Publié le: 5 juillet 2019

Continuer à négocier sans Etat

PARTENARIAT SOCIAL – Deux présidents ont débattu dans le cadre des Journées romandes des arts et métiers à Champéry: Pierre-Yves Maillard (USS) et Jean-François Rime (usam) ont aussi démontré une entente propice au partenariat social.

Journal des arts et métiers: Quid des relations bilatérales. Que faut-il clarifier?

Jean-François Rime: Je n’ai jamais vécu une situation pareille. Pour l’usam, il y a un tiers des points où nous sommes d’accord, un tiers des points à modifier et un tiers où on n’est pas vraiment pas d’accord.

Pierre-Yves Maillard: Je suis d’accord sur le fait qu’on n’a jamais vu un processus politique pareil. L’écart est énorme entre les politiques et la façon dont le sujet est reçu par la population, qui commence seulement de percevoir de quoi on parle. Et les premières réactions ne sont pas évidentes. Personne n’ose proposer l’adhésion au peuple, mais on veut lui faire accepter une reprise du droit européen. Avec même à la fin une clause guillotine. Il y a aussi le chapitre des aides d’Etat qui sont interdites sauf une liste serrée d’exceptions. Et surtout des tas de questions: que deviendrait la promotion économique? Et les banques cantonales? Avec des principes qui s’appliqueraient en cas de renégociation des accords existants. Les cantons devraient demander une autorisation préalable pour toute aide.

«Il va falloir reprendre le contrôle sur ce qui se passe dans notre pays.» Pierre-Yves Maillard

JFR: ll y a aussi une grosse bombe à retardement liée à la question de savoir ce que nous coûterait l’indemnisation de tous les chômeurs frontaliers. Cela, personne ne peut le dire aujourd’hui.

PYM: On nous demandait de régler tout en dix jours au 28 juin! C’est impossible. L’UE veut avoir une ligne dure avec la Suisse parce qu’elle veut une ligne dure avec la Grande-Bretagne.

JFR: Quant au milliard de cohésion, si on arrive à un bon accord, je serais même d’accord qu’on le paie!

Au fond, comment est-ce que cela se passe entre vous?

PYM: Il y a dans le partenariat des moments de convergence, des moments de divergence. Le partenariat social, c’est aussi savoir gérer les moments de lutte pour continuer à travailler ensemble. Même si on a déjà quelques désaccords!

JFR: Ah bon! Mais lesquels? Sur l’accord-cadre, on est d’accord. Cela dit, nous essayons de régler beaucoup de problème avec le partenariat. Et il y a un autre sujet sur lequel on est d’accord: la loi sur les marchés publics. Nous avons trouvé des solutions constructives pour garder les emplois en suisse.

Pensez-vous que les patrons sont des gens bornés?

PYM: Il faut parfois savoir créer de la capacité d’écoute en montant au front. Avant d’être au gouvernement vaudois, j’ai été secrétaire syndical à Lausanne dans le secteur de la vente et des machines. J’ai dû affronter une vingtaine de gros licenciement collectif. Une fois le conflit passé, je connais peu d’entreprises qui regrettent le résultat final. Voyez, la Sapal est encore là. Notre but était de faire remonter les idées qui existaient déjà dans l’entreprise.

JFR: Les licenciements collectifs impliquent avant tout des entreprises d’une certaine taille. Mais au fond, dans une PME de quinze personnes, la situation n’est pas comparable! D’abord parce que le patron a souvent engagé lui-même tous les collaborateurs. Et quand il doit se résoudre à licencier, c’est que les choses vont vraiment mal et qu’il n’existe pas d’autres solutions.

Faut-il changer quelque chose chez les patrons?

PYM: Non, je ne crois pas. Lorsque j’étais à la FTMH, nous avons eu de grandes vagues de licenciements. Pour revenir sur ce que disait Jean-François Rime, en allant au portail des entreprises et en discutant avec les gens, j’ai compris que la notion du patron qui licenciait seulement quand les choses allaient mal, que cette notion elle-même avait changé dans les entreprises.

