Publié le: 14 août 2020

Le grand voyage: le tour de soi-même

Caroline Perroud – Cette coach de carrière applique une méthode holistique et travaille notamment avec les apprentis qui, arrivés au terme de leur formation, sont à la recherche de solutions si possible lumineuses pour la suite. Prière de s’engager activement!

L’été avance et certains apprentis n’ont toujours pas trouvé de solutions pour la suite. Ceux qui sont motivés peuvent s’inscrire – certains l’ont déjà fait à Neuchâtel et à Genève – à un atelier. Concrétisée par Reinhard Schmid, fondateur du Schulung & Beratung Institut, sur mandat de l’usam – en collaboration avec le SBFI et Profunda Suisse, l’idée est d’offrir la possibilité à ces jeunes d’aller de l’avant dans la situation actuelle et de les aider à développer des instruments qui leur seront utiles plus tard aussi.

La formation permet d’apprendre à dresser un bilan personnel, à mieux évaluer ses possibilités à travers un réexamen de la situation actuelle. On y apprend aussi à développer des méthodes pour explorer certains domaines d’activités qui se situeraient également en dehors du cadre du métier qui vient d’être appris.

Offert par la Confédération

Après une introduction au Portfolio de carrière professionnelle, la deuxième journée est consacrée à la question: où est-ce que je me situe? Qu’est-ce que j’entreprends pour y arriver? Et le troisième jour: où est-ce que je veux aller? Qu’est-ce que j’entreprends pour y arriver?

On se familiarise avec les fondamentaux de la planification de carrière. On met au point des instruments qui seront réutilisables toute la vie. On travaille les techniques de postulation. Le tout se fait dans des travaux de groupe où chacun est appelé à participer de manière active et à s’engager. Le travail individuel est aussi important.

Cette formation de deux jours et demi est complétée par un coaching individuel de trois heures afin d’approfondir les objectifs individuels. Le tout est offert par la Confédération dans le cadre de la phase pilote du programme de promotion «Places d’apprentissage Covid-19». En cas d’intérêt, des séances de coaching supplémentaires peuvent être fixées (participation aux frais).

«La vie a fait que…»

Pour en savoir un peu plus, nous avons donc rencontré Caroline Perroud, coach de carrière et responsable de ces ateliers. A Bulle, devant une eau minérale et en pleine canicule, cette native de Progens (Fribourg) nous raconte qu’après l’Ecole de commerce, elle est devenue secrétaire comptable à Lausanne. Engagée par Aufina (UBS), active dans le crédit et le leasing, elle franchit une première fois la Sarine. Avec les années, sa maîtrise du dialecte alémanique deviendra courante.

«La vie a fait que je me suis retrouvée à Brugg, où j’ai été très bien accueillie, sourit-elle. Nous sommes en 1998 et dans les années qui ont suivi, j’étais au bon endroit au bon moment, j’ai pris des responsabilités comme adjointe du chef du service clientèle suisse de GE Capital Bank. Puis chez Viseca Card Services à Zurich, directrice de département dans le secteur des fraudes, contentieux et risques. Au final, ce furent de belles expériences de management et relationnelles. Et puis, l’écart s’est creusé pour moi entre les tableaux de chiffres, les plannings et de l’autre mon côté humain – qui ressortait de plus en plus.»

elle s’active aussi comme assesseur au Tribunal pénal et civil de la Veveyse.

Chaque fin de semaine, la voici qui retraverse la Sarine et se lance à Genève dans une formation de coaching chez Roselyne Fayard (ECDpro), bien connue des Romandes et des Romands (journaliste et productrice à la RSR pendant trois décennies). «J’ai choisi cette démarche holistique parce qu’elle permettait d’aller plus loin que la seule technique du coaching. Passionnée, j’ai continué à me former dans le coaching d’adolescents, la communication non violente (CNV), la programmation neuro-linguistique (PNL), la psychologie positive, l’Appreciative Inquiry – ou coaching de groupe et l’ennéagramme, modèle global de la personnalité humaine.»

Besoin de justice et de justesse

Nous abordons sa deuxième transition. «Et encore une fois, la vie a fait que… je suis revenue m’installer en Suisse romande, je m’y suis mariée et j’ai donné naissance à ma fille.» Au début, se lancer dans le coaching implique la création – ou la réactivation – d’un réseau. Puis les mandats arrivent, comme celui avec l’Association suisse des cadres. En parallèle, elle est contactée par une banque de Zurich, ce qui lui permet de garder ce lien tissé avec la Suisse allemande et un pied dans son métier précédent – qu’elle peut désormais exercer à temps partiel et à distance.

«l’écart s’est creusé entre les chiffres et mon côté humain.»

Devenue coach, elle s’active aussi comme assesseur au Tribunal pénal et civil de la Veveyse. «C’est une activité génératrice d’expériences que j’apprécie beaucoup et qui répond également à mon besoin de justesse et de justice.» Elle raconte aussi qu’enfant, elle souhaitait devenir enseignante. Un conseiller en orientation l’en a dissuadé, lui expliquant qu’à l’avenir, il y aurait trop de profs. «Depuis, j’ai eu l’occasion de tester ce métier en situation réelle lors d’un remplacement. Et je dois avouer qu’il ne m’aurait peut-être pas apporté tout ce que j’espérais alors.»

Journal des arts et métiers: Commençons par une question de coach. Pour vous, quel est le rêve maintenant?

