Publié le: 10 novembre 2017

La Chine investit en Suisse. Et alors?

suisse-chine – L’acquisition de grandes entreprises, y compris suisses, par des groupes chinois font la une des médias. Cette 
situation ­est perçue comme une menace à notre prospérité économique. Rarement évoque-t-on aussi les aspects positifs.

Les fleurons de notre économie, des marques historiques et un savoir-faire unique sont-t-ils en train de passer en mains chinoises? Les récentes acquisitions très médiatisées suscitent la peur du public et le monde politique tire la sonnette d’alarme. A chaque fois, on évoque les risques sans jamais parler des opportunités.

Diversification ciblée

Si, au cours de ces dernières décennies, les relations commerciales avec l’Europe (et surtout avec l’Allemagne) a rendu la Suisse plus riche, elles l’ont aussi rendu plus dépendante économiquement et politiquement de ses voisins. Ainsi, une diversification internationale est non seule­ment profitable, mais souhaitable. Et à ce titre, la Chine représente l’un des partenaires les plus intéressants. L’accord de libre-échange entre la Suisse et la République populaire de Chine, lancé avec succès il y a trois ans, a stimulé les relations commerciales entre les deux pays et profite particulièrement à notre pays.

Pas de dépendance à l’Est

Bien que les grandes banques suisses soient davantage en mains étrangères que suisses, elles sont considérées comme d’importance systémique. Le contribuable suisse est embarqué dans l’aventure et supporte les risques de décisions pas uniquement prises à la Bahnhofstrasse de Zurich. Pourtant, l’opinion publique s’émeut à peine de leurs investissements foireux, par exemple récemment dans les fonds souverains de Singapour et Dakar. En revanche, on imagine le tollé si, en son temps, l’emblématique Swissair – filiale des banques suisses – avait été rachetée par une compagnie aérienne chinoise. Oublie-t-on que la malheureuse compagnie basée sur le stratégique hub aérien de Zurich est passée en mains allemandes et que Lufthansa s’en félicite aussi longtemps que la politique suisse lui garantira des conditions-cadres à son goût?

Pareil tollé pour le groupe agrochimique suisse Syngenta repris par le conglomérat national chinois ChemChina. Alors que l’indifférence générale règne lors de la prise de contrôle par les Chinois de marques horlogères ou complexes hôteliers face auxquels l’investisseur suisse était peu intéressé. Même indifférence pour la reprise chinoise de la vénérable entreprise SIGG, connue pour ses innovantes bouteilles en alu, mais pourtant loin de mettre l’argenterie suisse en péril.

Concrètement, les fonds investis par la Chine en Suisse ces dernières années sont de l’ordre de 1,5 à 5 milliards de francs par an, soit près de 10% de l’investissement chinois en Europe. En comparaison avec le chiffre d’affaires de la bourse suisse chaque année – environ 1,3 trillion de francs suisses – on ne peut franchement pas parler de grande menace…

L’économie nationale vise à l’Est

La politique officielle se concentre sur la diversification et l’expansion des relations commerciales internationales, en particulier vers les pays du BRICS, à savoir Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Le pouvoir d’achat dans ces pays augmente rapidement et proportionnelle­ment au PIB, ce qui a également un effet favorable sur le potentiel d’investissement. Mais dans ce club des cinq, seule la Chine se caractérise par une certaine stabilité et par une amélioration constante de la sécurité juridique pour les entreprises et investisseurs. La Suisse peut compter sur la bonne volonté de la Chine dont les relations politiques et économiques reposent sur plus de 60 ans de tradition. Le nouvel accord de libre-échange représente un avantage supplémentaire dans les relations entre la Chine et la Suisse, avantage qu’il convient d’exploiter.

Mais attention, les relations commerciales avec des partenaires chinois reposent principalement sur des relations personnelles qu’il convient de soigner sur la durée. Ainsi, les investissements chinois dans les entreprises suisses élargissent non seulement le réseau 
de relations personnelles entre les décideurs chinois et suisses et renforcent les coopérations durables, mais ouvrent également à un nombre croissant d’entrepreneurs suisses les portes du plus grand marché mondial de production et vente. Ceci est particulièrement vrai pour les PME.

