Publié le: 2 juin 2017

«Je ne veux pas prendre ce risque»

isabelle moret – La conseillère nationale (PLR/VD) explique en détail pourquoi elle estime que le projet de prévoyance vieillesse 2020 doit être rejeté lors de la votation populaire.

Journal des arts et métiers: Pour quelles raisons Prévoyance 2020 est-elle une mauvaise réforme?

n  Isabelle Moret: Cette réforme coûte cher, presque pour rien. Elle stabilise les finances de l’AVS pour 10 ans seulement, et ce malgré les augmentations simultanées de la TVA, des cotisations salariales et de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans.

Plus grave, elle crée un trou supplémentaire dans les finances de l’AVS en raison des 70 francs de plus pour tous. Ce sera 7 milliards par an dès 2035!

«Cette réforme est une trahison pour les jeunes générations.»

Enfin, cela revient à créer deux classes de retraités. Les futurs retraités qui y auront droit et ceux qui sont déjà à la retraite, et qui ne toucheront pas un centime supplémentaire. Mais la TVA augmente pour tous! S’opposer est donc une évidence.

 

Quels sont les enjeux pour les jeunes actifs?

n  Cette réforme est une trahison pour les jeunes générations. A l’origine, le but de la réforme était d’assainir les finances de l’AVS. Pourquoi? En 1948, il y avait 1 rentier pour 6,5 actifs, en 2015 c’était 1 pour 3,4 actifs et en 2035, il n’y en aura plus que 1 pour 2,3 actifs. Nous avons donc un problème démographique struc­turel. Nous devons prendre des mesures financières pour assurer le financement des rentes AVS et maintenir leur niveau actuel. Or, que nous propose cette réforme? D’augmenter les prestations AVS, à savoir 70 francs supplémentaires pour tous. C’est, proposé de façon déguisée, une version édulcorée de l’initiative AVSplus que le peuple a pourtant refusée massivement il y a une année. Aujourd’hui, il y a le feu à la maison AVS et au lieu d’utiliser le financement supplémentaire pour éteindre le feu, on l’utilise pour ajouter un étage à la maison, en faisant chauffer la carte de crédit des jeunes générations.

 

Dans quelle situation serions-nous dans 30 ans si ce projet passe?

n  Les comptes de l’AVS seraient dans le rouge dès 2027, avec un trou de plusieurs milliards par an, et ce malgré les augmentations simultanées de la TVA, des coti­sa­tions salariales et de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans!

«Que d’augmentation et de sacrifices pour au final ne gagner que 10 ans d’assainissement.»

Que d’augmentation et de sacrifices pour au final ne gagner que 10 ans d’assai­nissement. Puis ce serait un gouffre à combler: 7 milliards par an dès 2035 et même 12 milliards de francs en 2045. Ces 70 francs supplémentaires seraient donc une mauvaise solution de court terme, qui ne résoudrait rien et grèverait même chaque année un peu plus les comptes de l’AVS avec l’accroissement du nombre des retraités.

Ce projet de réforme augmente donc les problèmes liés au déficit structurel de l’AVS au lieu de les résoudre!

 

Quels enjeux pour les PME?

n  Le risque pour les PME, c’est qu’il soit nécessaire d’augmenter à nouveau les cotisations salariales, et ce déjà en 2027. En effet, dès cette date, il faudra trouver un financement supplémentaire pour combler le déséquilibre démographique et financer les 70 francs d’augmentation de l’AVS. Qui va payer? Ce sera soit une nouvelle augmentation de la TVA, soit une augmentation des cotisations salariales.

«Une caissière travaillera une année 
de plus pour verser 70 francs à tous.»

Parallèlement, c’est la Confédération qui finance pour un cinquième les dépenses de l’AVS. Une augmentation des dépenses en matière d’AVS devra être compensée ailleurs dans le budget fédéral (sécurité, formation, agriculture, culture) ou alors financée par une augmentation d’impôt.

Enfin, la nouvelle réglementation de la déduction de coordination dans le 2e pilier est extrêmement complexe et engendrera des charges administratives importantes, en particulier pour les branches à fort taux de fluctuation du personnel.

