Publié le: 2 octobre 2020

«Elles ont su conserver des liquidités»

pme dans la crise – Carole Nach­bauer est responsable de la clientèle PME pour la région de Genève au Credit Suisse. Elle a participé au sauvetage général du tissu écono­mique et prend en permanence le pouls des entreprises.

Journal des arts et métiers: Comment évaluez-vous l’aide étatique aux PME durant cette crise sanitaire?

Carole Nachbauer: De manière extrêmement positive! Je pense que le Conseil fédéral a lancé ce programme d’aide avec beaucoup de rapidité et de pragmatisme. Pour tous, ce fut un signe clair de reconnaissance et de considération pour l’entrepreneuriat et le travail des entreprises. Avec une préoccupation vitale de maintenir à flot le tissu des PME qui constituent, ne l’oublions pas, l’ossature de l’économie.

Et en prenant aujourd’hui le pouls des PME aujourd’hui, qu’observez-vous?

Les entreprises à Genève et en Suisse ont dans l’ensemble assez bien traversé cette crise sanitaire, car elles disposaient de bilans légers, d’un bon niveau de liquidités et peu d’endettement. J’ai la nette impression que le choc dû au décrochement de l’euro en 2015 les a préparées à affronter de grands séismes.

Lorsque la crise est arrivée, cet impact a été moindre pour elles parce qu’elles avaient su conserver leurs liquidités. Et la conséquence de cette crise aura été de renforcer davantage encore qu’auparavant la logique de préservation de ces liquidités. Bien sûr, en parallèle aux programmes d’investissements, le sujet des liquidités a toujours revêtu une grande importance – car il faut pouvoir payer les salaires et les fournisseurs à la fin du mois. Mais c’est un point qui est désormais établi à l’ordre du jour tous les matins!

Par ailleurs, je constate que si de nombreux prêts Covid-19 ont été accordés, toute l’aide disponible n’a de loin pas été utilisée. Aujourd’hui, nous voyons déjà les premières entreprises qui commencent les premiers remboursements.

La tendance à la verticalisation dont certaines PME nous parlent, notamment dans l’Arc jurassien, est-il un nouveau trend – pour diminuer les risques d’approvisionnement et s’assurer de la distribution?

L’approvisionnement est un vrai sujet et un risque à prendre en compte. L’intégrer dans sa chaîne de valeur est une décision qui peut s’avérer logique. Mais cette question diffère de cas en cas. Je vois que certains préfèrent rester «agiles» – le terme est à la mode – et concentrés sur leur core-business. Ces deux logiques se défendent.

Dans l’Arc jurassien qui est en amont de la chaîne de valeur, nous connaissons des manufactures qui privilégient un réseau de distribution propre pour pouvoir maîtriser les produits du début à la fin. Cela se défend pleinement.

Quels sont les secteurs les plus fragilisés? Faut-il s’attendre à une vague de faillite?

Dans chaque crise, malheureusement, il y a toujours des entreprises qui ne survivent pas au passage de la vague. C’est un scénario qu’il faut intégrer. Dans le canton de Genève, je vois certains secteurs fragilisés, comme l’événementiel et la communication, l’hôtellerie et également la restauration, qui se retrouvent sous une forte pression. Dans d’autres domaines, les acteurs passent bien la crise. Pour l’instant, nous n’observons pas de cas de défaut – ou seulement de manière marginale.

«Liquidités: c’est désormais un point à l’ordre du jour des PME tous les matins!»

Et en cas de deuxième vague, que se passera-t-il pour les PME?

Nous ne le souhaitons vraiment pas! Mais la question serait alors de savoir quelle serait la capacité de la PME à réduire drastiquement sa voilure et surtout à préserver ses liquidités. Autre mesure, le système des RHT qui fonctionne bien et a fait ses preuves, il permet de maintenir toute la souplesse du tissu des PME. En cas de deuxième vague, tout va dépendre de la possibilité à obtenir des prolongations de RHT. L’avantage principal réside dans le fait qu’il permet de réduire la voilure sans prendre des décisions irréversibles, notamment au plan des RH.

Pour revenir à l’hôtellerie, est-ce la fin des grands volumes à Genève, comme certains acteurs nous l’ont signalé?

Il est vrai qu’un certain nombre de responsables d’établissement s’interrogent sur leur modèle d’affaires et plus particulièrement sur leur visibilité. Les éléments nouveaux ont trait à la manière de communiquer pour capter une nouvelle clientèle. On assiste à une montée en puissance de la communication via les réseaux sociaux et Instagram en particulier et des comportements d’achat en lien avec cette dernière. La question de l’affiliation à des chaînes semble devenir indispensable – je parle de la situation à Genève et non de l’hôtellerie de montagne qui reste plus familiale.

