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La Chine en Afrique, un diorama bien réel
L’invitée du mois
S’il est historiquement factuel que l’histoire humaine des continents est le rĂ©sultat d’un ensemble insĂ©parable de changements, de mĂ©langes, d’engagements et d’exploitations, il est tout aussi Ă©vident que la terre d’Afrique continue Ă palpiter d’un violent pouvoir, tantĂ´t rĂ©pugnant, qui tantĂ´t attire fortement les phĂ©nomènes coloniaux, tantĂ´t rejette avec une violence Ă©quivalente celles et ceux qui sont Ă©crasĂ©s par la meule de l’exploitation. Au cours des siècles, la forme prise par la mise en Ĺ“uvre d’un phĂ©nomène ancien comme le colonialisme a changĂ©. Nous ne pouvons plus penser aux vaisseaux et aux caravanes prĂŞts pour Âl’avancement triomphal, Ă l’apparition de drapeaux fièrement plantĂ©s sur le sol ÂoccupĂ©. D’un colonialisme classique, il n’en rĂ©sulterait qu’une excentricitĂ© anachronique, avec le seul effet de provoquer la condamnation internationale. Par contre, si un rĂ©sultat similaire Ă©tait obtenu grâce Ă un semblant d’échange Ă©quitable et par une reconnaissance mutuelle, il ferait donc partie du jeu de l’économie globale et ne serait plus soumis Ă la condamnation de l’univers politique et au blâme de la sociĂ©tĂ©.
Selon les Ă©vidences officielles, le colonialisme europĂ©en en Afrique est affaibli depuis des annĂ©es. Un autre empire Ă©conomique s’est intĂ©ressĂ© Ă la richesse de ce continent. C’est la Chine qui aujourd’hui, et plus que d’autres pays, grâce Ă un dĂ©ploiement massif de moyens et d’hommes, a Ă©tabli des bases et signĂ© des accords pour occuper Âle marchĂ© local, en prospectant des zones entières. Et oĂą progressivement des villes complètes ont pris forme, demeurant toutefois inhabitĂ©es et suspendues, dans une attente immobile et dĂ©rangeante. On les trouve actuellement en GuinĂ©e Ă©quatoriale, au NigĂ©ria, au Tchad et dans le nord du Soudan, ainsi qu’en Angola, Zambie, Zimbabwe et Mozambique, au sud. Un dispositif stratĂ©gique qui recouvre de fait la plus grande partie de l’Afrique Âcentrale. Cependant, la liste complète des pays qui ont conclu des accords mineurs avec la Chine s’étend presque Ă l’ensemble du continent, comme en tĂ©moignent les articles publiĂ©s dans la «China Business Review» (www.chinabusinessreview.com).
Les villes fantômes que la Chine a créées sur le continent africain rappellent les images, encore plus suggestives et frappantes, d’autres villes inhabitées que le colonialisme a laissées, des squelettes d’un habitat qui n’est plus là . Des villes laissées sur place qui se transforment en un tas de sable. On devine encore la rapidité avec laquelle des palais ont été construits, montés en flèche au bord de routes illuminées, désertes. L’espace dans lequel les lignes de perspectives des écoles muettes et des bureaux vides se croisent. Au final, des fragments urbains issus d’une gourmande avidité qui a toujours déchiré l’Afrique. Nous pensons ici à Kolmanskop, ses résidus structurels d’une splendeur résidentielle, d’une esthétique moins froide que la succession rythmique des nouveaux parallélépipèdes des Kilamba.
C e qui émerge dans ce continent aux multiples ressources, c’est un changement profond dans les représentations, qui va bien au-delà de la richesse du déplacement et du connaître. C’est la création d’un espace ouvert, une bulle surréaliste qui gonfle le diorama d’une ville et propulse cette dernière à une échelle bien réelle. Cela constitue du même coup une base de départ pour les travailleurs qui se transforment en milices au service d’une expansion globale, tant il est vrai que le colonialisme englobe aussi un phénomène migratoire répandu et polymorphe. Il est facile d’anticiper un futur déménagement de celles et ceux qui suivront la délocalisation de leurs entreprises, comme en témoignent les 750 000 Chinois qui, au cours de la dernière décennie, se sont établis en Afrique.
Les relations entre la Chine et ce riche continent ont connu une longue tradition, mais elles sont se sont rapprochées de manière notoire, sous la forme actuelle, depuis une quinzaine d’années. Dans cet intervalle, on constate une augmentation constante de l’investissement chinois sur le sol africain. Il s’agit de fonds destinés à la croissance locale, sous la forme d’incitations à l’économie et au développement social.
