Publié le: 7 avril 2017

«La passion, la curiosité et le travail»

Claude nicollier (IV) – Dans cette dernière partie de l’interview, l’astronaute parle de Solar Impulse, de ses ancêtres inventeurs et innovateurs dans l’industrie du chocolat, des conditions-cadres en Suisse pour les entreprises et de la concurrence dans l’espace.

JAM: Vous avez participé activement à l’aventure Solar Impulse. Quelles sont les innovations que l’on doit à ce projet?

n Claude Nicollier: L’innovation majeure était de faire quelque chose 
de difficile (certains disent «im-
possible») qui n’avait jamais été 
fait! L’innovation a aussi été dans 
l’intégration de systèmes de haut 
niveau technologique qui n’avaient jamais été installés dans la même machine volante. Haut niveau techno-logique pour les batteries, tout le système électrique, des collecteurs solaires jusqu’aux moteurs électriques très fiables et efficaces pour assurer la propulsion, pour la structure en fibre de carbone, extraordinairement légère mais rigide. C’était une technologie utilisée sur les meilleurs bateaux construit par décision chez 
Bertrand Cardis. De l’innovation aussi dans le concept de contrôle et surveillance des vols depuis une salle de contrôle qui recevait, en permanence, toutes les données essentielles du vol par voie satellitaire. Concept empruntée au monde du spatial. Et puis surtout, il y avait le courage de se lancer dans l’aventure, car il s’agissait de très longs vols, comme la traversée du Pacifique, et de l’Atlantique aussi.

Votre arrière-arrière-grand-père François-Louis Cailler apprit son métier de chocolatier à Turin avant de revenir au pays pour construire la première fabrique de chocolat, en 1819 à Corsier-sur-Vevey. Quant à votre arrière-grand-père Daniel Peter, un industriel vaudois à la tête de Peter Cailler, il inventa 
le chocolat au lait dès 1875. Que savez-vous d’eux et comment 
vous rattachez-vous à ces ancêtres inventeurs ou innovateurs?

n Mes ancêtres que vous mentionnez étaient des gens productifs, travailleurs, et inventifs, à leur échelle! 
Sortir des chemins battus. Ne pas 
simplement acheter des produits existants, mais les faire soi-même. Trouver un moyen d’allier lait et chocolat qui, apparemment, n’était pas une chose évidente. Daniel Peter a travaillé longtemps sur ce problème dans son laboratoire qui était sa cuisine, avec feu de bois ou de gaz. Il a réussi. Les premières plaques de chocolat au lait commercialisées étaient du Gala Peter! Peut-être que j’ai 
hérité un peu de ces gènes, non pas tellement du chocolat, mais de la 
persistance. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour ce que mes 
ancêtres ont accompli. Ils voulaient atteindre des objectifs et ils y sont parvenus!

Et aujourd’hui, quand vous 
parlez avec les jeunes générations, vos étudiants à l’EPFL, les 
chercheurs du CSEM, dont vous êtes le président, quelle est la conception que l’on se fait de l’innovation, de l’invention?

n Le CSEM est une société publique-privée où l’innovation est absolument centrale. Un des thèmes centraux pour le CSEM en particulier sont la très faible consommation d’énergie pour les systèmes électroniques. D’autres thèmes sont le respect de l’environnement, et la haute fiabilité. Il y a eu récemment un symposium à Zurich, organisé par le CSEM sur le thème «Innovation to zero». Le zéro, en l’occurrence, c’est la consommation zéro d’énergie – on n’y arrive pas tout à fait, mais il s’agit d’un domaine où le CSEM (dont Claude Nicollier est président, ndlr) est très performant et reconnu!

Qu’est-ce qui permet à une entreprise d’être vraiment innovante?

n La passion, la curiosité, le travail.

Que pensez-vous des conditions-cadres offertes par la Suisse aux entreprises?

n Le monde dans lequel j’évolue est plutôt le monde académique et je ne suis pas un expert sur le sujet de la situation des entreprises suisses, au-delà du CSEM que je connais bien. Ma perception cependant est que ces conditions-cadres sont bonnes en Suisse. Des produits peut-être chers, mais reconnus à une échelle mondiale, de bons salaires et une fiscalité avantageuse sont des points forts. Il y a aussi une éthique du personnel très saine et forte dans les compagnies que je connais, par exemple au sein du groupe Swatch auquel je suis associé en tant que membre du Conseil d’administration. Les choses ne sont pas toujours 
faciles, de loin pas, mais on tient le coup, on s’accroche à la barre, on travaille de manière intelligente et conséquente pour des jours meilleurs. On innove pour rester compétitifs. Mais on maintient les places de travail. C’est important.

Encore une question qui intéresse les entrepreneurs. Existe-t-il une vraie concurrence sur les projets spatiaux?

n Oui et non. La NASA a donné des fonds considérables à SpaceX et à d’autres compagnies pour qu’elles développent des systèmes spatiaux qui seront utilisés par l’Agence Spatiale américaine (transport de fret et de personnel vers la Station Spatiale Internationale). Cette dernière a voulu la montée en force du spatial privé, donc on ne peut pas véritablement parler de compétition. Bien sûr, inévitablement, il y en a un peu: SpaceX est parvenue, à quelques reprises, à récupérer le premier étage de son lanceur Falcon 9. La NASA ne l’avait jamais fait, ni même tenté de le faire. La NASA par contre a eu ses heures de gloire et en aura encore. Le programme Apollo n’aurait jamais pu être mené à bien par des privés! Ce programme reste toujours et encore un programme de référence d’un immense succès politique, technique et opérationnel. On ne pourra jamais l’enlever à la NASA!

