Publié le: 4 mai 2018

Deux frères jurassiens reviennent de loin

GROUPE RECOMATIC – Le spécialiste du traitement de surfaces basé à Courtedoux (JU) gère sa sortie de la crise horlogère en 
se diversifiant dans le médical et l’aéro­nautique. Et lance de nouvelles machines dotées d’un robot qui s’approvisionne tout seul.

L’avalanche a emporté de larges pans du secteur horloger en 2016. Le groupe Recomatic – comprenant Reco et Bula – est sain et sauf. Ceci grâce aux sacrifices consentis, notamment en termes d’emplois et en utilisant les réductions de l’horaire de travail (RHT).

Par chance, le vent a tourné. Christophe et Philippe Rérat, les deux frères à la tête de cette PME familiale sise à Courtedoux (JU), nous annonçaient fin novembre 2017 que la 
reprise dans le secteur horloger était vive depuis le mois de mars. Et comme souvent, de manière corrélée, le marché du travail se trouve déjà asséché par la forte demande en collaborateurs spécialisés. Heureusement, le temps de la crise a été mis à profit pour diversifier les activités du groupe.

«Nous allons construire ici»

Après un rapide tour des lieux, on aboutit dans une grande halle. «Lorsque les machines sont terminées, c’est ici que le client vient les réceptionner, explique Christophe Rérat, administrateur, directeur général adjoint et directeur commercial. Avec trois salles de formation, nous pouvons accueillir trois clients en même temps. Et c’est seulement au terme de cette formation que le client 
accepte définitivement la machine.»

La deuxième génération se souvient de la première. «Mon père avait fait son apprentissage de mécanicien de précision, raconte Christophe Rérat. C’était un inventeur et il avait plein d’idées pour créer de nouvelles machines, il était normal qu’il souhaite se mettre à son compte.» Reprendre le flambeau, cela passe aussi par de nouveaux projets. Et les frères Rérat en ont.

D’un geste, Christophe désigne un pré bordé de grands arbres. «C’est ici que nous construirons les deux nouveaux bâtiments. Nous venons de les mettre à l’enquête.» Et face aux associations de protection de l’environne­ment qui déposent des oppositions de principe, il relève que la protection de l’environnement est une préoccupation maison: «Notre dernier bâtiment a obtenu le label Minergie et dispose d’un chauffage par pompe à chaleur et de photovoltaïque sur toute la surface du toit.»

Des clients formés sur place

Retour dans la halle de réception et de mise au point, où deux jeunes femmes, détachées par un client, suivent une formation sur ces machines. Venir sur place permet de se consacrer pleinement à cette prise en main, sans courir le risque d’être 
dérangé à tout moment. Une équipe de tournage de la «Schweizerische Gewerbe­zeitung» s’y trouve elle aussi, afin de réaliser un reportage pour l’émission de TV (Fokus KMU) qui passe sur les chaînes régionales alémaniques. Sur l’écran de contrôle du caméraman, on aperçoit un robot qui s’approche d’un bac et saisit avec délicatesse la pièce à traiter.

Le chargeur automatique

Quel visage aura le prochain continent que ce secteur de la machine pour les traitements de surface abordera? «L’avenir passe par ce chargement automatique, analyse le directeur. Il y a sept ou huit ans, seules deux ou trois machines sur dix étaient équipées de cette technologie. La tendance actuelle est à huit machines sur dix. Tout le monde y vient.» Pour l’entrepreneur jurassien, cette question de l’appro­visionnement automatique constitue même un facteur clé pour la réussite de l’industrie suisse. «Avec des salaires élevés comme nous les connaissons ici, nous n’avons pas le choix si nous voulons rester compétitif. Car il faut pouvoir travailler 22 heures sur 24 et sept jours sur sept. Le Swiss Made pousse les entreprises suisses à automatiser un maximum, pour maintenir des prix concurrentiels.»

La diversification de Groupe Recomatic dans le médical et l’aérospatial est passée par des investissements en recherche et développement (R&D). «Nous avons mis sur pied une cellule de R&D pour toute la partie consacrée à l’automatisation afin que nos clients n’aient qu’un seul interlocuteur autant pour la machine elle-même que pour le chargement automatique.»

