Publié le: 3 avril 2020

Des Romands dans la crise (II)

CORONAVIRUS – Suite de la page 12: dans les petites et moyennes entreprises,

les responsables prennent soin de leurs clients en essayant de rester optimistes et parfois de donner le bon exemple. Car en fin de compte, nos comportements font toute la différence.

Suite de la page 12

Industrie de précision /

Nicola Thibaudeau, CEO de

MPS Precimed SA Ă  Bienne.

«Cette période est absolument inédite et met à l’épreuve toutes nos structures. Heureusement, nous avons dès le premier jour mis en place tout ce que nous pouvions pour garantir un travail dans des conditions 100% sûres. Nos usines étant larges et spacieuses, des équipes décalées sans chevauchements ont été organisées. Nous avions de l’avance pour l’organisation du Home Office et les derniers ajustements ont pu être fait dans les premières heures. Cela la fonctionne très bien.»

«En revanche, ce qui nous a énormément péjorés dans un premier temps, ce fut la fermeture des écoles. Chez MPS, 124 parents se sont retrouvés à devoir trouver des solutions de garde pour des enfants de moins de 12 ans. Sans parler des fermetures côté clients pour les mêmes raisons. Cela nous a empêché de livrer et de facturer. Ce qui nous bloque, ce sont aussi les clients qui ont décidé de fermer par incapacité à tenir les mesures sanitaires ou diminution de leurs ventes.»

La panique est vite allumée

«Nous avons dû fermer l’usine destinée à l’horlogerie pour suivre nos clients et maintenir une activité minimum pour permettre la reprise. Dans les autres usines nous travaillons en effectifs réduits et avec une bonne communication entre les équipes. La solidarité aidant, nous parvenons à tenir le cap avec les RHT et les APG, mais ce n’est pas facile à gérer.»

«Malheureusement la pandémie, la pression médiatique et les influences de part et d’autre, le martèlement de «rester à la maison» met une forte pression sur nos employés, comme si on avait oublié les travailleurs en industrie! La panique est vite allumée dès qu’il y a soupçon de cas et même si la transmission est évitée. En espérant que nous n’aurons pas de cas avéré dans nos équipes et que cela se termine le plus vite possible.»

Artisanat / menuiserie

Bernard Favre, patron de PME.

«Je vais bien, je suis calme, ma famille et mon équipe aussi. Nous travaillons avec prudence et distance en essayant d’appliquer au mieux les consignes. Avec des pauses décalées et chacun dans son coin. Pour l’atelier, ça va. Mais c’est plus difficile avec les chantiers. Mes gars sont formidables. C’est assez curieux de voir comment les gens se comportent devant cette peur diffuse. D’un côté ceux qui sont en Home Offices, de l’autre ceux qui doivent aller sur le terrain.»

«J’espère – et je travaille pour – ne pas faire partie de ceux qui vont craquer et tout perdre. Nous avons encore des mandats en cours. Mais sinon, rien de nouveau, ou alors pour plus tard dans l’année. Dommage, car cette année était jusqu’ici très prometteuse.»

Des héros sans noms

Autour de moi tout semble s’arrêter, une certaine léthargie s’installe,

insidieusement. Je pense tout le temps à ceux qui sont au contact. Des héros sans noms sont en train de faire le job. Je compte sur vous pour les mettre à la lumière. Je redoute la première mauvaise nouvelle qui nous toucherait de près.

Indépendant / photographie

Jean-Claude Durgnat, photographe.

«J’aurais tendance à dire – un peu à l’image de l’homme qui tombe du building et que l’on entend dire à chaque étage: «Jusque-là, tout va bien!» Après avoir passé le premier choc de l’annonce des premières fermetures, et une bonne partie de cette journée noire à répondre à des clients qui annulent leur shooting, tentent de s’organiser pour les prochains jours ou qui – simplement – essayent de vite faire encore deux trois trucs avant de tirer le rideau. Je me retrouve un peu en suspension, sans trop savoir et sans trop comprendre ce qui arrive.»

