Publié le: 5 octobre 2018

Créer dans le silence

étude – Les femmes entrepreneur et les 
créateurs issus de l’immi­gration passent trop souvent 
inaperçus. Une opportunité pour eux.

(Suite de la page 18) Les entrepreneurs migrants et les femmes entrepreneurs sont un système gagnant. On ne le dit pas assez. Dans le monde agressif et effréné de l’économie, un entrepreneur immigré ou une femme tente parfois de lancer un projet entrepreneurial. Il ou elle lance alors une activité productive de manière autonome, se créant une place sur la marché. Or très souvent, dans ces cas, comme nous l’avons observé de manière récurrente, la dimension entrepreneuriale semble disparaître derrière un voile d’invisibilité pour les autres acteurs du système économique qui les côtoient pourtant. Comme si la dominante, dans leur regard, était celle de l’exclusivité et de l’androcentrisme. Un regard qui se perd dans une inattention générale, loin du circuit compétitif.

Une opportunité: l’inattention ambiante

Paradoxalement, outre la validité du projet lui-même, cette inattention et l’absence d’agressivité concurrentielle constitue une sorte de niche de dévaluation au sein du système général qui positionne tout individu dans le monde productif. Or cette niche protège de fait la croissance de ces nouveaux projets. Une inattention qui rend donc plus solides ces nouveaux entrepreneuriats, migrants et féminins.

«cette invisibilité permet 
aux néo-entrepreneurs, 
femmes et migrants, 
de faire leur chemin sans être perturbés.»

Dans l’un et l’autre cas, le caractère non attractif est nourri par divers préjugés, ethnocentriques dans le premier cas, phallocrates dans le second. Comme tout préjugé, ce dernier s’alimente indépendamment des compétences individuelles de ces deux types d’entrepreneurs.

Telles sont les nouvelles impulsions d’une 
société qui change et s’enrichit. Une société qui, même si elle ne s’en rend souvent pas compte, se laisse immerger et submerge l’autre par sa logique d’oppression et de marginalisation.

De manière paradoxale, c’est précisément le fait d’apparaître aux yeux d’autrui comme non compétitifs – donc doublement inadaptés à la recherche de compétitivité et au système mondialisé d’enrichissement effréné – qui permet à ces entrepreneurs de créer leur propre canal, de se développer, de s’établir, de façonner des projets, de vivre…

La volonté d’ouvrir une brèche

Dans leur essor, ces projets plongent souvent leurs racines dans l’humus des cultures traditionnelles en favorisant les contaminations, les échanges, les mélanges et les innovations. Il s’agit souvent de projets qui, en plus de proposer une dimension commerciale, se présentent également comme mû par une volonté d’affirmer une volonté d’échanger ou d’ouvrir une brèche dans l’exclusion 
sociale.

Le message véhiculé présente peut alors être les traits de la rédemption et de l’émancipation – une réaction dont la portée est large, fréquente, si 
on la rapporte à toutes les exclusions perpétrées, depuis des siècles, dans la réalité quotidienne.

Les phénomènes contemporains de l’entrepreneuriat silencieux mettent en évidence le caractère concret d’une réalité économique submergée qui – au final – parvient à résister et survivre aux comportements stéréotypés de l’exclusivisme masculin autochtone. Qui plus est, dans cette situation, ces entrepreneurs parviennent – grâce au peu de visibilité et de considération dont ils et elles disposent – à éviter la rencontre frontale avec la concurrence de l’hégémonie masculine et du marché mondialisé. D’autre part, il est indéniable que ces entreprises apportent une plus-value élevée à l’économie locale ou nationale, par le réseau 
naturel des échanges et les liens sociaux induits.

Peu de visibilité, moins de jalousie

Pour beaucoup de ces entrepreneurs, le fait est qu’ils ne se rendent pas eux-mêmes très visibles du point de vue médiatique. Alors que la lumière se trouve plutôt du côté de la réalisation d’objectifs de production élevés et des coups de force bruyants, ils évitent d’attirer l’attention de la concurrence: et de ce fait, ils en amortissent efficacement les effets néfastes. Dans de nombreux secteurs, le système du travail est encore très masculin et autochtone, un étranger et une femme sont tous les deux des figures sous-estimées, à tort mais de façon diffuse, situées en marge de la «véritable» économie productive et jamais stigmatisés comme une menace entrepreneuriale concrète. On voit en eux plutôt des micro-réalités pittoresques, devant lesquels on ne développe aucune stratégie compétitive ciblée et donc, on transforme en ressource intelligente la réalité de la dévaluation.

Ce n’est pas toujours le cas, mais bien qu’il s’agisse d’une injustice insensée, cette invisibilité, lorsqu’elle est exploitée de manière aiguë, permet à de nombreux entrepreneurs migrants et femmes entrepreneurs de faire leur chemin et de concrétiser d’importantes ascensions économiques sans être perturbés par la concurrence. Ces deux figures mettent en évidence l’évolution économique de la société dans laquelle elles opèrent: une 
révolution culturelle silencieuse et inéluctable dans le domaine masculin du monde des affaires.

Valeria Dell’Orzo,

anthropologue indépendante

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