Publié le: 9 mars 2018

Incitation au lieu de coercition

discrimination salariale – L’économie ne doit pas les favoriser, affirme le conseiller aux États Joachim Eder (PLR/ZG). Le sénateur zougois rejette catégoriquement la police des salaires.

Journal des arts et métiers: Dans quelle mesure les inégalités salariales sont-elles aujourd’hui un problème dans l’économie suisse?

n Joachim Eder: L’égalité hommes-femmes est une préoccupation importante de la population suisse, que je partage pleinement. Mais pour parvenir à l’égalité, comme dans tout sujet politique, les objectifs doivent être atteints par le biais d’incitations et de mesures volontaires, et non par contrainte gouvernementale ou réglementation rigide. L’économie suisse s’est nettement améliorée ces dernières années. Et dans ce laps de temps, les écarts salariaux se sont réduits régulièrement. Ils pourraient l’être encore davantage par des mesures ciblées visant à concilier vie professionnelle et familiale. Ce serait bien plus judicieux que d’adopter une loi bureaucratique. Par exemple, les disparités salariales existantes peuvent être combattues efficacement en augmentant davantage les taux d’emploi des femmes et en augmentant le nombre de femmes dans les métiers à prédominance masculine. Sans de tels efforts, les progrès réalisés ces dernières années en 
matière d’égalité salariale dans l’économie suisse risquent de stagner.

«UNE MAJORITÉ D’ENTREPRISES ONT DEPUIS LONGTEMPS FAIT LEURS DEVOIRS.»

Le débat salarial marque une distinction entre les différences salariales explicables et inexplicables. Cependant, le message du Conseil fédéral fait état d’une tendance à la réduction des écarts de salaires inexplicables. Pourquoi avons-nous besoin d’une nouvelle loi?

n Dans les faits, la part inexplicable de l’écart salarial est passée de 8,6 à 7,5% entre 2012 et 2014. On peut supposer qu’elle a diminué au cours des quatre dernières années (2014-2018) et qu’elle se situe désormais aux alentours de 5%.

Pour moi, c’est le signe que cette 
réglementation est inutile. La loi sur l’égalité des chances existe déjà et 
a eu des effets positifs depuis son 
application. Inutile de renforcer la réglementation! En outre, la majorité des entreprises ont déjà fait leurs devoirs et l’économie a tout intérêt à ne pas favoriser de discrimination salariale.

Que pensez-vous de la proposition de la conseillère fédérale Sommaruga d’introduire des contrôles salariaux obligatoires?

n Permettez-moi une remarque préliminaire: le projet a été déposé par l’ensemble du Conseil fédéral, ce qui est étonnant, vu la nette majorité bourgeoise au sein de cet organe. Des règlements avec une police des 
salaires concerneraient toutes les entreprises, y compris la grande majorité d’entre elles qui a déjà fait ses devoirs. Voilà pourquoi je rejette une telle proposition. L’égalité salariale est ancrée dans la Constitution. De nombreuses associations, y compris l’Union suisse des arts et métiers et les divers partenaires sociaux ont, par conviction, pris part au dialogue sur l’égalité salariale.

La proposition de loi prévoit la possibilité de nommer un cabinet d’audit pour engager un expert reconnu en matière d’égalité de revenus ou une représentation interne du personnel. Les résultats doivent être communiqués aux salariés et, dans le cas d’une société cotée, aux actionnaires. Dans ces entreprises, y aura-t-il des discussions fondamentales 
sur les salaires?

n La commission a supprimé la proposition d’experts reconnus en matière d’égalité de rémunération, sans la remplacer. Cela signifie que cette tâche appartient aux sociétés de révision agréées ou à une représentation interne du personnel. Quant à la question de savoir si les discussions salariales ont lieu dans l’entreprise, cela dépend entièrement de la manière dont les résultats sont communiqués au sein de l’entreprise.

Qu’attendons-nous réellement de cette proposition? N’en fait-on pas toute une montagne – montagne qui, à nouveau, accouchera d’une souris?

n Ce qui me dérange énormément, c’est que la révision de loi se concentre uniquement sur la différence spécifique de genre et ignore les qualités personnelles telles que l’expérience et l’engagement. L’économie a non seulement la responsabilité sociale, mais aussi un intérêt direct à ne pas favoriser la discrimination fondée sur le sexe. Aucune entreprise ne peut se permettre une discrimination systématique, sinon elle ne pourra plus recruter des employés motivés et compétents. Les entreprises tentent de créer des conditions de travail attrayantes même sans réglementation gouverne­mentale.

