Publié le: 9 février 2018

Kokoro lingua, la langue pour les petits

Nathalie lesselin – Cette PME en devenir a été créée pour révolutionner l’apprentissage des langues, d’enfants à enfants. Basée à Cortaillod (NE), elle a déjà bénéficié du crowdfunding et lance de nouveaux projets à Paris. L’esprit suisse à l’international.

L’esprit François Truffaut. Si le 
cinéaste français était encore des nôtres, il tournerait peut-être un film sur cette histoire. Une femme a lancé une méthode qui est en train de changer la donne dans l’apprentissage des langues aux tout petits. Et dans la foulée, une nouvelle PME émerge: Kokoro lingua.

Des enfants apprennent aux enfants. «Cela se fait grâce à de petits films que l’on reçoit dans les classes ou à la maison, une fois par semaine, via un accès au site qui se débloque pour les participants, explique Nathalie Lesselin, fondatrice de Kokoro lingua. Ces leçons peuvent être retravaillées autant de fois qu’il est nécessaire, par exemple une fois par jour. Chaque semaine, un autre film est disponible.»

Du naturel et de l’émotionnel

En résumé, l’idée est la suivante. L’enfant entre dans la langue tout naturellement. Chaque session commence en buvant un verre d’eau, par des mouvements respiratoires et de la gymnastique. «Les enfants se connectent à leur corps pour s’ouvrir aux autres de manière paisible», résume Nathalie Lesselin.

Une entreprise née de la convergence de trois idées force. D’abord que les enfants jusqu’à 8 ou 9 ans disposent d’un esprit absorbant intégrant les choses de manière simple et intuitive. Du point de vue linguistique, ensuite, l’apprentissage des langues est, d’un point de vue évolutionnaire, «prévu» pour des cerveaux d’enfants très jeunes qui apprennent leur langue maternelle. Ce que les spécialistes des science pédagogiques consultés confirment (HEPL).

Et en troisième, les avancées des neurosciences prouvent chaque année davantage à quel point l’apprentissage d’une langue se fait d’autant mieux que les émotions sont intégrées à l’étude. «Pour que cela marche, ajoute Nathalie Lesselin, il faut un environnement d’apprentissage intuitif et émotionnel.»

Les enfants sont innovants

Du coup, ce sont les enfants qui prennent les choses en main. Ceux qui jouent dans ces films réalisés par Nathalie Lesselin et son équipe sont associés de près au développement de cette méthode. D’une part, la langue des apprenants est la leur, ils la parlent depuis leur enfance et sont donc de grands spécialistes. «Lors des tournages, ils s’impliquent dans l’apprentissage et représentent de ce fait une force de proposition.» Bien sûr, tout est fait dans les règles de l’art, avec des contrats signés pour les droits. Mieux vaut être en règle avec le droit et la propriété intellectuelle!

«On n’a pas fait aujourd’hui»

Les premières expériences réalisées à Neuchâtel dans un établissement catholique, puis dans de nombreuses autres classes en Suisse romande, en France et ailleurs, montrent que les enfants sont enthousiastes. «Quand votre enfant vous apporte deux verres d’eau en vous expliquant qu’on n’a pas encore fait Kokoro lingua aujourd’hui, vous comprenez à quel point ça marche», témoigne cette mère citée par Isabelle Lesselin. Pour l’entrepreneure et la pédagogue, le fait que les enfants restent en classe pour continuer à danser et à bouger, au lieu de partir en récréation, est un autre signe tangible de succès. Car en définitive, c’est l’enfant qui est le client final. Et c’est aussi l’enfant qui est (lors des tournages) son fournisseur d’émotion et de naturel, de pédagogie instinctive.

De Neuchâtel à Paris

Nathalie Lesselin, originaire de Picardie et de Bretagne, est établie à Cortaillod (NE) avec son mari et ses deux enfants depuis quinze ans. Elle bouge beaucoup pour faire connaître sa jeune entreprise et lancer de nouveaux projets. «Je reviens de Paris, après deux jours très intenses de rencontres avec des écoles. Nous démarrons l’apprentissage de l’anglais pour les tout-petits, dès la semaine prochaine dans dix classes d’une banlieue parisienne réputée «difficile». Nous étions également présents au colloque du comité scientifique de l’éducation nationale, axé sur les neurosciences. Bref, c’était passionnant!»

«Cette chute est un cadeau»

C’est tout cela et beaucoup plus, Nathalie, dont les idées fusent à toute berzingue. «Au départ, je pensais à d’autres langues, comme l’arabe, le russe, le chinois. Nous y arriverons peut-être un jour, surtout si des partenaires s’intéressent à développer telle ou telle langue. Nous sommes fondamentalement ouverts à tout ce qui viendra.» C’est l’état d’esprit qui prévaut, au terme d’une trajectoire de «career woman» menée à l’international, notamment au Japon, dans le luxe et la mode. Nathalie parle encore avec inspiration de l’expérience Kenzo et de ce que son génie lui a apporté. «Il arrivait à connecter et mettre en symbiose des choses fort différentes. Il utilisait la mode pour rapprocher les gens. C’était une expérience extraordinaire. Pour ma part, j’aimerais connecter le cœur des enfants par les langues. Je sais, cela sonne un peu psychédélique, mais c’est comme cela que je vois les choses.» Le projet est né en réponse à une étape cruciale de sa vie – un écho au portrait de Pascal Liebetrau publié le mois dernier (JAM 1, janvier 2018). C’est l’histoire d’un accident qui a rendu tout ceci possible. «J’étais dans la salle de bain et je suis tombée, raconte Nathalie. J’ai perdu connaissance et je n’ai pas pu dormir durant trois nuits. Par la suite, je me suis dit que le choix était le suivant: soit je restais dans ce flou, un gâchis, soit je parvenais à transformer cette histoire. J’ai opté pour la seconde possibilité – cette chute est un cadeau qui va m’emmener ailleurs. Et puis, quelque chose a basculé et tous mes souvenirs d’enfance sont revenus d’un seul coup en mémoire. C’est là que j’ai puisé et tout à coup, l’idée de Kokoro lingua est arrivée…»

Pour la petite histoire, «Kokoro» est le titre d’un roman de Natsume 
Soseki, «Kokoro ou Le Pauvre Cœur des Hommes»: «Un ouvrage qui m’a bouleversée quand étais toute jeune et qui m’a fait devenir ce que je suis aujourd’hui!»

En route vers la PME globale…

Un être humain qui se lance dans un défi de vie en renouant avec soi-même, suite à un accident (de vie), quelle meilleure définition pourrait-on donner de l’entrepreneuriat. On est loin de l’idée de maximisation du profit, mais dans la réalisation d’une exigence personnelle profonde.

Cela posé, le projet business est aussi présent. L’idée est de devenir profitable à l’automne 2018. Jusqu’ici, Kokoro lingua reposait sur une collaboration avec des bénévoles, de dix à vingt selon les étapes. La recherche de partenaires, d’investisseurs, se poursuit activement. En janvier 2018, plus de mille enfants étaient déjà connectés. Ils l’étaient bien sûr en Suisse, – cette entreprise est vraiment helvétique dans son essence – mais aussi en France, en Roumanie et en Thaïlande. Le Mali, le Sénégal, Madagascar et la Hongrie sont en discussion. «Cela se fera dès qu’ils auront une connection Internet et des ordinateurs.» Le modèle permet aussi à ceux qui paient et en ont envie, de soutenir d’autres enfants qui dans le monde souhaiteraient apprendre les langues et n’en auraient pas les moyens.

François Othenin-Girard

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