L’attente du téléphone

«La situation aujourd’hui pour moi est mixte: j’ai dû fermer mon studio, ça au moins c’est clair! Par contre, pour le reste, je navigue entre quelques petits mandats qui sont compatibles avec les directives de l’OFSP et l’attente du téléphone qui sonne. Si, sur le principe, et comme le martèle avec vigueur le Conseil fédéral, sur le papier rien ne m’empêche de travailler, dans les faits, il n’y a quasiment plus de clients, car soit les entreprises sont fermées, soit l’organisation interne fait que les règles ne peuvent pas être respectées. Et encore plus largement, personne aujourd’hui n’est dans une réflexion de marketing ou de communication. Cela se voit bien en ouvrant un journal ou en regardant la TV. Sans parler de tout ce qui est culturel, tous les mariages, enfin bref, tout ce qui fait la variété de notre métier.»

Alimentation / Poisson frais /Lorenzo et Lois, Royal Fish Sarl.

«Vendredi 13 mars 2020… La décision du Conseil fédéral est tombée comme un couperet. Restaurants à maximum 50 personnes. Lundi 16 mars, réunion avec toute l’équipe. Nous avons entendu parler du chômage technique. Nous aimerions ne pas devoir y recourir, et continuer comme nous le pourrions. Mais dès mardi, c’est l’hécatombe: tous les restaurants sont fermés, 90% de nos revenus sont arrêtés pile. Et ceci bien sûr avec les arriérés de paiements – bien connus dans la restauration.»

«Nous avons encore un bon nombre de clients: EMS, hôpitaux…Et nous lançons des ‹paniers› pour deux ou cinq personnes avec des filets de poissons frais, des produits congelés, des soupes de poissons, et conserves spéciales pour les particuliers. Lancés sur les plate-formes Instagram et Facebook, ces produits nous rapportent pas mal de nouveaux clients. Les livraisons reprennent. On pense ‹outside the box› avec les moyens du bord. On s’enregistre sur heroslocaux.ch et autres site de distribution pour petits commerçants.»

«Arrivent les arrêts maladies. Tel ou tel pense avoir été en contact avec une personne qui pourrait avoir été contaminée. La terreur règne par dessus tout, plus personne ne revient travailler… Sous couvert de protection de la société… Nous sommes obligés de tout faire nous même. C’est retour à la case départ, au one man show.»

Oui, nous survivrons…

«Sans parler de la boutique au centre ville, la poissonnerie de luxe qui devait ouvrir début mars et des employés qui devaient commencer avec nous. Ces familles comptent sur nous pour faire vivre les leurs. Toute cette responsabilité d’un coup mise en évidence et le stress qui s’ensuit. Mais le gap ‹employeur-employé› s’est considérablement accru.»

«Oui, nous survivrons à cette crise. Mais combien devront fermer? Oui, cette crise permettra aux plus forts de mettre en place leur système de plate-forme en ligne et peut être de devenir plus efficient. Oui, le gouvernement propose son soutien en octroyant des mesures d’aides, mais quid des indépendants – de ceux qui ne tombent jamais malade et qui ne pourront plus ouvrir pendant tant de mois? Une dette reste une dette. Une dette de plus.»

«L’avenir est incertain. On crie à la solidarité, mais c’est quand même chacun pour soi dans cette lutte éternelle vers le profit. En tant que couple et parents, nous nous sommes regardés ce week-end pour nous dire: ‹Et si› … Et si le confine­ment n’était pas si mal? Que nous avions plus de temps pour les enfants. Et si nous n’avions pas besoin de tant de clients. Tant de camions, tant de charges. Et si nous restions efficaces, ‹mean and lean› pour continuer notre activité sans perdre la qualité de vie.»

Une belle leçon de philosophie

«Car nous courrons tous toujours vers plus, plus vite, plus grand. C’est une course sans fin vers la mort, qui ne nous donne que très peu de satisfaction. Cette pandémie serait-elle une belle leçon de philosophie, avant d’être une leçon de survie?»

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

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