqu’ici présentait tous les signes d’une bonne sécheresse. Un incident qui, en se répétant souligne à quel point des zones innocentes peuvent se remplir d’eau. En catimini.

«Sauver ce qui peut l’être»

Contre ces imprévus qui ne vont pas disparaître du jour au lendemain, deux outils sont indispensables dans votre besace. D’abord garder le sourire et se dire que, au fond la boue c’est sain: on l’utilise depuis des millénaires pour soigner des entorses et des tas d’autres choses. Ensuite, une paire de tongue ou de nu-pieds, c’est une question de goût, fera bien l’affaire. Au moment de franchir le canal de la Broye, entre les lacs de Morat et de Neuchâtel, croisé une jeune fille à bicyclette, tout de blanc vêtue, rouge de rage. Face à elle, les pieds dans la boue, sa mère tentait de garder sa dignité et de convaincre sa progéniture de «passer sur l’autre rive». Choisir les rives du lac de Neuchâtel entre Estavayer-le-Lac et Cudrefin, c’est s’engager dans la Grande Cariçaie sur un sentier bardé d’interdictions et qui, de manière inattendue, est redevenu très sec. L’absence d’eau se fait voir après une semaine de bise. Témoin, cette paysanne qui binait quelques rangs de betteraves, tentant, comme elle me l’a expliqué, «de sauver ce qui pouvait l’être». Quel courage, il faisait plus de 40°C dans ce champs.

Libellule à l’agonie

La marche dans des endroits inattendus est une source permanente d’étonnement. «Spotté» un chevreuil qui croquait des poires vertes dans un verger, moi-même bien plus impressionné que lui! Plus tard, trois campagnols bondissaient des champs dans les fourrés. Et plus tard, des champs de framboisiers à perte de vue. Où? C’est top secret!

Et pour ceux qui aiment les histoires d’animaux: rencontré sur un chemin agricole une libellule qui, couchée sur le dos, présentait tous les signes de l’agonie, ouvrant et fermant sa bouche. Au lieu de lui donner l’extrême onction – n’étant pas qualifié – je l’ai rafraîchie. Revenue à elle, elle a bu à longs traits et puis s’est envolée en chantant à tue-tête comme France Gall: «C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup!» Bzzz!

François Othenin-Girard

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