Publié le: 10 août 2018

La PME fait battre mon cœur plus fort

laurence parisot – Retour sur le discours de l’ancienne patronne des patrons français. Une conférencière qui a marqué les Journées romandes de Champéry. «Au fond de toute PME se trouve une dimension humaine, humaniste, sans laquelle elle ne survit pas.»

Ayant récupéré sa voix in extremis, grâce au bon air des Alpes suisses, la grande dame des PME françaises, Laurence Parisot, était l’hôte d’honneur des Journées romandes des arts et métiers qui se sont tenues cette année à Champéry (les 25 et 26 juin derniers). Elle était invitée à s’exprimer sur le thème «Les PME, notre patrimoine». Nous publions ci-dessous des extraits de son discours, après avoir donné quelques reflets de ses propos sur le site du Journal des arts et métiers.

Une PME, c’est fragile

«C’est toujours un grand plaisir de venir à la rencontre de chefs d’entreprises, quels qu’ils soient. Mais quand il s’agit en plus de parler de la PME, mon cœur bat encore plus fort pour plusieurs raisons dont je vais vous parler. La première, comme pour beaucoup d’entre vous, la PME est une histoire familiale. Je suis née pas si loin d’ici, en Franche-Comté. Et je suis née vraiment au milieu d’une PME.»

«ce système crée ce qu’on peut appeler un enfer de règles.»

«La maison de mes parents était située au milieu de l’usine. Mon grand-père, mon père, mes cinq oncles, étaient chefs d’entreprise. C’est dire si à la maison on parlait entreprises. J’ai vu depuis toute petite l’entreprise grandir. C’était une fabrique de meubles. Et j’ai vu les affres, les difficultés, les obstacles, les angoisses. Et aussi les aventures, humaines, les joies, les victoires, bref, tout ce qui anime la vie d’une PME. Et j’ai vu d’abord justement qu’une PME, c’était fragile – comme la vie. Une entre­prise peut mourir à tout moment. Alors avec une telle histoire, que je ne peux pas dissocier de mon histoire personnelle, l’histoire de l’entreprise, celle de ma famille, celle de ma vie, j’ai accumulé des sensations, des émotions sur l’origine, la croissance, le développement de la PME.»

Laurence Parisot, la PME attitude

«Quand, bien après mon enfance et mon adolescence, les opportunités imprévues, étonnantes, m’ont permis de devenir présidente du plus important mouvement patronal français, je n’ai eu qu’une idée à l’esprit. Constamment, matin, midi et soir, penser PME, m’occuper de la PME, incarner le plus possible ou en tout cas être le porte-parole de la PME. À tel point que j’en ai conçu un vrai programme que j’ai appelé – la PME attitude. Johnny Halliday avait chanté «la Rock ’n’ Roll attitude». Dans la chanson, Johnny disait: «Ne reste pas chez toi avec tes certitudes, Rock ’n’ roll attitude.» C’est ce que j’ai fait: je suis allée voir tous les politiques français et les dirigeants des très grandes entreprises du CAC 40 pour leur dire: n’ayez pas de certitude. Et ayez la PME attitude!»

Le grand plus de la PME: l’âme!

«C’est de cela dont j’aimerais vous parler. Parce que être dirigeant de PME, c’est avoir tous les concepts, les principes, les connaissances, les compétences quasi-équivalentes à celles d’un gestionnaire de grand groupe. Il faut comprendre les éléments-clés de la finance, des notions modernes du marketing, le marketing d’aujourd’hui, de la même façon. Mais il y a un grand plus qu’apporte la PME et que le dirigeant de la PME développe d’une manière quasi innée. Ce grand plus que seul la PME offre – l’âme. C’est-à-dire qu’il y a au fin fond de la direction d’une PME une dimension humaine, je dirais même humaniste, qui lui est inhérente et sans quoi la PME ne survit pas. Alors que tragiquement, paradoxalement, le grand groupe survit même s’il est dépourvu de ces valeurs. Présidente du Mouvement des entreprises de France (Medef) de 2005 à 2013, j’ai lancé le concept de PME attitude – peu après la crise financière de 2008.»

Un nouveau modèle politique

«Pendant des années, j’ai voulu faire comprendre aux politiques et aux dirigeants de grandes entreprises qu’ils auraient tout intérêt à s’inspirer de ce principe. Non seulement comprendre les spécificités de la PME, mais eux aussi, de plus en plus, essayer d’agir comme vous, dirigeants de PME, savez le faire. Qu’est-ce que cela veut dire concrète­ment. J’aimerais attirer votre attention sur deux dimensions: celle de proximité et celle de simplicité. Sachant que les deux se rejoignent. La proximité d’abord. Evidemment, quand on est dirigeant de TPE ou de PME (en France, moins de 250 salariés), elle est l’une de ses premières caractéristiques.»

L’apport de chacun

«Cela veut dire la proximité à l’égard de son personnel. La magie de la PME, c’est que l’on connaît pratique­ment tout le monde personnellement, individuellement. Pourquoi a-t-on cette capacité à garder beaucoup d’humanité dans la relation? On est dans un lien interpersonnel. Quand on est dans une grande entreprise ou dans la relation politique, d’emblée, on est dans la relation anonyme.»

