Publié le: 6 avril 2018

L’automobile pousse-t-elle au rêve?

société – Le Geneva International Motor Show (GIMS) a fermé ses portes le 18 mars sur une baisse de fréquentation. Au fond, que représente cet objet pour les nouvelles générations? Explorons la socio-mobilité actuelle avec André Hefti, directeur de ce salon.

Journal des arts et métiers: En tant que directeur du Salon de l’auto de Genève, quels furent les moments forts et les moments durs de l’édition 2018?

n André Hefti: Nous avons été confrontés à la même problématique qu’au Salon de Paris et Francfort avec l’absence de 12 marques! Qu’Opel ne participe pas nous a fait mal au cœur, car déjà, historiquement, il était le dernier constructeur à produire des automobiles en Suisse et puis, les gens ont tendance à l’oublier, la marque fut longtemps numéro 1 des ventes sur notre marché. Malgré tout, la 88e édition a été magnifique et 
perpétue cette spécificité propre au Salon de Genève, les petits constructeurs de supercars sont tous là: Pagani, Aston Martin, McLaren, etc. Alors qu’à Paris ou Francfort, certains viennent, d’autres pas… Vous savez pourquoi? Cette clientèle vient volontiers à Genève parce qu’elle apprécie la proximité immédiate de l’aéroport, la taille humaine de Palexpo et un accueil facilité. On dit que le salon de l’auto n’est plus un salon de vente, c’est vrai, sauf pour les supercars. De source confidentielle, on sait que McLaren a très bien vendu à Genève. Et d’autres petites marques aussi…

La baisse de fréquentation à Genève est-elle imputable aux marques absentes? Au prix de la surface? Ou la raison est ailleurs?

n On a les chiffres exacts: -4,24% soit 662 076 entrées. On est quand même loin des -14% du Salon de Francfort et -13% à Paris. Quant au prix du mètre carré, nous sommes à 110 francs pour la durée du Salon contre 160 euros pour le Salon de Francfort (à Paris, c’est secret)! Et en tant que fondation de droit privé, autrement dit sans obligation de bénéfices, nous offrons une ristourne aux exposants en cas d’excédents. En 2017, par exemple, le prix final payé était de 96 francs le mètre carré! À mon avis, la baisse de fréquentation touche de nombreux salons et pas uniquement du secteur automobile. Prenez Habitat-Jardin, à Lausanne, sa fréquentation a baissé de 7% et rares sont les expositions en progression (*).

Le public est saturé?

n La consommation se fait différemment. Avec la numérisation, il y a aujourd’hui d’autres façons de s’informer.

Alors, le Salon de Genève existera-t-il encore dans dix ans?

n Oui, mais il sera complètement différent. On le constate sur les stands, les visiteurs d’aujourd’hui sont beaucoup mieux informés sur les produits qu’il y a vingt ans, notamment grâce à Internet. Le visiteur du salon vient surtout chercher des émotions et 
retrouver une ambiance automobile particulière. L’accent sera mis là-
dessus.

Ne pensez-vous pas que la génération 
Z, celle naît avec une tablette dans la main, ne rêve plus autant d’être derrière un volant dès 18 ans?

n L’approche est effectivement différente. Je le constate dans ma propre famille avec un neveu fan de voitures mais, à cause de ses études, a décidé de ne pas en acheter une. Prag­matiques, les jeunes générations constatent que les transports publics leur offrent une mobilité performante et préfèrent attendre d’entrer dans le monde du travail pour acquérir leur première auto. À mon époque, à 
18 ans, un gars ne pensait qu’à deux choses, passer son permis de conduire et se payer une bagnole! À cela s’ajoutent d’autres facteurs comme l’essor du vélo électrique en ville. Ce phénomène est perceptible, prenez le parking du Mont-Blanc, à Genève, il a perdu 24% de son chiffre d’affaires au cours des dix dernières années!

Y a-t-il donc un vieillissement de l’âge des visiteurs du Salon de Genève?

n Notre sondage auprès de 15 000 visiteurs révèle que les 15 à 29 ans, c’est déjà 30% du public! Dans le détail, les 20-29 ans représentent 23%, 30-39 ans 17%, 40-49 ans 18% et 50-64 ans 23%. C’est clair, l’intérêt des jeunes pour l’automobile est toujours aussi fort!

Le Salon de l’auto, c’est aussi celui des fournisseurs, équipementiers et accessoiristes. Comment se porte «ce salon dans le Salon»?

n C’était mon casse-tête des deux dernières années, car, pour une partie des entreprises participantes, 11 jours d’exposition, c’est trop long. D’ailleurs, les salons du secteur durent généralement quelques jours. Ces entreprises réclament une expo pour les professionnels à durée 
réduite. En 2017, on a donc accepté qu’une partie de l’exposition se termine le lundi soir alors qu’une autre reste ouverte les 11 jours. Ce système de fermeture partielle, compliqué à mettre en place, sera reconduit en 2019. Mais attention, à partir de 2020, il n’y aura plus qu’une exposition professionnelle qui devrait durer 5 jours. Bien sûr toujours dans le cadre du Salon de l’auto.

Parlons des stands! Qui les conçoit, les monte et fait-on appel à des entreprises et artisans suisses?

n Aujourd’hui, les grands constructeurs gèrent tout eux-mêmes. Autrefois, chaque marque s’en chargeait et les stands étaient construits puis détruits après chaque salon! Désormais, pour des questions de coûts mais aussi d’uniformisation de l’image, les groupes gèrent les stands de l’ensemble de leurs marques sur tous les salons. Pour Renault-Nissan que je connais bien, c’est la même entreprise externe qui s’occupe des stands de toutes les marques de l’alliance (Renault, Nissan, Mitsubishi, Dacia, Infiniti). Les constructeurs se contentent de louer la surface et font appel à Palexpo pour les commandes techniques (électricité, etc.). En revanche, les petits exposants font souvent appel à des entreprises suisses comme Christian Mathis pour le stand Tata.

En tant qu’ancien porte-parole de Renault Suisse et grand amateur de sport automobile, vous avez suivi de près la renaissance 
d’Alpine. Comment se porte, un 
an après, le nouveau modèle lancé au Salon 2017?

n Ça marche si fort que la marque a de la peine à honorer les commandes. Certes, il s’agit d’une production en petite série avec des quotas attribués à chaque pays. Mais la Suisse reste un marché important pour ce genre de bolides et nombreuses ont été les commandes passées en Suisse.

Pensez-vous qu’une marque reposant sur une légende du passé puisse vraiment se projeter dans l’avenir? Mini reste l’exception qui confirme la règle, non?

n La légendaire A110 Berlinette (photos) a toujours gardé une image intacte même si les Alpines suivantes (A310, GT, A610) n’ont pas vraiment été dans la lignée. En revanche, la nouvelle A110 reprend à fond l’ADN de l’ancienne. En termes d’image, on peut bien la comparer à la Mini.

Interview: Jean-Luc Adam

(*) À propos d’Habitat Jardin, lire page 17.

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