Publié le: 11 décembre 2020

Chantier: le numérique inattendu

PORTRAIT – Dans un secteur traditionnel, la location de machines de chantiers et de services liés, construction mobile, événementiel, Avesco Rent disrupte et innove, scrute ses données. Entretien avec Clotilde Jouette, directrice de la transformation numérique et du marketing.

Dans le cadre d’une recherche sur la conjoncture dans la construction, le bâtiment, le génie civil, nous avons croisé la route d’Avesco Rent. Propriété du groupe familial Ammann, cette belle surprise disruptive et innovante crée le contraste dans une branche plutôt conservatrice. Aujourd’hui leader suisse de la location de machines, d’équipements et de solutions, cette PME de 120 collaborateurs fut fondée en 1987 (Outiloc) avant de se diversifier et de s’étendre à toute la Suisse où elle a déployé une vingtaine d’agences) et à l’international (Pays Baltes et Finlande). Au front du changement, Clotilde Jouette, directrice de la transformation numérique et marketing chez Avesco Rent, a accepté de répondre à nos questions. A l’aube de la deuxième vague…

Quand la construction va, tout, va. Quelle est votre perception de la conjoncture?

Nous avons vécu une phase difficile et il nous faut maintenant vivre avec cette incertitude. C’est l’état d’esprit général. Dans un secteur qui comme le nôtre n’est pas des plus innovants, nous savons en revanche amortir les changements de conjoncture et garder une certaine stabilité sur le long terme. Le marché suisse reste solide, mais nous allons toutefois vers des années plus compliquées.

Quelles différences régionales avez-vous constatées dans toute la Suisse?

Lors du semi-lockdown, notre corps de métier, le terrassement, a su résister. Dans les régions, le Tessin fut durement touché, la Suisse romande, Genève et Vaud en particulier, ont été plus impactés. Conséquences moins fortes en Suisse alémanique. Cette année, Bâle fera même mieux que l’année dernière. Cette absence d’homogénéité fait partie du marché suisse.

OĂą se situe chez vous le plus important recul?

Notre secteur le plus impacté fut l’événementiel et cela va se poursuivre. Nous travaillons avec le Montreux Jazz Festival, le Paléo Festival Nyon, les championnats et coupes du monde de ski. Nous œuvrons à la préparation du site et à son démantèlement, fournissons des solutions d’élévation et de manutention, mais aussi toute la partie énergie, des générateurs afin d’éviter les coupures lors des transmissions TV par exemple. Dans la construction mobile, nous proposons les bases de vie, les sanitaires, les bureaux, les loges VIP pour les artistes etc.

Où sont les forces, comment voyez-vous l’avenir?

Pour résister et se repositionner, nous avons planché depuis mars sur des dizaines de scenarii. Depuis juillet et août, nous revoyons constamment nos objectifs en partant de l’idée que l’événementiel sera moins central et en évoluant sur la construction mobile. Les besoins en containers adaptés sont là pour le dépistage du Covid. Au plus fort de la crise, nous avons déjà pu venir en aide aux hôpitaux, dont le CHUV et des cliniques privées, avec des installations extérieures pour la prise en charge des patients. Nous voulons utiliser au mieux notre gamme de produits et profiter de notre réactivité.

«au plus fort de la crise, nous avons déjà pu venir en aide aux hôpitaux.»

Dans le terrassement, nous avons assisté aux réouvertures cantonales à des rythmes différents. En juin, nous nous attendions à deux types de comportement: accélérer pour combler le retard accumulé et travailler avant les pluies d’automne. Ou repousser le tout pour s’assurer des contrats en 2021. Nous pensions que la pause d’août ne serait pas nécessairement respectée. Or elle le fut, tout le monde avait besoin de vacances. Pour 2021, nous ne voyons pas encore comment s’effectuera le redémarrage. Une certaine décorrélation a vu le jour ces dernières années entre l’activité sur les chantiers et la saisonnalité qui caractérise notre secteur. En gros, et c’est une tendance générale, on est de moins en moins sur du cyclique. Autrefois, les grands budgets étaient validés avant les vacances de Noël et jusqu’à mi-février. Désormais, cela se fait plutôt de mars à avril!

C’est assez surprenant de voir que vous êtes responsable de la transition numérique dans un secteur plutôt conservateur?

