Publié le: 25 janvier 2019

Homme de fer et bijoutier créatif

portrait – Marc Pury trouve l’inspiration pour ses nouvelles créations dans les efforts de longue durée. C’est en courant, en nageant ou au guidon de son vélo de triathlète que cet «ironman» trouve ses meilleures idées.

Savoir recréer l’harmonie – pour un bijoutier, c’est le cœur du métier. Or le monde selon Marc Pury, artisan à Estavayer-le-Lac, c’est tout cela. Un atelier jouxtant une galerie dans laquelle il accueille d’autres artistes et se prête au jeu fertile de l’échange et du partage. Et en parallèle, une école de natation pour les enfants de 5 à 14 ans. En lui coexistent les métiers qui domptent les matériaux nobles, les précieux minéraux, mais aussi les apprentissages qui sculptent le corps et le mental. Marc Pury mène par ailleurs une vie de sportif de haut niveau: il nage des heures, mouline son vélo sur les cols de montagne et court des dizaines de kilomètres en s’oubliant pour mieux se repenser de l’intérieur. Sans oublier la reine des disciplines, le triathlon qui conjugue ces trois efforts.

Force et empathie

Un homme de fer, cet «ironman» qui, la première fois que nous l’avons rencontré, accueillaient ses invités avec gentillesse et compréhension quelques jours avant le vernissage de leur expo de peinture et de sculpture. La deuxième fois, son empathie était maximale avec un client. Ses créations reflètent cet état d’esprit. Serties de pierres précieuses, ses oeuvres sont exposées au rez-de chaussée d’une demeure située à quelques dizaines de mètres de la Collégiale Saint-Laurent – un excellent patron pour les créatifs du lieu.

Mais la vraie vie de Marc se poursuit en extérieur. Car pour prendre un raccourci, le vaste monde est depuis longtemps en lui. Né à Sao Paolo en 1970, il grandit dans un Brésil rural et sans frontières. Il raconte qu’il parcourait les champs pour y dénicher des agates et les frappait pour en extirper leur géode, polissant des cristaux durant des milliers d’heures pour en rehausser la forme…

Une fazenda et la pampa

Ses parents – deux Suisses qui se sont rencontrés à Bienne dans le monde de l’horlogerie. «Mon père était horloger et ma mère travaillait dans une usine dans le même secteur.» À cette époque, le savoir-faire suisse s’exportait au Brésil.

«L’horlogerie était la raison de cette émigration. Puis, mon père a repris une fazenda, j’ai assez vite appris à monter à cheval, je partais à l’aventure dans la pampa. C’était une vie incroyable – je ne suis jamais allé un seul jour à l’école.» Comme toute chose a une fin, les couples aussi. Pour Marc et sa mère, les vacances en Suisse se transforment rapidement en retour définitif à Estavayer-le-Lac. La ville où son grand-père (qu’il n’a pas connu) était artisan sellier à la tête d’une famille de onze enfants.

«Ayant grandi au Brésil, ma première langue était le portugais, raconte-t-il. Mais en arrivant à l’école enfantine staviacoise, il a fallu passer au français. J’ai vécu un déracinement complet.» Ses jouets d’enfant sont restés au Brésil. «Mais le pire, ce fut surtout cette perte totale de liberté qui s’ajoutait au fait de se retrouver entre quatre murs.»

Une scolarité chaotique

Les dés scolaires sont vite jetés. Les pédagogues se feront des cheveux gris, mais Marc ne transigera pas avec son enfant intérieur. Il grandit dans une «fazenda» – littéralement le lieu «où l’on fait les choses». Après une scolarité chaotique, il apprend le métier d’ébéniste. Heureusement que le patron lui permet de s’exercer à l’atelier le week-end, car le reste du temps, il lui faut porter des meubles de cuisine. C’est un métier qui est physiquement exigeant. Et difficile à concilier avec la natation. Il fréquente la société de sauvetage d’Estavayer-le-Lac, puis un club à Yverdon.

Il y eut aussi une période consacrée à l’escalade – recherches d’équilibre et de dépasse­ment de soi.

Porter sa vue au loin

Arrivé sur le marché du travail en pleine récession des années 1990, ce binational suisse et brésilien prend la poudre d’escampette.

Cap sur l’Amérique latine, avec l’envie de retrouver des racines perdues. Au cours de ses pérégrinations, il découvre le Venezuela et l’Équateur, puis plante quelques racines en Colombie. «J’y suis resté, car je m’y suis tout de suite bien senti et l’on m’y a chaleureuse­ment accueilli. J’ai fait la connaissance d’artisans itinérants qui passaient du Mexique au Chili et remontaient, prenant des pierres précieuses ici, des coquillages là, des épines de porc-épic. Avec eux, j’ai tout appris de mon métier.»

Marc brandit un petit cadre brisé sur lequel figure une photo prise à cette époque. Disposés avec soin sur un morceau de tissu, le cliché représente ses premières créations, réalisées presque sans outils et inspirées de l’artisanat péruvien et mexicain. «Je n’ai pas cherché à les copier, mais à réinterpréter ces traditions dans un style personnel.» C’est depuis cette époque que Marc Pury vole de ses propres ailes. Ces artisans lui enseignent les rudiments de la bijouterie itinérante. Et dans la foulée, marché après marché, il se met à croire à sa bonne étoile. Car parfois, la faim est au rendez-vous.

Effort et naissance des idées

Aujourd’hui, la page est tournée et Marc va de l’avant. Avec allant, tant le sport est une école de vie, mais aussi de créativité. Il raconte avec délicatesse ces moments magiques: «Quand je cours, que je nage ou que je roule sur mon vélo, je me retrouve en fait bien plus concentré sur mes bijoux que si je restais sagement assis derrière mon établi.» C’est en faisant du sport qu’il trouve les meilleures solutions.

«Cela se passe dans ma tête», raconte-t-il. Après un certain temps, son corps est chaud, son esprit s’élève. Tout à coup, quelque chose se relâche et à cette phase de détachement succède une période constructive. «Et les idées arrivent, les unes après les autres!»

François Othenin-Girard

www.atelier-galerie-olocal.ch

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