Publié le: 19 janvier 2018

«Ineptie bureaucratique»

MATTHIAS SAMUEL JAUSLIN – L’entrepreneur et conseiller national (AG/PLR) considère que 
l’ordonnance d’application de l’initiative «Contre l’immigration de masse» est impraticable.

JAM: En décembre, le Conseil fédéral a adopté l’Ordonnance sur le service de l’emploi dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse». Elle définit notamment les condi­tions de base pour l’obligation d’annonce des emplois. En tant que politicien, quelle est votre appréciation?

n Matthias Samuel Jauslin: Le Conseil fédéral a raté la chance de s’attaquer aux vrais problèmes. A commencer par la question des seuils en rejetant la volonté du Parlement de tenir compte des différentes régions économiques, en plus des catégories professionnelles et secteurs d’activité. Et cela conduira à des situations grotesques obligeant, par exemple, les offices régionaux de placement (ORP) du canton des Grisons à gérer le profil professionnel de décolleteur bien que cette profession s’exerce principalement en Suisse occidentale.

 

Et en tant qu’entrepreneur, comment jugez-vous la décision du Conseil fédéral?

n  C’est une ineptie bureaucratique! Les PME dépendent d’un recrutement rapide et simple d’employés qualifiés. Bien sûr, nous sommes prêts à donner la priorité aux travailleurs indigènes et, pour cela, suivre des règles simples. En outre, le Conseil fédéral part du principe absurde que les demandeurs d’emploi sont obligatoirement des chômeurs avec, pour chaque cas, l’obligation d’annonce officielle aux ORP. Or, nombreux sont les demandeurs d’emploi qui ne sont pas au chômage, mais simplement à la recherche d’un nouveau défi professionnel. Les causes sont multiples: 
acquérir de l’expérience, séjours à l’étranger, congé maternité, service militaire, formation, pause, etc. Mais pour certaines catégories professionnelles s’applique l’obligation d’an­nonce aux ORP, même si la personne en recherche d’emploi n’y est pas 
inscrite en tant que chômeur, les em­ployeurs n’ont pas la possibilité de l’en­gager directement. Non seule­ment c’est une discrimination, mais en plus elle est néfaste en surchar­geant inu­tilement le monde du travail.

«LE CONSEIL FÉDÉRAL A RATÉ LA CHANCE DE S’ATTAQUER AUX VRAIS PROBLÈMES.»

Le Conseil fédéral ne ferait-il 
pas mieux d’utiliser la marge de manœuvre légale?

n  Absolument! Le législateur a en effet permis au Conseil fédéral de définir d’autres exceptions. Rétrospectivement, c’était bien une erreur que le Parlement n’ait pas formulé de directives contraignantes. Le règlement aurait dû être conçu de manière à ce que le concept initial, à savoir le contrôle de l’immigration, soit efficace et ciblé. Au lieu de cela, toutes les professions sont désormais ciblées à l’échelle nationale. Que les ORP aient jusqu’ici fait un excellent travail avec la nouvelle réglementation repoussée aux limites, n’est pas surprenant.

«LES PME SONT FAVORA­BLES A UN RECRUTEMENT RAPIDE ET SIMPLE.»

Concrètement, qu’est-ce que le Conseil fédéral devrait améliorer?

n  Il existe des catégories professionnelles qui souffrent de taux de chômage élevés comme le secteur du commerce de détail avec plus de 10 700 chômeurs (SECO, moyenne annuelle 2016). Même les professions du gros œuvre et de l’entreposage, le personnel de cuisine et de service dans la restauration ainsi que le personnel de soins à domicile comptent chacune plus de 3000 personnes au chômage. Cependant, toutes les régions économiques ne sont pas touchées de manière égale. Par conséquent, le Conseil fédéral devrait se concentrer sur ces catégories professionnelles et sur les régions économiques affectées. On regrouperait ainsi les ressources des ORP. Mais au lieu de cela, il faut désormais gérer des catégories professionnelles sans réel problème comme les mécaniciens sur machine qui comptent, à l’échelle du pays, à peine 86 chômeurs.

Au 1er juillet 2018 s’appliquera l’obligation d’annonce des emplois à partir d’un seuil de chômage de 8%. En 2020, ce dernier s’abais­sera à 5%. Quelles en seront les conséquences?

n  Pour moi, les seuils en pourcent ne sont pas la mesure de toute chose. Le nombre de personnes au chômage aurait également son importance. Ainsi, l’obligation d’annonce à 8%, en vigueur dès juillet 2018, s’appliquera aux 194 acteurs et actrices sans emploi… En revanche, dans le secteur de la vente, le personnel pourra toujours venir de l’UE puisqu’avec 10 700 vendeurs et vendeuses sans emploi, le taux de chômage sectoriel n’est «que» de 5,6%. Désolé, mais le système est défaillant. A juste titre, les cantons et l’économie se sont opposés aux faibles taux! Pourtant, il aurait été plus efficace de définir, en plus du taux, un nombre minimal de chômeurs par catégorie professionnelle à partir duquel s’applique l’obligation d’annonce.

