Publié le: 2 septembre 2022

Le comment d’une jolie réussite

finances fédérales – Pour Johanna Gapany, le rose n’est pas la couleur qui prédomine pour dépeindre la situation des finances fédérales. Selon la conseillère nationale, le tableau n’est pas tout noir. Un paysage de tous les dangers.

JAM: Dans l’état des finances de la Confédération, dans quelles eaux nageons-nous?

Johana Gapany: En quelques années, les risques qui étaient parmi les plus redoutés se réalisent: d’abord, la pandémie, puis maintenant la pénurie d’énergie. Les crises ne se succèdent pas, elles se cumulent.

Nous espérons encore pouvoir passer l’hiver sans vivre de pénurie, mais plus les semaines avancent et plus le risque semble se concrétiser. Entre la sortie du nucléaire, l’intégration incertaine de la Suisse dans le marché européen de l’électricité et maintenant la guerre en Ukraine, il est évident que les mois à venir vont nécessiter des interventions dans ce domaine.

Nous en avons déjà décidé une au niveau du Conseil des États, soit le mécanisme de sauvetage destiné au secteur de l’électricité. Ce mécanisme vise à pouvoir octroyer des prêts par la Confédération aux entreprises électriques suisses d’importance systémiques pour combler les manques de liquidités en cas d’évolution exceptionnelle du marché. Le Conseil fédéral a demandé un crédit d’engagement de 10 milliards de francs.

«les mesures prises durant la pandémie pour soutenir l’économie et l’emploi ont porté leur fruit.»

On parle d’argent, mais aussi d’autres enjeux?

Oui, pas seulement d’argent! Le dernier séminaire de la commission des finances s’est passé à Fribourg, dans mon canton, comme le veut la tradition selon laquelle le séminaire se passe dans le canton du président ou de la présidente. Pour thème, j’avais choisi de parler des défis liés à l’approvisionnement énergétique, la situation actuelle, les perspectives ainsi que les risques. Bien sûr que c’est l’angle financier qui a été privilégié et les questions du financement du tournant énergétique et des conséquences économiques et financières d’une pénurie d’énergie étaient au centre des discussions.

Qu’en avez-vous tiré?

Que les experts étaient relativement unanimes sur un point: il ne s’agit pas que d’argent. Investir les moyens au bon moment est nécessaire. Toutefois, permettre la construction des infrastructures est aussi déterminant et lorsque le Parlement accepte un crédit d’engagement de 10 milliards pour combler les manques de liquidités des entreprises électriques en cas de besoin, j’estime qu’il a aussi le devoir de s’assurer que les efforts sont faits – chez nous – pour construire et permettre de construire des infrastructures de production d’énergie. Les cas de projets bloqués par la Loi sur l’aménagement du territoire ou par des oppositions sont trop nombreux.

Qu’est-ce qui explique cela?

Une multitude d’éléments dont des procédures longues et compliquées. Mais deux objectifs sont particulièrement à mettre en avant. D’une part la sortie du nucléaire. D’autre part, la décarbonation de la société. La décarbonation exige l’électrification – on le voit avec les véhicules électriques par exemple, mais aussi avec les nouveaux systèmes de chauffage qui exigent de l’électricité. Le besoin en électricité augmente ainsi dans le même temps où la production diminue puisque la sortie programmée du nucléaire amène à une réduction de la production. Cette sortie du nucléaire aurait dû être accompagnée d’une vision claire et d’une stratégie pour compenser la production nucléaire. On constate aujourd’hui qu’il y a eu des lacunes à ce niveau et que l’on doit maintenant rattraper un retard certain.

Comment pensez-vous qu’il faudrait s’y prendre?

Plusieurs choses et je vais à l’essentiel. À court terme, il faut garantir l’intégration du marché européen d’électricité, planifier des scénari en cas de pénurie, faire des tests, proposer une plateforme d’informations à la population, mettre en place des infrastructures pour produire rapidement de l’électricité. On peut parler de centrales à gaz destinées à couvrir les charges de pointe ou l’installation de couplage chaleur-force décentralisées qui, outre l’électricité, fournissent également de la chaleur résiduelle.

«nos finances fédérales ne se portent pas au mieux!»

À moyen terme, il faut stimuler encore les énergies renouvelables, rendre les procédures plus simples et adapter les règles en matière d’aménagement du territoire pour créer certaines zones spéciales, propres à ce genre d’infrastructures.

Pour le long terme, on doit miser sur la recherche, les nouvelles technologies. Concrètement, il ne doit pas y avoir d’interdictions technologiques légales visant à étendre et à remplacer des installations de production indigènes existantes, sans quoi on mettra à mal la stabilité de l’approvisionnement pour les générations futures.

Tenez-vous assez compte du contexte particulier dans lequel nous vivons?

Totalement! Ce défi se superpose à d’autres et ne rend pas la quête de solution plus simple. Entre la pandémie et les relations tendues avec l’UE, nos finances fédérales ne se portent pas au mieux et contrastent d’ailleurs avec celles des cantons qui semblent moins souffrir de la situation.

«les cas de projets bloqués par la loi sur l’aménagement du territoire sont trop nombreux.»

Ce n’est pas le moment d’augmenter les impôts ou de créer de nouvelles taxes et nous devons trouver des solutions. Les comptes 2021 se sont soldés par un déficit de financement de 12,2 milliards, c’était 15,8 milliards en 2020. Rien que pour la pandémie, la Confédération a consenti des dépenses extraordinaires de 14,7 et 12,3 milliards en 2020 et 2021. À cela s’ajoute d’autres dépenses extraordinaires budgétisées pour 2022, ce qui mènera le total du découvert du compte d’amortissement de 25 à 30 milliards, un niveau jamais atteint jusqu’à ce jour.

Optimiste ou pessimiste?

L’avenir n’est pas rose sur tous les plans, mais il y a tout de même de belles opportunités. Côté finances, le déficit ordinaire prévu pour 2023 est de 700 millions, puis de 1,1 et de 1,3 milliard en 2024 et 2025. Pour 2023, le budget respecte de justesse les exigences du frein à l’endettement, qui permettent un déficit conjoncturel de 900 millions de francs. À noter que les coûts de 1,7 milliard de francs liés à l’accueil des personnes ayant fui l’Ukraine sont comptabilisés à titre de dépenses extraordinaires.

Avec ces chiffres et les dépenses croissantes, on comprend vite que le système du frein à l’endettement va devoir temporairement être adapté pour éviter des augmentations d’impôt. C’est ce à quoi va s’atteler le Parlement dans les mois à venir. Nous avons déjà entendu les experts en la matière début juillet et poursuivront les travaux dès la fin août.

Le tableau n’est toutefois pas tout noir, comme je l’ai dit et il est important de relever que les mesures prises durant la pandémie pour soutenir l’économie et l’emploi ont porté leur fruit. Les recettes supplémentaires du côté de la TVA (+1,4 milliard) et du côté de l’IFD (+1,2 milliard) confirment cette reprise. Ce qui m’amène à terminer sur une note positive. Les finances fédérales vont certes moins bien que par le passé et exigent de nous une rigueur certaine. La bonne santé économique de notre pays nous prouve toutefois que la Suisse va bien, a de belles perspectives devant elle et que moyennant des réformes à mener et de nombreux défis à relever, nous ferons de cette époque une jolie réussite.

François Othenin-Girard

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