Avec une faible majorité, la Commission de la science, de l’éducation et de la culture (CSEC-E) a réussi à faire passer la proposition en janvier. Quels sont vos points clés du débat au Conseil des États?

n Ce n’est un secret pour personne, j’appartiens à la minorité qui n’a pas soutenu la proposition. Malheureuse­ment, nous avons échoué à 7 voix contre 6. Néanmoins, nous pouvons affirmer avoir réalisé beaucoup de choses lors de la consultation en 
détail de notre Commission, le 
13 février 2018. Je résume les points importants:

«CE SERAIT UN VOTE DE DÉFIANCE ENVERS L’ÉCONOMIE ET UNE ATTEINTE À LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE.»

• Clause «Sunset»: la période de validité de la section 4a (analyse de l’égalité salariale) et des articles connexes est limitée à douze ans, à compter de la date d’entrée en vigueur.

• Le projet du Conseil fédéral stipule que l’obligation d’analyser l’égalité salariale s’applique aux employeurs de 50 employés et plus. La Commission a maintenant élargi le champ d’application à 100 employés, soit 0,85% des entreprises et 45% des employés. Une motion visant à 
porter le seuil à 250 employés a été rejetée.

«LES QUALITÉS PERSONNELLES COMME L’EXPÉRIENCE ET L’ENGAGEMENT SONT IGNORÉES.»

• La révision de l’analyse de l’égalité salariale pour le secteur public n’est pas réglementée par le Conseil fédéral. Nous avons apporté une précision importante dans le texte de loi afin d’obtenir des conditions équitables entre les secteurs privé et public. Le Conseil fédéral doit réglementer la mise en œuvre de la révision de l’analyse de l’égalité salariale au niveau fédéral. Les cantons sont 
tenus de le faire sur leur territoire.

• La proposition devrait être simplifiée au maximum pour les entreprises concernées. Cela passe notamment par une communication et une vérification aussi souples que possible. En outre, un outil d’analyse standard gratuit sera mis à la disposition des entreprises. Enfin, ils devraient être exemptés de l’obligation d’analyse, à condition que l’analyse montre que l’égalité de rémunération est respectée. Il s’agit là d’une nette amélioration par rapport à la proposition du Conseil fédéral.

En cas d’adoption de la proposition de loi, quelles seraient les conséquences pour le marché du travail dans son ensemble? Quel signal le nouveau règlement enverrait-il?

n Il s’agirait d’un vote de défiance à l’égard de l’ensemble de l’économie ainsi qu’une atteinte injustifiée à la liberté contractuelle entre employeurs et salariés. Une chose est claire: pour les employeurs, c’est une nécessité économique de payer des salaires égaux. La discrimination est sanctionnée par le marché et les violations de l’égalité salariale peuvent également être portées devant les 
tribunaux. C’est suffisant. Il est dans l’intérêt des entreprises elles-mêmes de payer le même salaire pour le même service.

Interview: Gerhard Enggist

PIle dans l’actu!

Le Conseil des États n’en a pas voulu et il a rebalancé le projet en commission: mercredi 28 février dernier, la Chambre des cantons a en effet renvoyé en commission ce projet visant à imposer aux entreprises une obligation de transparence salariale. Ce vote s’est joué par 25 voix contre 19. Les États ont donc décidé de suivre la proposition de Konrad Graber (PDC/LU). Le Lucernois souhaitait que la commission examine des alternatives, en particulier des modèles d’auto-déclaration. Ce fut un beau tollé à gauche! «Ce serait repartir à zéro et revenir au modèle volontaire qui n’a pas fonctionné», a lancé Géraldine Savary (PS/VD), évoquant «beaucoup de mauvaise foi» dans le débat. La presse souligne que le projet du Conseil fédéral veut obliger les patrons à analyser tous les quatre ans les salaires dans leur entreprise et à faire contrôler ce travail par des tiers. À droite, les opposants estiment que les mesures volontaires suffisent, même si elles mettent du temps à produire leurs effets. À leurs yeux, le projet engendrera de la bureaucratie inutile. (red/agences).

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