Publié le: 3 juillet 2020

L’enfant chérie du Conseil fédéral

LA POSTE – Entreprise d’Etat impliquée dans des scandales, dont les employés sont espionnés, entretenue par le Conseil fédéral, elle n’est pas rentable. Nouvelle idée: on lui ferait même désormais jouer le rôle d’une semi-banque.

Un simple coup d’œil aux articles de presse parus ces dernières années suffit pour s’en convaincre: la Poste manque d’une bonne gouvernance d’entreprise. En 2017, la Commission de la concurrence lui a infligé une amende pour violation des règles antitrust. En 2018, il est devenu de notoriété publique que Carpostal avait amorti ses bénéfices pendant des années et recevait ainsi des millions de subventions. En 2019, c’est le «Blick» qui révèle le pot-au-roses: «La Poste Suisse espionne ses employés.» A cela s’ajoute le mécontentement des PME – depuis des années!

Du grand n’importe quoi

C’est précisément à ce gros sac de nœuds que le Conseil fédéral veut maintenant donner son autorisation: Postfinance se lancerait sur le marché des prêts et des hypothèques. Si un groupe présentant de telles caractéristiques avait envisagé de demander une licence bancaire en Suisse, l’autorité de surveillance des marchés financiers aurait hurlé: de rire, voire de douleur!

Mais à la Poste, on a l’habitude de situations étranges – comme celle consistant à transformer sa filiale en banque. L’astuce du Conseil fédéral ne consiste pas à lui accorder une licence bancaire complète, mais «seulement» à lui permettre d’accorder des prêts et des hypothèques.

A quoi joue le Conseil fédéral?

D’une part, la Poste a besoin d’argent pour financer son service dit de base. C’est probablement le seul monopole (et de loin) qui fonctionne de manière non économique. La Poste, et avec elle le Conseil fédéral, espère remplir les poches de la poste avec le marché des hypothèques et du crédit. Cette problématique comporte trois parties distinctes. Trois os de taille!

• Les chiffres de la Banque nationale suisse (BNS) parlent d’eux-mêmes. Le marché suisse des hypothèques et du crédit fonctionne déjà très bien comme cela. Un grand nombre de fournisseurs sont en mesure de répondre à la demande, notamment des PME. De plus, l’offre de capitaux d’emprunt en Suisse n’a cessé d’augmenter au cours des vingt dernières années. Si Postfinance veut maintenant pénétrer ce marché, elle va augmenter l’endettement des ménages suisses. Ce qui n’est pas une bonne chose en soi.

• Le conglomérat postal est une entreprise bénéficiant d’une garantie de l’Etat et, comme le passé l’a montré, d’une gouvernance opaque. Il n’y a pas que la Poste, en tant qu’entreprise, qui a été impliquée dans des scandales. Postfinance elle-même a été inculpée par le Ministère public de la Suisse en 2010. En 2011, elle a été condamnée pour blanchiment d’argent. Tous ces cas montrent clairement que cet «amas de problèmes» est plutôt une hypothèque sur le dos des contribuables.

• La demande du Conseil fédéral est un autre exemple d’un malaise plus profond: les entreprises publiques utilisent leurs privilèges pour pénétrer les marchés privés et concurrencer injustement le secteur privé. Si Postfinance peut s’occuper des paiements, vendre des produits d’actifs et même accorder des prêts et des hypothèques, c’est – pour être précis: une banque. Toutefois, elle ne sera pas encore soumise à toutes les réglementations bancaires; elle continuera à bénéficier du monopole – et grâce à la garantie de l’Etat, elle pourra continuer à se permettre des pratiques commerciales non transparentes à l’avenir.

Favoriser systématiquement Postfinance serait donc une erreur de la part du Conseil fédéral. Le Conseil fédéral donne à la société postale une liberté presque absolue de se ridiculiser. Et comment la Poste réagit-elle? Le magazine «Bilanz» a déjà asséné en 2018: «C’est difficile de faire pire.»

Henrique Schneider

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