L’hôtellerie de ville se trouve en revanche dans une situation plus complexe – notamment à Genève parce qu’elle dépend d’une clientèle de tourisme d’affaires (business) à 85%. En revanche, je ne vois pas de signal tangible qui montreraient la fin des grands volumes de nuitées. Il y en aura toujours, avec d’autres grands salons, ou lors des sessions plénières ou d’autres activités liées à l’ONU et aux grandes organisations.

Aujourd’hui, de quoi les responsables de PME ont-ils besoin de manière prioritaire?

Comme je l’ai dit, de préserver leurs liquidités. Il y a aussi, et c’est crucial, la nécessité d’obtenir de la visibilité pour l’avenir. Ce point est tout aussi important: être entrepreneur signifie en essence que l’on est capable d’observer, de réfléchir et d’anticiper. Puis, dans la foulée, d’intégrer tous les scénarii possibles. Obtenir de la visibilité, c’est retirer de l’incertitude.

«pME suisses: le choc dû au décroche­ment de l’euro en 2015 les a préparées à affronter de grands séismes.»

Qu’avez-vous appris à titre personnel durant cette période?

L’épisode des prêts Covid-19 fut un grand moment qui m’a remplie de fierté. Non seulement parce que nous avons été au centre du redémarrage, avec la proposition de notre CEO Thomas Gottstein qui a œuvré de concert avec le Conseil fédéral et d’autres établissements bancaires pour adopter une mesure urgente.

Je suis aussi très fière de la rapidité avec laquelle cette proposition a été mise en place et de la vitesse à laquelle l’argent a pu être mis à disposition des clients. Nous sommes déjà proches d’eux, mais là c’était encore plus proche. Nous les appelions pour leur dire que les fonds étaient à disposition sur leurs comptes en quelques dizaines de minutes.

«En cas de deuxième vague, tout va dépendre de la possibilité à obtenir des prolongations de RHT.»

Votre trajectoire en quelques mots?

En début d’année, j’ai été nommée responsable clientèle PME région Genève au Credit Suisse, établissement dans lequel je suis active depuis 20 ans. Auparavant, j’ai toujours travaillé dans le monde bancaire, après mes études à Genève. Les PME et leurs projets entrepreneuriaux, leur vie et leur évolution, toutes les belles histoires qu’elles suscitent – me passionnent!

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

au programme: recul du pib de -4% en 2020 et -3,5% en 2021

La BNS a injecté 91 milliards de francs de janvier à mi-septembre

«Les économistes peuvent désormais suivre l’évolution de la situation avec de nouvelles données liées à la mobilité. C’est un développement positif, car il permet un suivi en temps beaucoup plus réel», explique Maxime Botteron, l’économiste de Credit Suisse qui présentait avec Carole Nachbauer le Moniteur Suisse au troisième trimestre (T3).

En termes de PIB, la Suisse revient aux niveaux de 2013-14 (Etats-Unis: 2015. Europe: 2006). Notre pays se trouve dans un groupe avec la Suède et les Etats-Unis. Par contraste, Maxime Botteron rappelle que la Chine, entrée plus tôt en récession rebondit déjà au T2. Dans le groupe comprenant la France, l’Italie, le Royaume-Uni, le trou est bien plus profond. A mettre en parallèle avec la sévérité des mesures de confine­ment. En Suisse, l’indice PME des directeurs d’achats met en évidence des services plus touchés car dépendants de la consommation intérieure des ménages. Le commerce de détail fut impacté, le non-alimentaire plus forte­ment, la restauration d’entreprise et la restauration également. A signaler: la fin du tourisme d’achat durant cette période. Du côté du chômage, la situation est au final moins grave que ce à quoi l’on s’attendait. En avril, 25% des actifs étaient en RHT.

Les investissements seront en recul (-10 à -12%) dans les biens d’équipement, selon cet indice. Les directeurs d’achats n’attendent pas un rebond rapide. Du côté des exportateurs, les cycliques sont plus touchées. L’horlogerie est marquée par les tensions politiques à Hong Kong et la chute des revenus pétroliers. En revanche, la chimie et la pharma tirent le reste du panier vers le haut. En conclusion, la croissance va encore ralentir ces prochains trimestres pour les industrielles et les plus cycliques. Sans reconfinement, les économistes de Credit Suisse misent sur un recul du PIB de -4% en 2020 et -3,5% en 2021.

Un point encore sur la BNS. Dans le contexte de l’appréciation du franc elle a injecté 91 milliards depuis le début de l’année (jusqu’au 16 septembre) – dont 20 milliards par mois en mars et avril – pour des achats de devises. En mai, juin et juillet, les volumes ont été plus faibles. FOG

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