«On pourrait le leur pardonner finalement, face au grand nombre, il est évident que l’on ne peut pas connaître individuellement chacun. Mais ce faisant, on s’aban­donne à des raisonnements qui oublient la dignité. Qui oublient l’apport que peut avoir chacun. Et parce que dans la PME on arrive à garder cette relation de proximité, on a aussi la capacité à comprendre l’apport de chaque personne. Et à savoir que chacun peut donner une idée, apporter de la créativité, que chacun est digne d’être entendu, ça c’est un des premiers bénéfices de la proximité.»

 

Relation interpersonnelle

«La proximité aussi avec ses clients. Et donc la capacité à mieux écouter, à mieux entendre ses clients. Et de toute façon, une évidence, à comprendre le client. Et savoir que c’est important. Proximité aussi, dans la fabrication de son produit ou de son service. Et donc – attention portée à son produit ou son service. Et donc – volonté d’être dans la qualité. Vous voyez bien que toutes ces dimensions sont d’une valeur essentielle. Relation interpersonnelle avec son personnel et son client, qualité, voilà tout ce qu’on demande dans le monde d’aujourd’hui. Donc voilà un des atouts de la PME dont je n’ai pas cessé de dire – inspirez-vous-en! Et comprenez aussi que la PME a besoin de garder ces atouts.»

La simplicité et les normes

«Et là arrive la deuxième dimension sur laquelle j’aimerais attirer votre attention et que je n’ai pas cessé de réclamer et qu’aujourd’hui encore je crie, supplie… la simplicité! Quand je dis simplicité, je ne veux pas dire naïveté, simplisme. Non, je veux dire clarté, c’est encore plus important peut-être! Or dans le monde d’aujourd’hui, peut-être plus encore depuis la crise de 2008, ce que nous avons su le plus produire, ce sont les normes, les règles.»

«Nous avons cru qu’en les produisant, nous allions mieux nous organiser, plus intelligemment et de manière plus productive. Or en réalité c’est le contraire que nous sommes en train de faire. Pour vous donner un exemple, je ne veux pas parler du code du travail français, c’est trop simple! Depuis la crise de 2008 aux États-Unis, on a revu toutes les règles financières et bancaires, les Américains ont élaboré une loi. La loi Dodd-Frank (ou Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, n.d.l.r.). Cette loi a instauré une série de nouvelles mesures pour faire fonctionner le système financier américain. Elle fait 2200 pages. Juste la loi, sans les décrets d’application, les circulaires, d’interprétations et la jurisprudence qui va progressivement s’élaborer. Evidemment, c’est inaccessible à l’esprit humain. Peut-être aux futures intelligences artificielles – et encore! Cette loi est l’illustration même de ce que le monde d’aujourd’hui, le pouvoir politique, mais aussi les systèmes qui se développent dans les grandes entreprises, savent produire. Et ça, par miracle, pour le moment, les PME y échappent.»

«Si les PME échappent à cette nouvelle bureaucratie, c’est pour le moment! Et dans la mesure de leur possible, puisqu’elles sont aussi soumises à ces nouveaux fardeaux réglementaires qui viennent soit de la loi, soit de leur donneur d’ordres, la grande entreprise. Mais au moins, elles limitent dans leur quotidien les effets de cette bureaucratie parce qu’elles-mêmes ne cherchent pas à produire de système équivalent. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est ça que j’ai aussi voulu transmettre avec mon message, c’est que ce sont les PME qui ont raison. Que si elles ne produisent pas ce système, ce n’est pas simplement parce qu’elles ne sont pas grandes. C’est parce qu’elles ont le bon sens de ne pas le faire! Et de ne pas chercher à le faire. Car ce système crée ce qu’on peut appeler un enfer de règles. Qui aboutit à des décisions absurdes. Et même parfois nocives.»

«si les PME ne reproduisent pas la bureaucratie, c’est par bon sens!»

«Les maisons de retraite en France sont soumises à des cahiers des charges très lourds, inévitablement. Normal qu’il y ait un système de règles, en particulier pour le système de santé. Mais figurez-vous qu’il y a eu un croisement de règles, certaines issues des contraintes d’approvisionnement, alimentaires, qui désormais interdisent aux maisons de retraite d’avoir dans leur cuisine des œufs coque. Il faut le faire! C’est à dire que le cuisinier ne peut utiliser que des packs d’œufs liquides, déjà transformés. Du coup, dans les maisons de retraite, on ne peut plus faire de crêpes – le grand plaisir des personnes âgées. Mais je n’imagine pas qu’une maison de retraite gérée avec un esprit PME puisse aboutir à de tels règlements. Et je n’imagine pas qu’une telle maison gérée dans cet esprit soit plus dangereuse pour la santé, le bien-être, des personnes qui y vivent. Que ce soient des clients, des personnes âgées, que ce soit le personnel, l’encadrement de la maison de retraite…».

 

 

Propos recueillis par François Othenin-Girard

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