Publié le: 1 juin 2018

Chine: l’art de la transformation

Alors qu’une guerre économique menace(çait) entre les États-Unis et la Chine, le plus grand déséquilibre au monde en termes de balance commerciale entre ces deux pays se résorbe. Pour de bonnes raisons.

On a l’impression que l’excédent époustouflant de la balance courante chinoise d’il y a dix ans a été englouti. Alors qu’il correspondait encore à plus de 10% de la puissance économique du pays en 2007, il n’a cessé de se réduire depuis lors, pour plonger dans le négatif cette année pour la première fois. S’agirait-il d’un simple tour de passe-passe comptable? Pourquoi y a-t-il alors autant d’agitation autour du différend commercial entre les États-Unis et la Chine?

La Chine continue d’exporter des biens d’une contre-valeur annuelle dépassant de quelque 500 milliards USD ceux qu’elle importe. Cet excédent est une épine dans le pied des États-Unis bien que, ironiquement, la plupart de ces biens soient des composants de produits finis américains tels que les iPhones. Les droits de douane sur de tels articles pèsent donc surtout sur les entreprises ou les consommateurs outre-Atlantique. Pourtant, parallèlement à cet excédent commercial, on constate un déficit en progression rapide dans le domaine des services. Celui-ci concerne principalement les voyages à l’étranger. Nous allons donc étudier ci-dessous d’un peu plus près l’envie d’évasion naissante en Chine. En effet, les nombreux voyages à l’étranger des touristes chinois ont fait fondre l’excédent de la balance courante, tout au moins au premier trimestre 2018. Qui l’eut cru? L’ascension de la Chine au cours des quarante dernières années est notamment liée à trois grandes vagues de libéralisme, chacune d’elles ayant constitué un énorme pari à leur époque. Et toutes se sont révélées être un succès en rétrospective. La libéralisation de l’économie chinoise par Deng Xiaoping a été le premier grand pari. Les perspectives alors incertaines pour les travailleurs sans emploi des anciennes entreprises publiques étaient susceptibles de se transformer en poudrière politique et sociale. Le secteur privé n’en était qu’à ses balbutiements. A posteriori, il faut admettre que la politique courageuse de Deng a porté ses fruits. C’est Jiang Zemin, son successeur, qui a lancé le deuxième pari d’envergure, lorsqu’il a autorisé le développement d’Internet en Chine dans les années 1990. Il ne pouvait pas prévoir les conséquences d’une telle orientation, mais grâce au web, son pays est à présent un leader de marché dans de nombreux domaines de la technologie de l’information. Le troisième grand pari a été l’ouverture des frontières. Cette mesure a induit – lentement d’abord puis à une vitesse croissante – une augmentation constante du nombre de voyages à l’étranger. Voilà longtemps déjà que les destinations touristiques helvétiques profitent également de cette évolution. Au cours de leurs voyages à l’étranger, les touristes chinois dépensent aujourd’hui plus de 250 milliards de francs par an, ce qui dépasse le montant atteint par les touristes américains, britanniques et canadiens réunis. Pourtant, la bougeotte des Chinois est toujours limitée, car seuls 10% d’entre eux possèdent un passeport. A titre de comparaison, je précise que la proportion des personnes titulaires d’un passeport valable est de 40% aux États-Unis et de plus de 80% en Suisse.

«Parmi les chinois qui 
parcourent le monde, il y a aussi 
de nombreux étudiants 
et des hommes d’affaires.»

Burkhard Varnholt, 
CIO Credit Suisse (Suisse) AG

Les Chinois qui parcourent le monde ne sont pas tous des touristes, mais également des étudiants et des hommes d’affaires. Bien que les universités en Chine et en Asie en général comptent désormais parmi les meilleures du monde, avoir fait des études aux États-Unis est toujours considéré comme un gage de succès particulier. Plus de 300 000 jeunes Chinois suivent actuellement une formation aux États-Unis. Depuis les réformes instaurées par Deng Xiaoping en 1978, ils sont plus de cinq millions à avoir étudié à l’étranger. Cette tendance constatée parmi les familles aisées implique des coûts considérables: rien que les frais de scolarité s’élèvent à 40 000 francs ou plus par an.

D’après le ministère américain du commerce, les étudiants chinois rapportent plus de douze milliards de dollars à l’économie américaine. Et ce n’est pas tout: ils ramènent l’instruction, les valeurs et la culture occidentales dans leur pays, car la tendance à retourner chez eux à l’issue de leur formation est au moins aussi impressionnante que celle de partir étudier à l’étranger. En 2016, plus de 430 000 étudiants chinois sont revenus de l’étranger pour faire carrière dans leur pays ou s’y perfectionner sur le plan professionnel. Cela représente bien 60% de plus qu’en 2011. D’après les statistiques officielles, 80% des étudiants à l’étranger rentrent en Chine. Avant 2006, ils n’étaient qu’un tiers à le faire. Bon nombre de ceux qui reviennent (appelés «tortues de mer») travaillent dans les technologies de l’information. Rien d’étonnant donc à ce que la plupart des 150 entreprises chinoises cotées au NASDAQ américain aient été créées par ces «revenants».

Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que l’auteur.

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