Publié le: 4 septembre 2020

Heidi et Narcisse en résistance!

REPRISE – Marque de T-shirt mythique née à Neuchâtel, l’héroïne helvétique Heidi.com résiste dans la tourmente. Le patron des inventeurs romands, Narcisse Niclass et son association IRO, monte au front et raconte comment Séverine Meier tente de redresser la barre.

Narcisse Niclass n’en est pas à son coup d’essai. Les inventeurs de tout poils, il les fréquente depuis des décennies au sein de l’IRO, l’association qu’il a fondée en Suisse romande et au Salon des inventions à Genève. Mais pourquoi nous écrit-il avec tant d’insistance depuis juillet que Heidi.com est en passe d’être sauvée? Il nous a raconté pourquoi cela valait la peine de se démener. Voici son récit!

Un rendez-vous manqué

Tout aurait dû commencer en mars dernier sur l’espace Île-Verte, le stand de l’IRO au Salon international des inventions où la présence de Heidi.com était prévue. Cette héroïne mythique est la bonne partenaire pour une économie durable et responsable. Invention.ch avait développé un concept en lien avec elle: «Heidi Résiste!»

Après avoir été déplacé de mars à septembre, le 48e Salon se tiendra en mars 2021. Ensuite, l’environnement de cette PME s’est dégradé, comme celui de beaucoup d’autres. Invention.ch avec son groupe Point Créateurs a décidé de donner un appui à Séverine Meier, qui tente de relancer cette entreprise à Neuchâtel.

Des effets boomerang

Les Etats peuvent s’endetter et reporter la dette. L’Etat ne meurt pas. Les entreprises, comme les femmes et les hommes, meurent. Et la prise de risques ne rend pas une entreprise pérenne. Heidi.com à Neu­châtel est une marque emblématique qui a acquis très rapidement une grande notoriété. La société fondée en 2004 s’est taillé un T-shirt mythique et sur mesure avec une frimousse sympathique.

«août 2019: seule sur le pont, Séverine Meier, une ancienne de Switcher…»

C’était sans compter avec les effets boomerang d’un logo un peu trop proche de l’image des créateurs japonais d’une série TV. A cause de cette similitude l’extension de la marque à l’étranger a été stoppée. D’autres difficultés internes ont entraîné le départ de l’un des deux membres fondateurs, Andres Doering, en 2015. En 2019, c’est Willy Fantin, le deuxième compère qui abandonne aussi la petite fille des Alpes. Ces départs étaient un révélateur de quelques problèmes de management ou de lassitude.

Le brouillard de la notoriété

Après avoir pratiqué un astucieux marketing guérilla et participé en 2010 à l’exposition universelle de Shanghai, en 2014, les deux fondateurs innovent en créant, c’est leur idée, le shop du futur dont le design est signé par le bureau de Zaha Hadid de Londres. Les aménagements de la boutique étaient à l’avant-garde, mais les deux capitaines étaient dans le brouillard de la notoriété grandissante. En fait, pour financer ce projet de développe­ment, les deux fondateurs avaient cédé presque la totalité de leurs parts à de nouveaux actionnaires.

L’aventure de cette marque démontre bien qu’il y a des créateurs avec des idées et ces créateurs ne sont pas forcément de bons gestionnaires. La mode c’est fun et plaisant. Les enjeux n’étaient pas planétaires. Toutefois, en regardant la constitution du capital de fondation puis son évolution on comprend que l’ADN de Heidi.com SA n’était pas aussi sain que celui de la petite fille des Alpes.

«L’aventure de cette marque démontre que les créateurs dotés d’idées ne sont pas forcément de bons gestionnaires.»

La Sàrl est transformé en société anonyme en juin 2012 par la reprise du bilan qui dégage une fortune de 41 397,71 francs. En juin 2019, le capital social était de 631 100 francs après cinq augmentations de capital toujours effectuées par abandon de créances. C’est une démarche connue qui permet souvent d’arranger les comptes des actionnaires – mais qui ne signifie pas toujours une grande rigueur dans la gestion des flux monétaires.

En août 2019, seule sur le pont Séverine Meier, une ancienne de Switcher, reprend la présidence et la direction de la société. Des abandons de créances, ce n’est pas du cash pour la trésorerie. Des relations internes dans l’équipe quelque peu conflictuelles entraînent le blocage d’environ 300 000 francs de la part d’un client important (de la grande distribution). Des fournisseurs bien informés par des amis de Heidi, durcissent leurs conditions de paiement. La visite du Coronavirus est le coup de trop en réveillant quelques anciens cadavres dans les placards.

Séverine Meier, emportée par son enthousiasme et sa ténacité, ne voit pas toujours à temps comment esquiver les coups des bons amis. Son entêtement la fragilise. La rumeur sur les difficultés enfle et les médias locaux en font un bon sujet de feuilleton. Séverine résiste! Heidi résiste! Les ventes importantes réalisées dans les lieux touristiques de toute la Suisse tombent à zéro. Heidi résiste mais tous les conflits internes ne facilitent pas l’action de Séverine. En mars 2020, une grande opération de relance était prévue au Salon international des inventions de Genève. Le salon a été reporté à mars 2021. Heidi sera-t-elle toujours sur les Alpes?

Pour Séverine, le chemin de l’écologie avec un esprit innovant est le joker dans les opérations en construction. Elle a à peine trois mois pour convaincre. La rumeur va-t-elle changer de ton? Les médias neuchâtelois vont-ils suivre cette nouvelle phase avec une curiosité positive? Les partenaires financiers vont-ils relever le défi et résister?

Accepter les Ă©checs

Mi-août une exposition artistique s’est tenue au Faubourg du Lac à Neuchâtel – en présence de Claude Rollinet, constructeur de rêves, avec ses œuvres qualifiées d’art brut, son esprit libre et créatif, illustre aussi cette suissitude. Le lien avec Heidi? Une horloge en fromage comme image. Un symbole multiple: l’horlogerie, la mécanique, le fromage, les Alpes, l’originalité et les défis comme prise de risque.

Aujourd’hui, le langage officiel évolue. Avec les adaptations qui s’imposent et changent notre quotidien, l’innovation est à nouveau le viatique miraculeux qui va nous sauver de la catastrophe économique.

Discrètement, le mot «échec» apparaît enfin dans les discours. Si la Suisse veut garder sa vitalité, sa force et sa souplesse, il faut oser prendre des risques et accepter aussi l’échec. Nous entendons que tout va vite. Mais dans la réalité, ce n’est pas vrai, car l’administration, les lois, les règles bloquent le changement et la souplesse d’action des entrepreneurs, des porteurs de projets. Nos banquiers préfèrent se distribuer des bonus au lieu de jouer leur rôle de courroies de transmission dans le fonctionnement de notre société. Nos fonctionnaires préfèrent s’asseoir sur leur caisse de pension au lieu de s’impliquer dans la vie associative et sociale!

Texte: Narcisse Niclass

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