C’est en effet le contraste maximal, mais c’est venu naturellement. Je travaillais pour Caterpillar comme responsable du remarketing des machines d’occasion pour tout EMEA & CIS. Avec le concessionnaire Caterpillar français, nous avons déployé Fast Rent à Paris, cette start-up, la première en Europe, permettant la location de machines de chantier sur Internet en quelques clics. J’ai ensuite repris le management de Fast Rent en Suisse et eu l’occasion d’ouvrir la seconde agence en Suisse – à Castione. Nous étions très curieux de connaître les réactions de nos futurs clients. Le premier matin, certains sont venu voir si les machines étaient bien réelles et si elles seraient prêtes le lendemain! Il est important d’accompagner le changement, car les comportements humains ne changent pas si rapidement. D’abord, il nous faut comprendre ce qui se passe. D’où l’importance des données, de leur choix et de leur qualité en plus de la relation avec nos clients. Pour beaucoup, le mot digital est associé à un site Internet voir un site e-commerce et c’est tout ce que cela fait résonner en eux. Donc des coûts, des couches de coûts à rajouter, un nouveau canal qui coûte et qui vit en silo – sans être connecté au reste. La pensée en silo, c’est celle du monde d’avant. La clé c’est l’approche dite par écosystème» qui permet de fournir de la valeur à ses clients et donc de rester profitable en tant que société. Un écosystème peut grandir à partir d’une plate-forme digitale, ce qui ouvre la voie à de nombreux autres écosystèmes.

Et qu’observez-vous du côté client?

Dans notre secteur d’activité, nos clients sont de plus en plus sous pression. Ils ont donc besoin de réactivité et de fiabilité. Le client est de moins en moins patient. Cela veut dire que les données clients doivent être accessibles à tous dans l’écosystème. Un contact qui demande un devis sur le site? Ce prospect doit être mis en contact – non seulement avec le marketing pour répondre à ses besoins, le convertir en client et le fidéliser – mais en même temps, avec la force de vente qui dans une agence, sera informée de tous les détails et capable de proposer la solution la plus adaptée. Cela doit se faire conjointement. On est passé d’une approche linéaire à simultanée et contextualisée. C’est le grand changement, car la digitalisation et la technologie le permet.

Et pourquoi avez-vous recouru aux services de Livealytics?

Cette start-up s’est illustrée dans la compréhension de l’expérience utilisateur lors de grands événements, de grands salons, des flux de clients dans les magasins ou des stations-services – en travaillant sur la compréhension des comportements via les téléphones portables. On observe les flux: où les gens s’arrêtent, combien de temps ils restent? Nous avions pour projet de rénover l’agence d’Echandens mais il nous fallait d’abord comprendre quelle était la réalité du côté des clients et également du point de vue des collaborateurs.

«pour rénover l’agence d’Échandens, nous avons travaillé avec livealytics pour comprendre quelle était la réalité du côté des clients et des collaborateurs.»

Cette agence historique avait connu une croissance, disons «organique», durant vingt ans. Nous voulions une rénovation privilégiant l’efficience. Les habitués savaient où était la machine à café, certains passaient par l’atelier en sortant pour saluer nos mécaniciens. Pour les nouveaux clients, l’accueil pouvait sembler un peu froid. On pourrait presque parler d’une «cacophonie spatiale». Or nous avons de fortes exigences de sécurité, nous ne sommes pas en train de bouger des boites de tic-tac. Certains de nos objets (machines) pèsent des tonnes. Il ne fallait pas tout bousculer non plus. Nous avons donc mis tous ces capteurs pour comprendre ce qui se passait et enregistrer les mouvements des utilisateurs. Puis opté pour une rénovation coup de poing en six semaines. Mais après le chantier, lorsque nous avons voulu remettre les capteurs pour observer les améliorations, le Covid-19 est arrivé! Vu la grande hétérogénéité du marché suisse, nous allons par la suite procéder à la même démarche dans toutes nos agences, afin de procéder à des optimisations ponctuelles.

Vous vous intéressez à l’économie circulaire: dans le marché de la location de machine de chantier, c’est plutôt inattendu également?