Stratégie de diversification

En Chine, les autorités s’engagent beaucoup pour accueillir les investisseurs suisses. Ils bénéficient de nombreux avantages directs ainsi que l’appui d’entreprises chinoises. Il faut dire que, au sein même de la Chine, les municipalités et provinces se livrent une forte concurrence interne. Des zones commerciales et industrielles franches ont poussé un peu partout, des terrains sont souvent mis à disposition gratuitement et accompagnés de personnels, des écoles internationales, des plans de santé et autres avantages sont proposés. Toutes ces attentions facilitent le démarrage de PME suisses en Chine durant les premières années, leur donnant le temps nécessaire pour acquérir de l’expérience et réduire les risques.

Pour chaque secteur industriel ou types de produits, il existe des dépendances unilatérales. Ceci explique pourquoi la Chine a mis en place des stratégies régionales avec, au niveau des provinces, une grappe industrielle axée sur trois ou quatre secteurs économiques. Puis, les politiques d’infrastructure et d’éducation sont coordonnées aux objectifs stratégiques correspondants. Les entreprises suisses basées en Chine connaissent bien ces concepts d’économie planifiée.

Moins dépendant de nos voisins

Les entreprises chinoises sont également encouragées par le gouvernement central à rechercher des partenaires en Suisse et à créer des joint-ventures. Les entrepreneurs chinois veulent se confronter le plus vite possible à la concurrence internationale et profiter de l’expérience des entrepreneurs suisses.

Mais face aux grands défis environnementaux de la Chine, il est question de sauter des étapes et d’utiliser les meilleurs concepts et technologies pour un avenir et un développement durable du pays. C’est précisément parce que l’économie suisse offre ici des conditions idéales que les investissements chinois ne devraient pas nous effrayer, mais au contraire nous engager à devenir partenaire là-bas. Et au niveau économique, ces perspectives rendraient la Suisse finalement moins dépendante de ses voisins directs.

Robert E. Gubler

LE POINT DE VUE de jean-Luc adam

Prendre au lieu d’apprendre

Après presque dix ans passés en Chine et avoir visité des entreprises – privées et d’Etat –, rencontré leurs patrons, discuté avec de nombreux employés et observé les entreprises étrangères en Chine, je ne peux m’empêcher de mettre un bémol à l’analyse de R. Gubler.

Certes, je ne vois aucun mal aux investissements chinois en Suisse ou ailleurs. Je partage aussi son analyse sur la diversification de l’investissement suisse en Asie afin de moins dépendre du diktat de l’Union européenne.

Mais attention, depuis l’ouverture de l’économie chinoise dans les années 70, la Chine s’offre un cours de rattrapage accéléré via les joint-ventures, justifié au début selon l’adage «On apprend au pêcheur à pêcher».

Mais aujourd’hui devenue deuxième économie mondiale, la Chine impose toujours ce principe, n’utilisant évidemment plus sa misère comme prétexte, mais sa force financière et le potentiel de son marché de 1,4 milliard de consommateurs.

C’est vrai, plus aucun pays ne peut concevoir une croissance économique sans eux. En réa­lité, l’ambition chinoise est d’avoir et non d’apprendre. Elle prétend être leader en dépôt de brevets or, en réalité, il s’agit majoritairement de brevets (subventionnés!) sans aucune portée. Le créneau industriel et économique chinois est d’offrir des produits et services de qualité, mais sans les avoir véri­tablement inventés.

A mon sens, on n’y observe pas de culture de l’excellence comme en Corée du Sud ou au Japon. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que ce pays prenne la relève du progrès.

Par l’accueil des entreprises étrangères, les entreprises chinoises opèrent un transfert de technologies. Et même les puissantes multinationales qui prétendent avoir pris toutes les mesures pour protéger leurs propriétés technologiques, des fuites s’opèrent au niveau des fournisseurs locaux…

Et même si, effectivement, la sécurité juridique s’améliore, la Chine n’est pas un Etat de droit.

Alors oui, la Chine est un marché lucratif à court et moyen terme. Moins sûr dans le long terme – la désindustrialisation de pays histo­riquement industriels en témoigne.

Jean-Luc Adam

Les plus consultés