Et de votre côté, s’il fallait changer quelque chose aux syndicats?

JFR: Je ne vois pas vraiment quelque chose en particulier. Bon, il est vrai que les syndicats sont un mal nécessaire (rires). Il faut pouvoir continuer les négociations comme nous le faisons entre nous, surtout avec un minimum d’intervention de la part de l’Etat.

«Je vois une grosse bombe à retardement sur l’indemnisation de tous les chômeurs frontaliers.» Jean-François Rime

Vous avez dit que l’économie se porte bien. Qu’en est-il?

PYM: On est entré dans une phase rare où le taux de chômage baisse, la croissance est bonne, mais les indicateurs ont baissé en valeur réelle sur deux ans. Les salariés après trois à quatre ans de bonne conjoncture se retrouvent avec un pouvoir d’achat réduit. Même si cela va bien à l’intérieur, la pression extérieure existe. Il va falloir reprendre le contrôle sur ce qui se passe dans notre pays.

JFR: L’économie va bien dans son ensemble, mais je relève que certaines branches vont aussi nettement plus mal. Et du côté des salaires, même si les salaires suisses se situent à un bon niveau, je vois aussi que du côté de la grande distribution, la générosité n’est pas de mise.

PYM: Je pense qu’il faut soutenir les branches qui ont de plus faibles masses salariales en développant les allocations familiales.

JFR: Je me suis opposé à l’introduction en Suisse d’un tel système d’allocations. De toute façon, leur niveau est en général plus élevé en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Donc une fédéralisation de ce sujet n’est pas souhaitable, elle n’est dans l’intérêt de personne.

Que faut-il penser du congé paternité?

PYM: Quatre semaines, cela me semble tout Ă  fait raisonnable!

JFR: Je ne pense pas que le patron de PME pourra prendre un tel congé. Cela dit, je vois que même dans mon parti, l’idée est en train de mûrir. Il faudra probablement faire le pas, le problème qui se pose à mon avis est plutôt d’ordre pratique. Et sur la durée, bien sûr, pas plus de deux semaines.

PYM: Quatre semaines, deux semaines, … ce sera de toute façon une bonne chose si nous parvenons à un résultat! Il me semble que nous sommes mûrs pour effectuer ce pas. Ensuite, le peuple décidera entre deux, quatre semaines ou une autre variante. Vous savez, dans dix ans, on ne se posera même plus la question de leur utilité.

Une question sur les défis liés à la numérisation?

JFR: C’est une vraie difficulté et nous devons évoluer. Je le vois dans mon secteur, cela peut poser problème pour des gens qui n’ont pas de formation de base lorsqu’une nouvelle technologie arrive. Nous avons réussi dans mon entreprise à transférer des gens dans d’autres branches lors de l’arrivée de machines, mais on ne pourra pas toujours y parvenir.

PYM: Autrefois, il y avait des dactylos, ce n’est pas pour autant que les métiers administratifs ont disparu! Je ne crois pas du tout à la fin du travail. Il faudra adapter les formations, et conserver un sens de la responsabilité sociale pour ceux qui ne se seront pas adaptés. Et le faire dans l’esprit du partenariat social.

Des risques de suppression d’emplois avec la numérisation?

PYM: Bien sûr que le risque est réel. Mais nous le vivons depuis un siècle et demi. Chaque année dans le canton de Vaud, il fallait créer quelques centaines d’emplois dans la santé et le social, les soins à domicile, les EMS, les hôpitaux. Et nous n’arrivions pas à former assez de collaborateurs. Pour la révolution numérique, l’enjeu sera de trouver des mécanismes pour financer les formations.

Propos recueillis par:

François Othenin-Girard

Extrait du débat animé à Champéry lors des Journées romandes par Jérôme Favre, correspondant au Palais fédéral, Radios Régionales Romandes (RRR).

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