En tant que société de location, nous participons par définition à l’économie circulaire. Je suis active dans le groupe de travail «Futur» au sein de l’European Rental Association (ERA). En 2015, les Nations Unies ont adopté l’agenda des 17 Objectifs de développement durable (SDG). J’ai amené cette approche à l’ERA et la question était de savoir lequel de ces objectifs nous pourrions adopter pour notre industrie. Pour en discuter, nous nous sommes rencontrés à Madrid peu avant le Covid. L’économie circulaire est particulière­ment prometteuse pour la réalisation de plusieurs SDG, notamment les SDG 6 sur l’énergie, 8 sur la croissance économique, 11 sur les villes durables et 12 sur la consommation durable. Bref, il faut examiner tout cela en détail, car le risque de Greenwashing existe toujours!

«nous avons joué notre rôle de disrupteur en lançant fast rent en 2015.»

Et appliquer cela au monde de la construction en Suisse?

Oui, j’ai ensuite sensibilisé ma direction à ce sujet et nous parlons. Sachant qu’en Suisse, le taux de pénétration de la location est l’un des plus bas d’Europe, contrairement, par exemple au Royaume-Uni, où c’est fort répandu. Sur le marché suisse, il y a relativement moins de concurrents. Même si la compétitivité est plus forte qu’il y a dix-quinze ans. Nous avons joué notre rôle de disrupteur en lançant Fast Rent en 2015 et nous continuons dans cette voie avec différents projets de transformation digitale comme par exemple la gouvernance de donnés avec une plate-forme qui contient de l’AI. En 2018, un partenariat a été conclu avec GDE en tant que 1re PME européenne à utiliser cette plate-forme.

Le facteur humain, finalement. Qu’est-ce qui ne va pas changer et qu’est-ce qui va changer?

Cette année particulière souligne l’importance/nécessité du contact humain à tous les niveaux. L’approche silos produit des systèmes redondants et qui ne favorisent pas la communication ni la prise de décision en accord avec la société pour laquelle on travaille. L’humain, client comme collaborateur se fatiguent et se sent démuni. Ce contexte peut difficilement aboutir à la rentabilité d’une société et à sa pérennisation. C’est pour cette raison que la gouvernance des données réelles ou virtuelles sont aussi névralgiques. Elles permettent de saisir comment nous fonctionnons avec une plus grande finesse et de faciliter la collaboration au sein d’un écosystème clients-collaborateur-fournisseurs en toute conformité. L’objectif de la transformation digitale n’est pas de transformer l’humain en robot, mais d’automatiser les tâches que la machine peut faire afin de laisser le temps à l’expertise humaine.

Donc le contact humain reste essentiel et il faut y penser dans le B2B. Si le digital facilite les choses, rien ne vaut un échange avec le client pour comprendre ses besoins. C’est là que nous intervenons.

François Othenin-Girard

trajectoire: de outiloc à avesco rent

1987 – Création de Outiloc, une des premières sociétés de location d’outils et de machines en Suisse romande.

Années 1990 – Changement de nom: Multirent et les premiers pas en Suisse alémanique.

2002 – Multirent intègre Avesco SA concessionnaire Suisse depuis 1931 de la marque Caterpillar. Avesco SA appartient au groupe Ammann, leader mondial de la fourniture de postes d’enrobage, machines et services à l’industrie de la construction.

2012 – Envergure nationale atteinte avec 120 collaborateurs répartis dans 16 agences, dans toute la Suisse.

2014 – Diversification: «Avesco Rent intègre de Gutknecht Mobilbau SA à Morat, société active dans la construction mobile.»

2015 – Création de Fast Rent.

2016 – Création de l’agence Customized by Avesco Rent, destinée aux produits de niche dans les domaines; rail/route, démolition et ouvrage d’art. Intégration de l’entreprise Primair SA active en Suisse alémanique dans la gestion de température via des systèmes de chauffages et climatisations.»

2018 – Nouvelle agence «construction mobile» à Morat, une enseigne entièrement dédiée à cette activité.

clotilde jouette

Une transformatrice digitale: itinéraire

• Université de Genève, histoire économique et sociale avec le prof. Bouda Etemad

• Master, Université de Durham, management et stratégie business (sur l’arrivée d’une banque chinoise à Genève)

• Caterpillar, responsable remarketing pour EMEA & CIS

• Fast Rent: développement du projet à Paris, puis reprise de l’agence à Genève et ouverture à Castione

• Avesco Rent: directrice digital business transformation & marketing

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