Publié le: 4 septembre 2020

Indépendance, transparence

philippe nantermod – Le conseiller national (PLR/VS) en a eu assez de se faire insulter par un multirécidiviste sur les réseaux sociaux. Il a porté plainte et l’individu a été condamné. Assiste-t-on à un changement de paradigme sur le respect de la fonction politique? Probablement.

Journal des arts et métiers: On a lu cet été dans la presse qu’un militant Vert vaudois avait mis en question votre indépendance et vous avait traité de «corrompu». Puis, qu’il avait été condamné. Comment avez-vous vécu cet épisode?

Philippe Nantermod: Ce n’est pas traumatisant en soi, mais les parlementaires n’ont pas à servir de punching ball ! Ce Monsieur passait son temps à me traiter de corrompu sur les réseaux sociaux. A la longue, cela devenait pénible. Comme j’ai l’habitude de répondre et de cultiver le débat, j’ai pris contact avec lui pour lui demander d’arrêter ses insultes et de retirer son tweet. D’une part parce que c’était faux, je n’avais pas touché d’argent de Groupe Mutuel et j’ai renoncé à participer à ce groupe après réflexion, mais avant la première séance. Mais aussi parce que traiter quelqu’un de corrompu, c’est de la diffamation. Constatant qu’il continuait à faire des copies d’écran de échanges et à les publier sur les réseaux, j’ai fini par porter plainte. Le tribunal l’a condamné à 45 jours amende avec sursis et une amende de 500 francs, plus 825 francs de frais. Cela devrait avoir un effet dissuasif suffisant.

«avec les réseaux sociaux, le phénomène s’est amplifié.»

Le parlementaire est-il devenu une personne plus exposée par les temps qui courent?

Autrefois les campagnes de dénigrement s’en prenaient aux affichages dans les communes. Sur les réseaux sociaux, cela n’a pas la même portée. Le phénomène est amplifié. Être élu au conseil national va de pair avec une certaine reconnaissance sociale et un engagement pour la collectivité. Face à l’extérieur, cela varie. Ma collègue Ada Marra (PS/VD) a été insultée dans des proportions inacceptables. Je l’ai toujours encouragée à s’adresser à la justice lorsque cela dépassait les limites. Parfois on ne peut pas le faire. Mais une chose est sûre, je ne rentre pas à la maison en pleurant.

En 2019, un groupe d’élus à Berne a souhaité lutter contre les insultes et les menaces. Cette démarche est-elle fructueuse?

Difficile à dire. A mon avis, cette task force devait apporter un conseil aux élus qui sont visés et menacés. Tout le monde n’est pas avocat et ne connaît pas nécessairement les ficelles du métier dans pareille situation. Mais il faudrait aussi qu’une entente puisse être trouvée avec certains sites internet pour que l’anonymat ne soit plus protégé lorsque certaines limites sont franchies.

L’éthique entre parlementaires a-t-elle changé?

Il y a toujours un grand respect entre parlementaires, à part quelques fous furieux. Bien sûr, on s’envoie des vannes de temps à autre mais cela reste respectueux, et le principe même de la politique implique le débat, même parfois virulent. Nous sommes tous conscients de la valeur de l’engagement politique, y-compris de celui de chacun de nos adversaires.

Qu’est-ce que l’indépendance réelle en politique?

C’est très complexe à définir. Une quête infinie de transparence n’est certainement pas une solution. Comme parlementaire, avant de créer une loi dont les effets sur la société seront majeurs, et les conséquences financières immenses, nous nous devons de nous informer auprès de gens qui connaissent la réalité du terrain. D’où les groupes de discussion. D’où les lobbys. D’où les échanges avec ce que certains appellent la « société civile ».

Comme je siège à la commission de la santé et que je ne suis pas un professionnel de ce secteur, il est normal que je rencontre divers acteurs. Je vois par exemple les personnes d’assurances maladie diverses, j’ai des échanges fructueux avec les pharmaciens, la FMH, etc. Les sujets abordés sont d’une grande complexité, le nombre d’acteur impressionnant et les conséquences de nos décisions vertigineuses. Mes collègues de gauche entendent souvent des associations de fournisseur de prestations, ou de patients, à droite, nous avons probablement plus d’échange avec les assureurs et d’autres organes qui défendent – ou prétendent le faire – un modèle de santé libéral.

Comment cela se passe à Berne?

Je ne crois pas que les élus adaptent leur opinion selon le groupe de pression, mais c’est plutôt l’inverse. Comme élu, je me rapproche naturellement des acteurs avec lequel je partage des valeurs. Un tel rapprochement n’est pas synonyme d’être aligné-couvert.

Indépendance et financement des partis, des campagnes. Est-ce plus difficile de tirer son épingle du jeu? qu’est-ce qui a changé?

On devient toujours plus méfiant face à l’argent en politique. Je ne sais pas si c’est légitime, mais c’est un état de fait. Et probablement que nous allons gaiment vers une plus grande réglementation du financement de la vie politique.Je remarque toutefois que les pays qui connaissent le plus de règles en la matière ne sont pas pour autant les plus exemptés de scandale à ce propos. Prenez les Etats-Unis. C’est probablement le pays qui connaît le plus de lois à ce sujet, avec un financement très strict et contrôlé. Et pourtant, les campagnes à la présidentielles se chiffrent désormais en milliards de dollars.

Une fois que l’argent est versé, les pressions existent-elles?

Dans ma vie de parlementaire, je n’ai jamais vu qu’une contrepartie soit exigée après un financement. A une seule exception près. Un lobby routier avait fait un don de mille francs dans ma campagne et m’a cloué au pilori lorsque j’ai soutenu le contre-projet à l’initiative « Vache à lait ». C’est une attitude contre-productive. Dans notre parti, nous ne savons pas qui sont les sponsors. J’ai quelques soupçons, bien sûr, mais seul le secrétaire général et le président du parti sont au courant. Quand je fais des propositions, dans un sens ou dans l’autre, je ne reçois jamais de pression.

«on devient toujours plus méfiant face à l’argent en politique.»

Est-ce que l’autocensure est une tentation, ne pas déplaire?

L’autocensure – ne pas jouer un jeu strictement personnel - bien sûr existe au sein d’un groupe parlementaire, dont le but est d’avoir une ligne pour disposer d’une marge d’action. Dans ce sens, je me sens dans la peau d’un parlementaire élu à la proportionnelle. Mais nous représentons aussi une région, des intérêts et dans mon cas, le Valais, le Chablais, les stations de ski et le tourisme.

Qu’est-ce qui a changé, dites-vous, depuis quelques années?

C’est cette illusion d’une transparence qui pourrait être accessible à coup de nouvelles lois.

Pourquoi un tel changement?

Il découle certainement d’une grande méfiance à l’égard de la classe politique. Je suis persuadé que nous irons vers davantage de règles sur la transparence en politique. Je ne suis par contre pas convaincu que la démocratie en sorte nécessairement gagnante.

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

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