Publié le: 7 juillet 2017

Hydraulique: moins bien que la France?

L’invité du mois

Alors que la nouvelle stratégie énergétique, acceptée par le peuple, octroie aux exploitants des barrages suisses des contributions aux investissements et une prime de marché pour l’électricité vendue sur le marché en deçà du coût de revient, ces mêmes exploitants souhaitent que le parlement leur octroie de nouvelles aides. Ainsi la Commission Energie et Aménagement du Territoire du Conseil national CEATE-N, préconisait que les clients captifs, ceux qui ne peuvent librement choisir leurs fournisseurs en raison d’une consommation inférieure à 100 MWh, se voient contraints d’aider ces infrastructures en payant des tarifs recouvrant les coûts opaques de production de ces installations.

Face aux doléances des électriciens et à leurs sollicitations répétées, les consommateurs sont en droit de s’interroger sur la question de la rentabilité économique des ouvrages hydroélectriques suisses. Dans la mesure où la Suisse est un acteur du marché européen de l’électricité, une comparaison de cette rentabilité à une échelle internationale est requise. Pour ce faire, prenons le parc français dont, comme nous allons le voir, certaines caractéristiques majeures sont proches de celles du parc suisse.

Selon France-Hydro Électricité, l’association faîtière des producteurs, l’énergie hydraulique représente 13,3% de la consommation électrique de l’Hexagone. En 2016, le pays aurait ainsi bénéficié de 64 TWh issus de l’hydroélectricité grâce à une puissance installée de 25 482 MW. La même source stipule que le chiffre d’affaire issu des installations, s’élèverait à 3,5 milliards d’euros en 2015 (3,8 milliards de francs), une année au cours de laquelle les prix de marché ont atteints des niveaux historiquement bas. Electricité de France (EDF) aurait consacré environ 400 millions d’euros (440 millions de francs) aux coûts de maintenance de 622 centrales et la filière emploierait quelques 12 000 salariés. Parallèlement à ces coûts opérationnels, des investissements d’un milliard d’euros ont été réalisés entre 2011 et 2015 pour moderniser et optimiser le parc français.

En cette période difficile pour le producteur français, ces investissements ne sont certainement pas financés par des technologies déficitaires.

Dans notre pays, la production hydraulique, qui représente près de 60% du parc de production, a généré environ 36,4 TWh en 2015. La capacité totale installée s’élèverait à environ 16 000 MW, et le nombre d’installations légèrement supérieur à celui observé en France, est de 686. Selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), le chiffre d’affaire de la production hydraulique représenterait environ 1,8 milliard de francs. En raison d’un nombre comparable d’installations entre les deux pays, l’amplitude des coûts d’exploitation devrait être similaire à celles observées en France. Aux charges opérationnelles s’additionnent les redevances cantonales auxquelles sont soumis les producteurs, pour un montant de 550 millions de francs. Un simple calcul permet d’établir que les recettes disponibles pour le recouvrement des amortissements et des charges de capital s’élèveraient à environ 800 millions de francs par année. Avec un âge moyen des ouvrages d’environ 63 ans, et des réinvestissements réalisés en moyenne il y a environ 30 ans (statistiques 
de l’OFEN), ce solde recouvrirait les coûts du capital liés à des investissements partiellement amortis.

Parallèlement à ces observations comptables, qui nous amèneraient à conclure que la performance économique des installations hydrauliques suisses s’alignerait sur celles de leurs concurrents européens, d’autres facteurs argumenteraient égale­ment en faveur de leur meilleure efficacité. La durée moyenne de fonctionnement des installations, définie par le ratio entre production et capacité des installations est d’environ 2500 heures en France, contre 2200 heures en Suisse. Cette différence nous renseigne sur la meilleure adéquation du parc hydraulique suisse pour optimiser son stock d’eau, ressource énergétique limitée, et bénéficier des meilleures pointes de prix observées sur le marché. A titre illustratif, sur les seules cinq premières semaines de l’année 2017, l’observation des prix de marchés et de l’évolution des stocks suggèrent que les revenus générés par la production hydraulique se seraient élevés à 140 millions de francs contre 40 millions sur la même période l’année précédente. Cette augmentation des recettes s’explique en raison d’un renchérissement des prix observés en début d’année, qui a incité les producteurs d’ouvrages de production flexible à valoriser, et à optimiser au mieux leurs stocks hydrauliques, comme l’illustrent les graphiques ci-dessous.

De nouvelles opportunités pour l’exploitation des centrales existent. Certes les prix de marchés se sont écrasés ces dernières années, mais de nouvelles opportunités de valorisation de la production hydraulique, notamment dans le cadre des participations aux services système, indispensable pour assurer la sécurité des réseaux, se sont développés en Suisse et à l’étranger. Même si la balance des échanges commerciaux a été négative pour la première fois en 2016, les producteurs échangent avec leurs homologues transfrontaliers près de 40 TWh d’électricité (OFEN, 2016), l’équivalent de la production hydroélectrique. Ces échanges résultent notamment de l’optimisation économique faite par les acteurs sur les différentes plate-formes d’échanges européens.

Les acteurs suisses devraient faire face à des investissements en matière de surdimensionnement de leur ouvrage. Le potentiel de développement de la capacité de production est limité, car la majorité des droits d’eaux dans les vallées alpines sont déjà octroyés. Devant ces constats, les exploitants hydrauliques suisses ne semblent pas présenter un désavantage compétitif vis-à-vis de leurs concurrents. Dès lors, l’octroi de subventions qui recouvriraient des coûts d’exploitation, que les seules entreprises sont en mesure de contrôler, ne peut se traduire qu’en une aide d’Etat déguisée qui induirait une distorsion de concurrence. Le problème n’est donc pas issu de facteurs exogènes, c’est-à-dire le prix de marché, comme semble l’affirmer l’industrie, mais du fait que les actionnaires de ces entreprises n’acceptent, et n’anticipent pas les fluctuations de la rémunération du capital dans un contexte d’ouverture et de transition énergétique.

Dès lors, le plaidoyer des exploitants suisses semble tout à fait dépourvu de justificatifs économiques, et un soutien à l’énergie hydraulique indigène ne doit pas être décidé de manière précipitée. Le Conseil national l’aurait compris et a accepté, fin mai 2017, de renvoyer en commission ce point controversé, afin que ses conséquences financières et l’impact pour les consommateurs captifs puissent être évalués.

La branche électrique et le parlement poursuivent leur examens des dispositifs susceptibles de rémunérer les capacités de production hydrauliques (ex. les mécanismes de capacités qui rémunèrent la disponibilité des ouvrages, indépendamment de la production effective de ceux-ci). Cependant, ces dispositions ne peuvent cohabiter avec des tarifs aux clients captifs, qui assurent déjà le recouvrement des coûts complets de production. La mise en place de tels dispositifs n’est viable que dans les marchés complètement ouverts à la concurrence, sous peine d’induire une inefficience économique.

Les opinions exprimées dans cette rubrique ­n’engagent que l’auteur.

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