C’est le système dit «win-win» d’accords, grâce auxquels les deux parties devraient tirer leur Ă©pingle du jeu. C’est ce que rĂ©pète la Chine ainsi que les despotes africains les plus impliquĂ©s. Or en rĂ©alitĂ©, des matières premières excellentes et indispensables sont vendues en Ă©change de la propagation sur le marchĂ© africain de produits Ă faibles coĂ»ts issus de la fabrication chinoise. Il suffit ici de penser Ă la marque de smartphone la plus populaire en Afrique et parmi les migrants qui viennent en Europe. Une dissonance n’échappera pas Ă notre attention Ă propos de ces relations: l’omission dans les accords africains entre la Chine et les reprĂ©sentants locaux, des clauses de protection sociale et environnementale classiques et prĂ©sentes dans tous les traitĂ©s internationaux. Le Forum de coopĂ©ration Afrique-Chine s’est tenu Ă ÂJohannesbourg en dĂ©cembre 2015 pour la protection de l’environnement, de la santĂ© et du dĂ©veloppement culturel, industriel, agricole et infrastructurel. Le prĂ©sident chinois Xi Jinping envisageait pour l’Afrique d’importantes subventions, notamment un montant de 60 milliards de dollars, mais sans aucune contrainte opĂ©rationnelle quant Ă leur utilisation rĂ©elle. En septembre 2016, le Forum sur la coopĂ©ration sino-africaine (FCSA) s’est tenu en Chine: il a une nouvelle fois Ă©tĂ© accueilli par des investisseurs, des reprĂ©sentants du gouvernement et des entrepreneurs –afin d’accĂ©lĂ©rer et renforcer les Ă©changes entre l’Afrique et la Chine, son partenaire Ă©conomique principal. Toutefois, mĂŞme Ă cette occasion, l’affectation des investissements n’a pas Ă©tĂ© garantie.
Les assurances formelles de liberté et de santé publique semblent être oubliées dans le cadre de la mise en œuvre de ces collaborations. Ceci prépare évidemment le terrain à une pratique établie de longue date en Afrique: l’exploitation, les violences et l’usurpation génèrent le désespoir et ne laissent aucun autre moyen que l’évasion, tentée, désespérée, instrumentalisée, dirigée vers des destinations déchiquetées par des barrières, des murs et des barbelés, des checkpoints militaires. Un calvaire pour ces populations entières qui se déplacent. Le résultat de l’énorme séduction que les innombrables ressources africaines exercent sur le monde du pouvoir et de la finance. Un calvaire qui est intégré de l’intérieur, blessure par blessure, qui est incorporé dans la vie de millions de victimes épuisées, contraintes à l’exode, annihilées par des dangers et des oppressions constantes. Ce qui se traduira par une nouvelle source de profit sur le sol européen est né dans une terre africaine propice aux accords humanitaires et aux politiques sociales. Et où, trop souvent, se perpètre cette féroce spéculation qui annule l’homme et en efface toute sa dignité.
Le phénomène chinois qui traverse et imprègne l’Afrique est présenté avec le masque du marché mondial. C’est ce qui a été répété à plusieurs reprises dans les différents accords et déclarations publiques des parties prenantes. Les relations entre la Chine et les différents pays africains montrent la répétition de la formule d’un échange faussement égalitaire. Des fonds confiés aux gouverneurs locaux sont présentés comme un investissement dans les infrastructures. Puis, des produits peu coûteux finissent par envahir les marchés locaux. Et de nouveaux travailleurs qualifiés arrivent en Afrique, en échange d’un accès plus facile, voire exclusif, aux ressources locales. Des ressources dont l’Afrique regorge, et qui ont toujours fait de ce continent une proie irrésistible, soit à l’interne, soit par des puissances étrangères.
De fait, les relations entre les représentants officiels ou non officiels excluent dans la pratique la grande masse de la population. Ces relations sont boulonnées suivant un triste scénario devenu habituel, piégées entre les mailles violentes et cruelles d’un despotisme politique et militaire effrayant. Pour ces populations, le seul moyen de s’en débarrasser reste la fuite. Cette évasion se reflète nettement dans l’exode vers l’Europe. Or le plus malheureux, c’est qu’au lieu de retrouver leur souffle, les exilés entament un nouveau chemin dramatique, fait de points de décrochages, de rejets, de tensions et d’exploitations. Un viatique qui déçoit et mortifie les espoirs de celles et ceux qui ne demandent rien de plus à notre continent qu’un abri, un asile et une protection.
Les opinions exprimĂ©es dans cette rubrique Ân’engagent que l’auteur.
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