Publié le: 9 août 2019

La politique des malentendus

ch-ue – Suite aux divers avis que nous avons publiés sur l’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne, voici le point de vue de Tito Tettamanti: face à l’arrogance de l’UE, il faut arrêter de faire des concessions et formuler une stratégie qui puisse aussi être soutenue par une large majorité dans le pays et non une partie de l’élite.

On ne peut s’empêcher de reconnaître qu’au fil des ans, le Conseil fédéral a développé l’indéniable capacité de maîtriser un triple salto mortel. Ou, si l’on veut, la version politique du jeu de poker à trois cartes.

D’une part, il a été possible de bloquer Bruxelles pendant des années et de faire croire que tôt ou tard, même les Suisses les plus têtus décideraient d’adhérer à l’UE. En même temps, les citoyens ont reçu à plusieurs reprises l’assurance, en connaissance de l’opinion de la majorité, que nous ne ferions bien sûr jamais partie de l’UE.

Dans un premier temps, il faut bien l’admettre, les négociations pour les accords bilatéraux ont été menées avec habileté, mais de plus en plus de concessions ont été faites et la tactique du rapprochement avec Bruxelles s’est poursuivie jusqu’à ce qu’un projet d’accord-cadre, que l’UE voulait et qui n’a pas été appelé «institutionnellement» pour rien, soit élaboré. Une partie de l’élite politique et économique du pays tend vers cela.

La Commission européenne ne joue plus le jeu de cette tactique dilatoire et nous propose aujourd’hui une alternative: adhérer ou être traité comme un vassal. Elle a réaffirmé cette attitude par une lettre adressée en réponse à la lettre du Conseil fédéral du 7 juin demandant des «éclaircissements», dont le style n’est pas différent de celui de la réponse.

Le professeur Michael Ambühl, qui avait lui-même négocié avec la Commission en tant que secrétaire d’Etat, a critiqué le texte de notre gouvernement et a estimé qu’une solution ne pouvait être trouvée que par de véritables négociations ultérieures plutôt que par des ajustements cosmétiques.

Il n’y a pas de place pour une politique d’incompréhension. Nous pouvons comprendre l’irritation de Bruxelles, mais pas tellement l’expression d’une arrogance condescendante que l’on peut ressentir à diverses occasions.

A commencer par la réponse de la Commission à la «demande» du Conseil fédéral, qui a fixé des délais que l’on ne peut qualifier que d’agressifs au vu des quelques jours fixés. Ensuite, il y a eu le dîner malheureux du 12 juin à Bruxelles, au cours duquel notre négociateur en chef Roberto Balzaretti a été déshonoré par les deux représentants européens présents, Christian Leffier et Richard Szostak.

La lettre du Conseil fédéral à la Commission semble presque complice. Malgré la forte opposition du pays à l’adoption dynamique des lois de l’UE et à la confusion inacceptable et infiltrée avec l’arbitrage, elle se limite aux préoccupations insignifiantes des syndicats (0,7% des salariés travaillant en Suisse) et aux problèmes posés par la directive citoyenne de l’Union (29 avril 2004) et l’actualisation prévue de l’Accord de libre échange (1972).

Le seul but est de gagner du temps. Ces deux dernières questions auront de graves conséquences pour la Suisse. Il faut partir du principe que ces victimes d’une grave omission ont été oubliées ou délibérément laissées pour compte – et donc laissées sans solution – afin d’éviter une nouvelle résistance des électeurs suisses (ce qui est beaucoup plus grave).

Mais ce n’est pas tout: le commissaire autrichien Johannes Hahn – qui s’imagine peut-être encore à l’époque de l’Empire austro-hongrois – envoie une longue lettre confidentielle (mais délibérément pas trop confidentielle) au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans laquelle il accuse la Suisse de faire un double jeu, de manquer de volonté politique, etc.

Par une tirade d’avertissement digne des habitudes des anciennes puissances coloniales à la conquête d’un petit Etat rebelle, il recommande de donner une leçon aux Suisses et non de prolonger l’équivalence boursière.

Je m’en tiens toujours à la formulation malheureuse du commissaire, qui exprime pourtant si joliment l’attitude de l’hégémon envers ses vassaux, c’est-à-dire nous, les Suisses. Ne pas reconnaître l’équivalence en bourse correspond à une réaction de défi, ce qui est totalement injustifié étant donné le niveau et le prestige de la Bourse suisse.

Mais avec myopie et arrogance bureaucratique, M. Hahn et la Commission courent le risque de ne pas comprendre que les dommages causés à la place financière suisse sont limités, en partie grâce à un règlement du Conseil fédéral qui entrerait en vigueur immédiatement, et que, à long terme, certaines bourses européennes pourraient subir des dommages bien plus importants.

L’arrogance donc, parce que l’UE oublierait (délibérément) qu’elle violerait ainsi les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) à laquelle nous appartenons tous deux. Revenons à cet aspect intéressant et oublié – le pourquoi.

Quoi qu’il en soit, si l’UE s’enfonce dans une telle réaction de défi infondée, ce n’est que pour nous montrer son hostilité. Le Conseil fédéral ferait bien de comprendre cette expression d’arrogance en tant que telle et ne pas se laisser intimider davantage. Il est important de comprendre qu’une politique de concessions constantes conduit à des résultats dévastateurs. Il est encore temps d’abandonner.

Nous comprenons les intérêts de l’industrie de l’exportation, qui exerce des pressions massives pour convaincre le gouvernement de céder. Je voudrais toutefois souligner que les épargnants suisses (particuliers, caisses de pension, compagnies d’assurance, etc.) sacrifient depuis quelque temps des milliards de dollars de revenus annuels pour promouvoir les exportations avec un franc faible en raison des taux d’intérêt artificiellement bas que maintient la Banque nationale suisse.

D’après mon expérience, je suis cependant convaincu que le succès des exportateurs suisses ne repose pas sur des accords bilatéraux – qui n’existaient pas auparavant – mais sur la qualité de leurs produits et la garantie de la marque suisse.

La tactique de l’incompréhension est terminée et il est maintenant temps de formuler enfin une stratégie qui sera soutenue non seulement par une partie de l’élite mais aussi par une large majorité dans le pays.

Tito Tettamanti, Lugano

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