 

En tant que propriétaire d’un magasin d’électronique, pourriez-vous également être concerné par cette obligation d’annonce pour les embauches. Qu’attendez-vous de la nouvelle loi et quels sont les défis pour les PME?

n  Je m’attends à une augmentation de la bureaucratie et à une diminution de la flexibilité en termes de gestion du personnel. Ainsi, par exemple, à partir de 2020 s’appliquera l’obligation d’annonce pour les dessinateurs-électriciens bien que les statistiques du SECO 2016 n’en dénombrent que 26 au chômage dans toute la Suisse! Peu importe, je de­vrai quand même annoncer le poste vacant aux ORP. Et puis, comment agiront les autorités face au peintre qui affichera sur son véhicule «Recherchons collaborateurs», l’entrepreneur du bâtiment qui mettra un panneau devant son chantier «Bétonneur recherché» ou encore la 
société de marketing qui mettra sur YouTube une vidéo «Entreprise en pleine croissance cherche femme spécialisée en RH»? Pour les PME se pose la question cruciale de savoir s’ils risquent une amende… Mais même le Conseil fédéral n’a pas su clarifier la question par des exemples pratiques.

«PARTIR DU ­PRINCIPE QUE TOUS LES DEMAN­DEURS D’EMPLOI SONT OBLIGATOIREMENT CHÔMEURS EST ­ABSURDE.»

Que recommandez-vous aux employeurs de PME soumis à l’obligation d’annonce?

n  D’abord je voudrais souligner qu’une coopération plus étroite en­tre les ORP et l’économie est potentielle­ment profitable. Même sans obligation d’annonce. Pour cette raison, je recommande aux employeurs confrontés aux problèmes d’embauche de travailler plus étroitement avec les offices régionaux de placement qui peuvent sélectionner les candidats de manière ciblée. C’est du gagnant-gagnant pour toutes les parties concernées. Quant à la recherche d’experts dans des secteurs de niche, je recommande de traiter directement avec les candidat(e)s et de ne pas annoncer le poste vacant. Déjà parce que le Conseil fédéral n’a pas pu me répondre à la question: quand une place est-elle considérée comme vacante?

«LE CONSEIL FÉDÉRAL N’A PAS SU CLARIFIER LA QUESTION PAR DES EXEMPLES PRATIQUES.»

En tant que parlementaire dont les électeurs ont soutenu l’initiative «Contre l’immigration de masse», comment expliquez-vous la transposition actuelle de l’initiative?

n  Comme auparavant, je reste convaincu que des mesures ciblées sur le marché du travail suffiraient à réguler l’immigration tout en garantissant les bilatérales. Tel était, à mon avis, l’objectif visé par l’initiative «Contre l’immigration de masse». Avec une priorité nationale orientée sur la pratique, cela peut réussir. Précisons que la solution doit fonctionner dans le monde des affaires et le rapport coût-béné­fice doit être garanti aussi bien pour les employeurs que les demandeurs d’emploi! Or, je ne considère pas l’ordonnance sur le service de l’emploi actuellement en vigueur comme efficiente ni même praticable. Elle doit d’abord faire ses preuves puis, si nécessaire, être adaptée.

Interview: Gerhard Enggist

position de l’usam

L’Union suisse des arts et métiers (usam) considère l’application de l’initiative «Contre l’immigration 
de masse» comme hostile aux em­ployeurs. À partir de 2018 en Suisse, l’obligation d’annonce sera effective si le taux de chômage pour les différentes catégories profes­sionnelles atteint 8% à l’échelle 
nationale. En 2020 déjà, ce seuil sera abaissé à 5%. «C’est beaucoup trop bas», estime le directeur de l’usam et conseiller national Hans-Ulrich Bigler. Quelque 200 000 emplois seraient ainsi soumis à 
l’obligation d’annonce. «Une telle mise en œuvre est hostile aux PME et conduira à un flot d’annonces qui surchargeront les PME et seront difficilement gérables par les offices régionaux de placement», as­sure Bigler. Et puis, le délai d’annonce exclusive de cinq jours ouvrables est trop long pour l’usam: «Pendant les jours fériés, ce délai peut s’étendre à une semaine. Cela prolonge inutilement le processus de recrutement dans les entreprises.» usam

BIO EXPRESS

Matthias Samuel Jauslin, 
56 ans, de Wohlen en Argovie, est directeur et actionnaire principal d’une entreprise active dans les 
installations électriques, téléma­tiques et domotiques. Il emploie plus de 30 employé(e)s. Depuis 2015, Jauslin est membre du Conseil national et de la Commission politique d’État.

Les plus consultés