JAM: Quels sont les marchés porteurs?

n  Christophe Rérat: Les taux de croissance sont totalement variables. Tout à coup, il faut envoyer plusieurs machines en Chine. L’année suivante, il peut ne plus rien y avoir, mais la France ou l’Allemagne seront demandeuses. Cela dit, jusqu’ici, nous n’étions pas proactifs, les demandes venaient d’elles-mêmes. C’est un autre point retenu de cette dernière crise dont le souvenir ne s’estompe pas. Il va falloir aller chercher de nouveaux clients.

Comment vous y prendrez-vous?

n  Cela passera par l’engagement d’un nouveau commercial qui ira chercher des affaires sur l’Allemagne, l’Italie et la France. En Asie, un partenaire commercial assure le service après-vente depuis Hong Kong. Il est formé sur toutes les nouvelles machines en même temps que le client final. Sitôt notre entretien terminé, je traverserai toute la France pour rendre visite à un fabriquant de couteaux prestigieux.

Qu’est-ce qui est plus compliqué à l’entrée, le marché américain ou chinois?

n  Les contraintes me semblent plus importantes sur le marché US, surtout quand vous n’y avez jamais 
vendu une seule machine. Il y a des règles, des lois et des principes contre lesquels il vaut mieux se prémunir. Notamment les règles de sécurité dans un pays où un plaignant peut exiger des millions devant un tribunal. Quant à la Chine, la difficulté résidait surtout dans le fait de trouver un bon partenaire, mais une fois que vous l’avez trouvée, cela va bien. En Thaïlande, nous faisons le service en direct parce que ce sont souvent des entreprises suisses qui sont 
établies là-bas.

Un marché de rêve?

n  Je vous parlais de diversification. Je pense que le médical et l’aéronautique seront des marchés sur lesquels nous aurons de beaux rôles à jouer. Lorsque nous aurons réussi à y prendre pied, nous serons plus équilibrés, car actuellement nous sommes actifs à 90% dans l’horlogerie. Et c’est trop, car sitôt que ce type d’économie ne fonctionne plus, nous souffrons énormément. Nous visons donc un 20% dans ces autres marchés. Nous allons faire des expositions mixées comme en France (Paris), en Italie (Parma) et en Allemagne (Greentech à Stuttgart en 2019).

Est-ce devenu encore plus compliqué d’entrer dans l’aéronautique?

n  Oui et non. Nous devons passer par des phases d’homologation. Et donc obtenir des certificats de qualité. Pour ce faire, nous allons mettre en place cette année (2018) un département au sein du groupe.

Combien de temps pour entrer sur de tels marchés?

n  Si vous disposez de bonnes procédures, le pas pour être certifié n’est pas immense. Sans cela, cela peut prendre une année et demie. Nous espérons pouvoir afficher nos certificats qualité en 2019.

Dans le médical, quels sont les pays que vous visez?

n Les pays limitrophes, la France, l’Allemagne et l’Italie, l’Autriche, me semblent assez représentatifs. Les entreprises qui s’y trouvent disposent de bonnes antennes dans d’autres pays, où ils iront produire, car les ­facteurs de production y sont moins élevés.

Et dans l’aéronautique, quel monde visez-vous?

n Airbus et ses très nombreux partenaires… Nous irons au Bourget pour frapper aux bonnes portes!

Quand vous vous rendez en France ou en Allemagne, comment gérez-vous les différences de prix effarantes sur les composants de machines?

n  Le problème, c’est la marge qui est prise sur un produit identique lorsque ce dernier passe la frontière entre un pays voisin et le nôtre. Les prix prennent l’ascenseur, cela peut aller jusqu’à plus de 50% de différence.

 

De quels produits s’agit-il?

n  De vis, de roulements à billes, de rails, de réducteurs, variateurs de vitesse. C’est le combat que nous avons mené depuis l’année passée (NDLR, 2016)

Et comment l’avez-vous mené?

n  Pour faire face à cela, nous avons rejoint un groupe de fabricants de machines, ce qui nous permet d’obtenir de meilleurs prix auprès des revendeurs en Suisse. Notre groupe représente une dizaines d’entreprises. Nous nous voyons quelques fois par année et cela nous permet d’apprendre que tel ou tel fournisseur pratique tel ou tel prix. Tout cela s’est fait sans appui politique!

François Othenin-Girard

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