 

Quels sont les enjeux pour les rentiers?

n  Cette réforme crée une AVS à deux vitesses. Les nouveaux rentiers qui ont droit à 70 francs supplémentaires par mois et les rentiers actuels qui ne les toucheront pas. Or, avec l’augmentation de la TVA, les rentiers doivent aussi passer à la caisse.

 

Quels sont les enjeux pour les femmes?

n  A l’origine l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes était la contribution des femmes à l’assainissement des finances de l’AVS. Maintenant ces recettes supplémentaires servent entièrement à financer une augmentation arrosoir de la rente AVS. Une caissière travaillera une année de plus pour verser 70 francs à tous, y compris à des personnes aisées qui n’en ont pas besoin. C’est vilipender les recettes supplémentaires: une réforme sur le dos des femmes!

«Ce projet fera 
chauffer la carte de crédit des jeunes générations.»

Quels sont les enjeux pour les bénéficiaires de prestations complémentaires (PC)?

n  L’augmentation de la rente de 70 francs sera déduite du montant des PC. Certains bénéficiaires verront donc leur situation financière se dégrader. Les PC sont exonérées d’impôt, alors que les 70 francs ne le seront pas. De plus, ceux qui sortiront des PC à cause de cette augmentation perdront les avantages liés aux PC comme la gratuité des redevances Radio-TV.

 

Et au niveau du 2e pilier?

n  Bien sûr, il est important de baisser le taux de conversion dans la partie obli­ga­toire du 2e pilier, puisqu’aujourd’hui les deux dernières années de vie ne sont pas financées. Toutefois, pas à n’importe quel prix! Seul 1 personne sur 7 est pleinement touchée par la diminution du taux de conversion. Attendre 5 ans de plus pour résoudre cette question, c’est possible. Beaucoup plus crucial: c’est d’éviter un affaiblissement du 2e pilier au profit de l’AVS. Car ce qui est en jeu, c’est le maintien de notre système de prévoyance basé sur 3 piliers solides.

 

En cas de Oui, comment voyez-vous la suite Ă  plus court terme?

n  Rien ne serait résolu! Il faudrait immédiatement relancer une nouvelle réforme afin d’assainir l’AVS. Des mesures devraient commencer à être mises en œuvre en 2025 afin de couvrir les déficits de l’AVS dès 2027. Un oui accentuerait la pression pour augmenter encore les cotisations salariales et marquerait un précédent: la baisse du taux de conversion dans le 2e pilier serait compensée dans le premier. Un risque, que je ne souhaite pas prendre, pour la stabilité de notre système de prévoyance basé sur trois piliers.

 

Et en cas de Non?

n  C’est la meilleure solution. Cela permettra de reprendre le dossier, sans perdre les avancées, en le séparant en deux pour garantir deux piliers forts et pérennes pour les générations futures. Tout d’abord, il est essentiel d’assainir l’AVS grâce à des augmentations de la TVA (0,6%) et de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans. Stabiliser le 2e pilier est la seconde étape. Comment? En diminuant le taux de conversion dans le 2e pilier avec compensation de cette baisse dans ce même pilier, et ce afin de garantir le maintien du niveau des rentes pour ceux qui sont réellement touchés par cette baisse du taux de conversion.

François Othenin-Girard

ISABELLE MORET

La conseillère nationale vaudoise est avocate de formation (brevet d’avocat à Berne). Isabelle Moret est actuellement présidente de la Fédération des industries alimentaires (Fial). «Passionnée, volontaire, femme de dossiers, je m’engage pour les familles, la formation, l’emploi, l’innovation et les PME, explique-t-elle. Conseillère nationale depuis 2006, je suis nommée vice-présidente du PLR suisse deux ans plus tard. Au cœur de mon engagement, la conciliation entre travail et famille.» Maman de deux jeunes enfants, c’est tout naturellement qu’elle s’est investie pour faire passer au Parlement l’intro­duction de déductions fiscales pour frais de garde à hauteur de 10 000 francs par enfant. «La réduction d’impôts de 500 millions pour la classe moyenne, le soutien de l’emploi, la révision de la pratique des jours-amende et la politique familiale sont les thèmes qui m’ont portée au cours de la dernière législature.» Un atout supplémentaire? Elle parle couramment le suisse allemand et l’italien.

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