SpaceX a l’intention d’envoyer des touristes pour un voyage lunaire (sans alunissage) en 2018! Elon Musk a aussi cette ambition d’être sur Mars avant la NASA. Il y a manifestement une stimulation réciproque entre 
la NASA et SpaceX. Chacun cherche à faire mieux que l’autre, sachant aussi qu’une compagnie privée peut généralement travailler plus rapidement qu’une grande organisation 
institutionnelle comme la NASA, qui souffre d’une certaine lourdeur et des aléas de la politique américaine.

Est-ce que cette opposition 
public-privé sur les questions d’innovation est un réflexe 
plutôt européen?

n Nous n’avons pas, en Europe, 
cette fulgurante montée de com-
pagnies privées dans le monde du spatial. Nous avons bien entendu des compagnies privées qui sont utilisées par les agences spatiales (ESA ou Agences nationales) pour réaliser leurs programmes, par exemple RUAG en Suisse ou Airbus en Europe, mais ces compagnies privées ne 
travaillent pas en tant qu’opérateurs et ne lancent pas de grands projets autonomes comme le font SpaceX et Blue Origin de l’autre côté de l’Atlantiques, pour n’en citer que deux parmi d’autres. Ceci pourrait changer dans le futur. Des opportunités existent, des barrières tombent, et je suis convaincu qu’une évolution 
similaire à celle à laquelle nous assistons aux USA pourrait prendre place en Europe également!

Interview: 
François Othenin-Girard

rêve d’espace

La question d’Ulysse

Un jeune lecteur, Ulysse, quinze ans, nous a adressé la question suivante que nous avons posée à Claude 
Nicollier. Voici sa réponse.

Ulysse: Est-ce qu’il y a un point commun entre vos rêves d’enfants liés à l’espace, aux amas d’étoiles et ce que vous avez fait par la suite?

nClaude Nicollier: Mes rêves d’enfant on beaucoup été alimentés par la bande dessinée de l’époque. J’avais 17 ans en 1961 lors du vol du premier homme dans l’espace (Youri Gagarine), donc jusque-là ce n’était pas l’actualité spatiale qui me faisant rêver, mais plutôt les aventures spatiales imaginaires comme le doublet «Objectif Lune» et «On a marché sur la Lune»! J’ai été formidablement impressionné et marqué par le programme Apollo. Les premiers pas et les déclarations de Neil Armstrong sur la Lune restent un des souvenirs les plus marquants de ma période d’adolescence!

Ulysse: Avez-vous rêvé alors que vous étiez dans l’espace, et si c’est le cas, sur quoi vos rêves portaient-ils?

nClaude Nicollier: En ce qui concerne mes rêves dans l’espace, 
je dois avouer que je n’en ai pas souvenir. Mes périodes de sommeil 
dans la navette spatiale étaient toujours courtes et profondes. Le rêve, c’était pendant les périodes de travail 
dans l’espace, en faisant 16 fois le
tour de la Terre par jour terrestre,
dans cet environnement d’une beauté incroyable, et en état d’apesanteur! Ça c’était du rêve! JAM

La terre, mars et l‘environnement

L‘espèce humaine deviendra-t-elle une espèce planétaire?

Cela vaut-il vraiment la peine d’aller sur Mars et pour quelles raisons?

nClaude Nicollier: L’enjeu est de voir si l’espèce humaine pourrait devenir une espèce vivante planétaire, au niveau du système 
solaire, ou pas. Il est possible que la réponse soit négative et cela ne manquerait pas de nous motiver pour prendre un soin extrême de la planète Terre en sachant que nous 
allons y rester! Si un jour, nous avons un problème significatif sur Terre, il sera trop tard pour explorer. Il vaudrait mieux avoir exploré avant. La Lune n’a ni ressources, ni atmosphère. Vénus et Mercure sont inhabitables. Au-delà de Mars, il y aurait encore quelques satellites de Jupiter et de Saturne, mais il commence à faire froid à cette distance 
du Soleil! Mars est donc potentiellement 
attractive comme alternative à la planète Terre.

Le problème majeur d’une colonie humaine sur Mars, et même des groupes d’explorateurs qui passeront quelques mois ou années sur 
la planète rouge, est celui des radiations 
cosmiques, d’origine solaire ou galactique. 
Le problème existera déjà durant le long voyage de plusieurs mois jusqu’à la des-
tination. Mars n’est pas protégée de ces 
radiations comme c’est le cas avec la 
Terre entourée de la magnétosphère et d’une atmosphère raisonnablement dense.

Si on arrive à la conclusion que l’espèce humaine peut bien s’adapter à l’environnement martien à long terme et que l’on trouve une protection adéquate contre le danger des radiations, alors oui, pourquoi pas! La planète Mars pourrait alors devenir soit un endroit 
de refuge pour une humanité en détresse sur Terre, ou alors, peut-être, une destination 
touristique de choix, probablement onéreuse, mais recherchée! JAM

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