Publié le: 4 mars 2022

Ces héros de l’Ouest biennois

NURISSA – À la tête de la société qui produit en Suisse tous ses automates à café et à friandises, Joël Pauli, représentant de la troisième génération, revient sur la trajectoire de cet ancien fournisseur de Selecta qui aura gagné son indépendance à force d’innover et de suivre la migration de ses clients.

La photo a été prise en 1967 dans la zone industrielle des Champs-de-Boujean (Bözingenfeld) à la sortie de Bienne en direction de Granges. Publiée dans l’historique de l’entreprise Nurissa SA, elle montre en noir et blanc les premiers bâtiments Pauli, qui l’hébergent depuis sa naissance – toute seule ou presque face à un paysage en friche.

Dans le grand Ouest biennois, cette PME produit localement des distributeurs de café et de friandises. Elle aura vécu d’immenses mutations. À commencer par la révolution industrielle et horlogère, le développement d’un macrocosme horloger sanctifié par l’arrivée des paquebots de la Rolex – amarrés à quelques encâblures – et qui allait donner vie, en se diversifiant, à une pépinière de microcosmes (microtechnique, machines, outils, traitement de surface).

Le petit-fils et le patriarche

Nous avons rendu visite à Joël Pauli (35 ans), représentant de la troisième génération qui a repris il y a une décennie l’entreprise fondée par son grand-père Willy Pauli en 1962. Le patriarche, 88 ans fin mars, s’est même fendu d’une petite visite en fin d’interview, lui qui s’occupe depuis le début de sa retraite de tout un parc immobilier après avoir remis ses deux entreprises à ses deux fils, et qui ne pouvait se résigner à ne rien faire.

Parmi les autres métamorphoses sociétales auxquelles Nurissa aura assisté, figurent celles qui concernent les habitudes de vie au travail dans les usines et les entreprises. «Dans les années soixante, puis septante, les gens ont commencé à regarder la télévision le soir, raconte Joël Pauli, le directeur actuel. Ils étaient fatigués le matin au travail et les patrons se sont décidés à installer des automates à café. Des extraits de chicorée, on est passé à l’instantané, puis aux capsules, dont l’arrivée a été vécue comme une augmentation de salaire dès 2005, résume le petit-fils du fondateur. Dernier développement en date, juste avant la pandémie, le retour du café en grain, avec du lait frais, ce qui permet d’offrir tous les raffinements, capuccino, latte macchiato, laits à la fraise… pour le prix de 70 centimes à 1 Fr. 50 par tasse.»

La philosophie PME

Il faut savoir être vendeur pour progresser dans ce marché dominé par des géants. «Pour moi, la vente commence dès que l’on reçoit un non», sourit Joël Pauli. Après une trajectoire par HEC Lausanne, puis KPMG, il décide de reprendre la direction de l’entreprise au décès de son père en 2012. «Il a choisi de quitter cette vie. Ce fut très dur. Par chance, j’ai pu compter sur mon grand-père pour apprendre la philosophie d’une PME. Il m’a enseigné à passer trois jours par semaine hors de l’entreprise, proche des clients. Et à penser mon rôle de directeur d’abord comme celui d’un collaborateur de l’entreprise.»

À Bienne et dans toute la région, 90 personnes entretiennent avec soin et rechargent chaque jour (parfois plusieurs fois par jour) ces milliers de machines qui, toutes les 15 secondes, peuvent servir un nouveau gobelet de café. «Nous travaillons le plus souvent avec des mères au foyer. Et elles finissent par s’identifier complètement à l’entreprise dans laquelle elles interviennent.» La Nurissa a aussi suivi ses clients pour élargir ses territoires, au gré des acquisitions et des nouvelles implantations, finalement dans toute la Suisse.

Produites en Suisse à Sugiez

Ancienne cliente de Selecta, Nurissa a conquis son autonomie et ses parts de marché à force d’innover face à sa principale concurrente. Cette dernière – rachetée par la Mercure à Berne, a commencé par ne plus produire ses machines en Suisse et après quelques acquisitions, terminé sa course dans le portefeuille d’un fonds américain bien endetté (KKR). «Par chance, mon grand-père avait une seule action de la Selecta et il a dû se faire bien prier avant de finir par la vendre au prix fort, raconte son petit-fils. Avec ce montant, nous avons pu soutenir la production de nos propres machines avec Günter Braumann, l’ancien chef de production de Selecta qui avait décidé de se mettre à son compte.»

Par comparaison, Nurissa est un petit acteur qui continue de produire ses machines en Suisse – chez Braumann précisément, à Sugiez – et de les assembler à Bienne. «Nous avons multiplié les partenariats technologiques et commerciaux – Franke pour les machines à café, La Semeuse pour le café – afin de monter en gamme et développer notre attractivité, ajoute Joël Pauli. Notre entreprise est également agent Nespresso depuis la création de la marque en 1986.»

Des milliers de machines (avec ou sans contrat d’entretien) offrent dans tout le pays ce fameux «carburant des collaborateurs». Outre la production des automates finalisées à Bienne, le siège des Champs-de-Boujean abrite les stocks de produits, dont les fameux gobelets en carton qui font ces temps défaut – c’est l’une des pénuries actuelles qui pose problème car plus personne ne souhaite utiliser de gobelets en plastique. Autre rupture de stock, celle qui concerne les puces électroniques (lire aussi p. 16) dédiées aux moyens de paiement – lorsque les automates fonctionnent avec une clé en plastique.

Pour faire vivre son réseau, l’entreprise biennoise compte une flotte de véhicules. Une succursale à Neuchâtel s’occupe du reste de la Suisse romande. Les véhicules électriques ne permettent pas encore d’obtenir toute l’autonomie nécessaire.

Jeunesse et disruption

La troisième génération aura vu l’essor des capsules Nespresso, puis du café en grain. Elle aura aussi osé – c’est le terme qui s’applique aux jeunes qui montent – innover dans le secteur des fontaines à eau. Un peu envers et contre tous, disons-le d’emblée. «Tout le monde nous a déconseillé de nous attaquer à ce marché. Et c’est vrai que le défi était important, non seulement sur le plan commercial, mais aussi technique – c’était une initiative osée, reconnaît aujourd’hui Joël Pauli. Mais au final, ça a marché et aujourd’hui, nous avons entre 600 et 800 machines installées et branchées au réseau d’eau potable, puisque cette dernière est excellente dans notre région.»

François Othenin-Girard

Les plus consultés