Publié le: 10 novembre 2017

La morale avant le profit... Qui paie?

POLITIQUE ET ÉTHIQUE – De plus en plus d’investissements financiers dits «éthiques» sont proposés. La demande semble principalement motivée par des idéologies politiques. Mais d’abord, qu’est-ce qu’un investissement éthique et qui en définit les critères?

«C’est comme un labyrinthe, observe Walter Eggimann, gestionnaire d’actifs indépendant et lui-même fournisseur de placements éthiques, on se croit sur le bon chemin et c’est finale­ment une impasse.» La première difficulté commence par la définition même d’un placement éthique puisque, comme nous le verrons, il n’y a pas de définition universelle.

Question de point de vue

Pour les uns, les actions d’entreprises d’armement sont éthiques car nécessaires pour lutter, par exemple, contre le terrorisme. Pour les autres, les armes n’ont d’autre but que de tuer. Cette logique à géométrie variable élimine d’office tout fabricant d’armes d’un portefeuille éthique. Pareil pour l’agroalimentaire qui, pour certains, augmente la productivité de l’agriculture et luttent ainsi contre la famine, alors que pour d’autres, commercer avec la nourriture est immoral. Du coup, toute activité de négoce est éthiquement mauvaise.

Tout se complique!

«Si la question des armes ou de l’alimentaire est encore simple, lance Walter Eggimann, elle se complique sérieusement quand il s’agit d’actions et de futures.» Peut-on prêter de l’argent à un Etat qui contracte des dettes? Est-ce bien d’acheter des obligations américaines sous la présidence Trump? Est-ce moral de vendre tout l’immobilier d’une ville parce qu’elle n’offre aucun filet social aux sans-abris? «Le point crucial ne repose pas uniquement sur les critères éthiques, mais dépend surtout de la catégorie dans laquelle ces placements sont transposés.»

«UNE ÉThIQUE À LA CARTE EST-ELLE ENCORE ÉTHIQUE?»

Eggimann dénonce l’hypocrisie consistant à imposer une rigueur éthique quand il s’agit de l’achat d’actions, mais à fermer les yeux quand il s’agit d’Etats, de communautés ou d’obligations. Bref, «l’éthique à la carte» n’est vraiment pas une attitude éthique.

Une tâche perpétuelle, coûteuse

Mais ce n’est pas tout, un engagement dans des structures «éthiques» passe également par un management «passif». On appelle passif un portefeuille qui effectue le moins de trans­actions possibles. Ainsi, on achète un bouquet de titres et on mise à long terme. L’avantage? Les portefeuilles passifs présentent généralement moins de risques et moins de frais.

Or, ceci est impossible pour les place­ments dits éthiques, car, chaque fois qu’un placement viole un critère éthique, il doit être immédiatement vendu. Et pour ne pas créer de lacune dans le portefeuille, il faut obligatoire­ment investir ailleurs. Comme la vérification éthique est une tâche perpétuelle, le volume de transactions augmente. Résultat, la vérification et les transactions font grimper les coûts des placements éthiques.

Risque de récupération

Que des individus ou entreprises aient leur propre définition d’un place­ment éthique et en supportent les coûts, c’est leur affaire. En revanche, cela devient problématique quand des idéologues imposent à tous leur vision. «En ce moment, d’énormes pressions sont exercées sur les fonds de pension», explique Eggimann. «Des organisations de défense des droits de l’homme et de protection de l’environnement organisent des audits. Puis, mettent au pilori toutes les caisses de pensions qui ne correspondent pas à leurs critères éthiques.»

Malheureusement, ces «proscripteurs politiques» s’intéressent moins à ce qui est effectivement mis en œuvre. Avec la politisation de la prévoyance vieillesse, par exemple, ces groupes essaient surtout d’accroître leur propre pouvoir politique. Et c’est par la morale qu’ils mettent les fonds de pension à genoux. Que les retraités actuels ou futurs perçoivent moins d’argent ne les intéressent guère.

Le diable craint l’eau bénite

Les banques, quant à elles, «jouent le jeu, dit Eggimann, car, après tout, elles évitent la critique comme le diable craint l’eau bénite. Mais attention, tout n’est pas négatif puisqu’on y trouve de bons investissements éthiques. Reste à chacun d’en définir les critères et de savoir ce qu’il est prêt à payer pour ça.» Une chose est sûre, dès que l’éthique est politisée, elle cesse d’être éthique.

Henrique Schneider,

vice-directeur usam

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