Publié le: 8 septembre 2017

L’ingénieur et ses purs moments créatifs

histoire industrielle – Originaire de Courgenay, Pierre Meier raconte comme il a inventé une nouvelle machine pour simplifier certaines étapes de l’assemblage des friteuses Frifri. Un créatif qui s’est trouvé au bon endroit et au bon moment pour innover...

C’est l’histoire d’un homme qui a mis au point une nouvelle machine sur la base de l’observation de la réalité. N’attendez pas un récit dans lequel l’éclair du génie frappe un pauvre inventeur qui attend la reconnaissance éternelle, vivant dans une mansarde. Ni une anecdote dans le style de la pomme qui chute du pommier sur la tête de Newton, comme le présentait l’auteur de bandes dessinées feu Marcel Gottlieb dit Gotlib (1934-2016).

«Je marchais dans les travées...»

Rien à voir avec l’allégorique. Du reste, Pierre Meier ne se souvient pas très bien du contexte dans lequel la nouvelle idée a pointé le bout de son nez dans son cerveau: «un nouvel outil de découpage et emboutissage doté d’une presse». Après une plongée dans ses archives personnelles, cet ingénieur chargé à l’époque de deux chaînes de montage de l’usine Frifri Aro SA à la Neuveville ne retrouve même pas la date de lancement du projet. Tout juste ses bulletins scolaires, les certificats de travail, son CFC de mécanicien outilleur (Azurea à Moutier) et son diplôme d’ingénieur (Technicum de Bienne). Sans oublier le carnet avec les timbres du syndicat!

«C’était probablement en 1977. J’imagine que je devais marcher dans les travées. A un moment donné, en regardant les pièces passer d’un employé à l’autre, grâce à un panier, j’ai eu cette idée et je l’ai proposée à la direction. J’ai pu travailler quelques mois dessus. Mon directeur me demandait souvent des nouvelles pour savoir si le projet avançait. Evidemment, il me fallait travailler sérieusement pour que cela tienne la route.»

Une friteuse Frifri (modèle 114) se compose à l’époque d’un bac doté d’un corps de chauffe, d’un couvercle avec sa poignée et d’un panier sur lequel un manche pouvait être fixé afin de remuer les frites et les égoutter à la sortie. La pièce qui nous intéresse (photo) se décompose en deux parties, soudées électriquement, l’une à l’intérieur, l’autre à l’extérieur du panier en treillis.

Imaginons un nouvel outil

«Avant cela, il fallait une première personne pour découper la pièce à l’étampe. Une deuxième perçait trois trous. Et il y avait encore trois à quatre opérations pour la découpe et le pliage. On pouvait clairement faire mieux en remplaçant ces multiples reprises manuelles par un seul outil.»

Il s’agissait d’imaginer un nouvel outil de découpage et emboutissage en continu sur une presse. «Imaginons une bande d’acier avance en séquence entre les mâchoires de l’outil de découpage-emboutissage fixé et actionné par une presse, raconte l’ingénieur. Après les deux ou trois étapes la pièce est formée sans aucune reprise manuelle. Un second outil comparable a été réalisé pour la pièce extérieure de cette fixation.»

Dit comme ça, sur le coin de la table du salon, ça a l’air plutôt simple! «Je n’ai pas souvenir d’avoir dessiné un seul plan, je n’étais pas dessinateur. J’ai dû la fabriquer sur la base de croquis.»

Une vraie réussite! La machine a fonctionné dix ans au minimum, probablement jusqu’à la reprise de l’usine Franke à un groupe américain dans les années 2000. Avec fusion, délocalisation en Italie et destruction du bâtiment. On voit d’ici la machine à bande passante qui accélère, le tapis avec les pièces, les ouvriers qui peinent à maintenir le rythme, jusqu’à l’explosion du système! Tout ce qui évoque le film «Les Temps modernes» de Charles Chaplin, projeté en version rénovée en grande pompe à Turin (autre site post-industriel automobile longtemps sinistré) avec orchestre, le 31 décembre 2016. Mais non, la machine à Meier n’a pas eu cet effet. «Il n’y a eu aucun licenciements suite à l’introduction de cette simplification des opérations sur les chaînes de montage. Au contraire, il y avait bien ­assez de boulot, d’autant que ces ­friteuses se vendaient bien.»

Un geste de reconnaissance

Le catalogue de la défunte usine proposait en effet des modèles pour les familles, mais aussi les friteuses professionnelles pour la restauration. «Nous en fabriquions une centaine par jour. Je ne suis pas sûr qu’on y arriverait aujourd’hui!»

Les bons jours, Pierre Meier annonçait la couleur. «Lorsque nous aurons atteint les 116 exemplaires à produire aujourd’hui, vous pourrez rentrer chez vous. Nos ouvrières finissaient parfois quinze à vingt minutes plus tôt. Au directeur, j’expliquais que nous avions battu un record. Leur donner congé, c’était un geste de reconnaissance, les gens nous le rendaient bien.»

A une époque à laquelle on changeait d’entreprises comme de chemises, il arrivait que l’on prenne ses vacances avant de débuter une nouvelle activité. Il est donc peu étonnant que la trajectoire de Pierre Meier l’ait par la suite emmené vers d’autres univers. Curieux de nature, il se passionne pour l’informatique naissante, la vente, la formation d’adultes. Aujourd’hui retraité, il souhaite transmettre ce qu’il a appris en donnant aux jeunes des rudiments d’informatique, apprendre de nouvelles langues, voyager...

Contredire les experts

Revenant sur son entrée dans le monde du travail, il évoque un stage chez Louis Lang en 1971. Son patron lui avait demandé d’aller passer un test «psychotechnique» à Bienne. Le verdict des experts tombe au bout d’une journée: «Pas à même de faire des études.» Stupeur! Avec le recul, Pierre Meier chausse ses lunettes et sourit. «Les études, je les ai faites sans l’aide de mon patron d’apprentissage. Je le remercie encore aujourd’hui de m’avoir donné cette magnifique impulsion.»

Sur la table de son salon, il étale les diplômes obtenus et les certificats de travail élogieux, mentionnant le développement de machines évoqués dans cet article. «Toute ma vie, j’ai mis en place des énergies pour contredire ces experts!»

François Othenin-Girard

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