Publié le: 6 avril 2018

Championne du monde ès chapeaux

ELIANE SCHNEIDER – La petite dame aux chapeaux de Montmollin a obtenu un résultat magistral en 2014. Un prix de créativité reçu à Chazelles-sur-Lyon. Comment façonner un objet classique à la croisée de l’art et du métier – pour une clientèle éternelle.

La longue attente avait commencé pour Eliane Schneider. Sortie un jour de mars de son atelier de La Prise, sur les hauteurs de Montmollin (NE), son nouveau chapeau bien emballé, elle avait démarré sa voiture, traversé les bois de conifères du Mont-Racine, dévalé légèrement la vallée des Ponts franchie, franchi sans encombre la frontière naturelle du Doubs – si proche. Puis, elle le confia à la postière de Morteau. «Aux dernières nouvelles, le précieux colis est bien arrivé à destination», ajouta-t-elle, le jour de notre rencontre. Sur les chapeaux de roue, Eliane? Comme beaucoup d’hyper créative, elle fignole. Mais dame! Il ne s’agissait pas de n’importe quel galurin. Un exemplaire bien unique représente cette modiste du Val-de-Ruz au «Mondial du chapeau» dont le microcosme se réunit à Chazelles-sur-Lyon – une heure en voiture au plus depuis Lyon. Le premier couronnement d’Eliane date de 2014. Elle avait emporté son premier prix de créativité dans une ancienne salle de l’usine de feutre Fléchet. Devant des Japonais si forts, les Français, les Italiens, le monde entier. Un trophée décerné par Stephen Jones «himself», le pape du calot qui fait baver des ronds de chapeau à tous les candidats et qui a construit un empire chapelier à l’international.

Escalier sur chapeau

«Le musée venait d’ouvrir et les organisateurs du concours avaient choisi le thème Archifeutre. Histoire de rendre hommage au feutre, longtemps une mono-industrie dans cette ville, rappelle-t-elle. Cela m’a immédiatement fait penser à l’architecture, j’ai eu l’idée de construire des escaliers sur un chapeau. Il m’a fallu plusieurs tenta­tives avant de parvenir à mettre au point une armature de métal recouverte de laine cardée et ensuite feutrée.»

Educatrice de la petite enfance reconvertie dans l’artisanat avec son mari François – lui aussi éducateur artisan sculpteur céramiste et ancien éducateur – le couple est à la tête d’un B & B qui avait conquis le cœur des Romands. En décembre 2012, dans la série de la RTS intitulée «Un hôtel à la maison», les Schneider avaient démontré leur capacité innovative en transposant une chambre de leur maison d’hôte dans une bulle en plastique gonflée à l’extérieur.

Avec une vue imprenable face au plateau suisse et sous une voûte étoilée – et des toilettes amusantes à base d’écorces. La bulle existe toujours et, par coup de trois semaines, se fraie courageusement son chemin dans le labyrinthe législatif étatique neuchâtelois. De leurs fenêtres surplombant un joli jardin, la vue est à couper le souffle. Eliane se surpasse pour les petits déjeuners. À La Prise, du reste, tout est fait maison. C’est la marque de maison. Coup de chapeau!

Couvre-chef en chambre-Ă -air

Alors, pourquoi la championne du monde des chapeaux ne récidiverait pas? Le thème imposé cette année – la nature – semblait l’inspirer tout particulièrement. «J’ai exposé l’an 
dernier avec une femme qui confectionnait des tableaux en papier. Ce papier, je l’ai travaillé avec de la toile collante, comme si cela avait été un tissu, avec de l’enduit.» Le résultat est surprenant – avec un grand 
pompon en feutre. «On pourrait se promener sous la pluie tant il est imperméable.»

Côté matériaux subversifs, elle est à l’avant-garde en tâtant toutes les matières. Vous avez dit plexiglas? Bien sûr, mais aussi le plastazote, une mousse légère utilisée dans les 
accessoires de théâtre et pour les shows d’Holiday-on-Ice. Subli­mant le sisal, elle remet la voilette au goût du jour, boutique la paille, le cuir et leur fait subir toutes sortes de traitement.

Pour les ornements, elle déclare une vive passion pour les brico-déco et quin­cailleries – des mines à idées. Elle travaille aussi un peu du chapeau, il faut le dire. N’hésite pas à solliciter un mécanicien agricole pour qu’il lui garde d’immenses chambres à air de tracteurs dans lesquelles elle taille en toute liberté des chapeaux pour femmes. Et des casquettes pour homme dotées d’une vie intérieure mouchetée de croix suisses. «C’est plutôt adapté à un public de grandes villes…», lance-t-elle in petto.

La mode en reprend et s’éloigne…

Sa clientèle n’a pas – ou jamais eu – d’âge. Une dame vient d’Autriche, une autre d’ici. Internet, bien sûr, mais pas tant que ça. Elle a tenu boutique à Neuchâtel, il y a quelques années, une période, et puis on passe à autre chose. C’est comme les rapports, inconstants, entre l’esprit du temps et les chapeaux. La mode en reprend un peu, l’oublie, se laisser retenter, s’en lasse. Un vrai classique, donc. Pour parler du métier, elle explique le traitement du feutre, des poils de lapin ou de lièvre (récoltés autrefois selon une méthode secrète qui ne l’est plus aujourd’hui qu’à moitié). Des poils soufflés dans un cône, «feutrés» par l’action conjuguée du frotte­ment de la chaleur. Suivent des bains de vapeur, des roulades, de la matière qui rétrécit, avant d’être teintée, finie, relevée, mélusinée – lorsque l’on souhaite un effet «à poils longs». Le tout est livré sous forme de cônes ou de capelines.

Eliane en son atelier

Lorsque le feutre arrive à la maison, l’artisane-artiste le retravaille à l’aide d’un apprêt. Et hop! Passage à la casserole, où la vapeur l’assouplit avant de l’étirer sur un moule. On le sèche, on le coupe, on le coud. A l’intérieur, une garniture – on dit une «entrée de tête». Cela ne s’invente pas. La confection de chapeau est un sport cérébral. Une balise pour dater le début de cette passion? «Un jour avant Noël, ce devait être en 1994, ma fille m’a tendu une couverture de magazine sur laquelle figurait un modèle portant une robe noire et un chapeau rouge. C’était le cadeau qu’elle s’était choisi.»La chapelière neuchâteloise (comme Pascal Liebetrau, JAM 01, 2018) dispose elle aussi d’une excellente mémoire visuelle. C’est certainement l’une des composantes dé­terminantes dans son talent. «Toute petite, j’avais épaté ma mère en re­faisant de mémoire une tresse toute seule.» Par la suite, elle a pris de nombreux cours à Chazelles-sur-Lyon sur des thèmes spécifiques: chapeaux de spectacles, coupés-cousus, en paille, en sisal, bardé (avec des moules 
fabriqués par le modiste) ou doté d’une structure légère. À La Prise, l’attente se poursuivait. «On verra, je devais bientôt recevoir un e-mail», sourit Eliane, toute modeste en atten­dant l’issue du concours. «Le thème de la nature est difficile, tellement varié aussi.» Epilogue: peu avant le bouclage de cette édition, le message est arrivé. Le chapeau participera quand même au défilé. Pour le prix, ce sera une autre fois. On ne peut pas être championne du monde à tous les coups de chapeau!

François Othenin-Girard

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