Caroline Perroud: Cela signifie sans doute un équilibre maintenu entre vie professionnelle et privée. Et de rester fidèle à mon éthique de travail: transmettre tout ce que j’ai pour que la personne en face de moi puisse devenir autonome. Donner à chacun cette confiance en soi dont tout le monde a besoin – et la certitude qu’il y a une place pour lui quelque part, une place qui lui permette de rester soi-même. C’est mon rêve maintenant et pour tout le monde.»

«Le rêve: un équilibre maintenu entre vie professionnelle et privée. Et rester fidèle à mon éthique du travail.»

Loin du rêve, la situation sanitaire actuelle. Les besoins de vos interlocuteurs ont-ils changé?

Ce que recherchent les gens qui s’adressent à nous, c’est avant tout cette confiance en soi, ils disent ne plus avoir envie de jouer un rôle ou de subir des contraintes devenues insupportables. Actuellement, le virus peut avoir pour effet d’accélérer les prises de conscience – en particulier pour ceux qui n’osaient pas le faire jusqu’ici et pour ceux qui ont dû tout arrêter et qui ont été mis devant le fait accompli. Il y aussi ceux qui sont entrés dans la Vallée des Larmes, choisissent un déclin pour avoir peut-être plus tard un sursaut tardif.

Comment réagissent les ado­lescents et jeunes adultes que vous rencontrez?

Ceux que j’ai rencontrés – mon panel se restreint à Genève et Neuchâtel, mais hors de ce programme j’ai d’autres contacts dans le Jura et à Fribourg – ne parlent pas du tout de la crise sanitaire. Ils ont leur CFC en poche. Ils veulent avant tout être libres, ce qui pour eux signifie être autonomes dans leur travail, avoir une autonomie financière pour pouvoir vivre comme ils le souhaitent. On sent qu’ils ont envie d’aller de l’avant. Ils se situent dans l’action, le démarrage a toutefois été assez long. L’idée est avant tout – une fois cet apprentissage terminé – de se poser et se retrouver. Leurs besoins sont clairs: un bon CV et une lettre pour une première demande.

Sont-ils bloqués dans leur recherche d’une solution pour la suite?

Du côté des écoles, selon une source, la moitié n’ont pas trouvé de solution. Ils vont profiter de passer quelques mois à la maison et les parents le plus souvent l’acceptent. Quant à ceux avec qui j’ai été en contact, ils ont choisi de s’inscrire à cet atelier via les écoles. Or ils savaient en s’inscrivant qu’il y aurait du travail et qu’il leur faudrait s’engager à fond.

«Le virus peut avoir pour effet d’accélérer les prises de conscience.»

Et que se passe-t-il lorsqu’ils arrivent?

Ils ont tous été surpris par le contenu du programme. La première partie – qui je suis ? – exige un vrai travail d’introspection, de regard vers l’intérieur, d’analyse de ses forces et de ses faiblesses, toutes choses auxquelles ils ne sont pas habitués. Le plus souvent, les CV qu’ils amènent sont, disons, très standards, sans mentionner de compétences sociales ni de pitch de présentation.

Ils savent clairement qu’ils ne veulent plus. Et un peu ce qu’ils veulent, un job, des sous, la possibilité de voyager parfois. Gagner leur vie, être prêt à changer d’activité au besoin, à utiliser les nombreuses passerelles qui s’offrent à eux. En revanche, ils ne savent pas forcément à quoi ils aspirent intérieurement – par exemple ce qui leur ferait plaisir dans un nouvel emploi.

Visent-ils une nouvelle formation?

Pour une grande majorité, ce n’est pas le cas. Il semble en avoir assez des études. Il leur faut un travail dans une entreprise, avec une possibilité d’évoluer, surtout ne pas rester enfermé dans un couloir. Ils veulent des portes. Mais pour cela, ils doivent faire le pas – et les ouvrir!

Reçoivent-ils ce message?

Ils l’entendent. Ils l’intègrent en partie. Mais ils ont besoin d’en faire l’expérience. Nous travaillons sur le fait que durant l’apprentissage, toutes leurs activités étaient guidées, observées. Bref, qu’il y avait des garde-fous. Mais en tant qu’employé, cette sécurité disparaît. Une fois l’apprentissage terminé, ils voudront prendre des initiatives. Mais ils devront d’abord se calquer sur une structure existante et apprendre à y évoluer.

Que dire à l’entourage en cas de blocage?

Je n’ai pas de contacts avec les parents – je crois que c’est important de le préciser – car les apprentis viennent de leur propre chef. Cela dit, au delà des jugements que l’on entend fréquemment sur les générations, il appartient aux parents de s’informer, aux maîtres d’apprentissage de rester ouverts, aux directeurs des écoles de chercher les moyens d’améliorer les résultats.

A quoi sert le coaching dans cette situation?

Notre job, c’est de fournir un regard extérieur non jugeant et de demander – dans les situations de blocage – si l’on a déjà essayé ceci ou cela. Jusqu’à ce que l’on crée un déclic qui permette de soulager tout le monde. Si le jeune déclare qu’il veut garder des vaches à l’alpage, peut-être par provocation, à nous d’explorer cette idée d’animaux, de vie extérieure, de nature, de faire en sorte qu’il y trouve ce qui le fascine. Quel était son rêve d’enfant? Tout cela afin d’arriver à un match entre les aspirations personnelles profondes et l’activité professionnelle.

«Ces jeunes ne savent pas forcément à quoi ils aspirent intérieurement.»

Toute cette démarche pourra être réutilisée – puisqu’ils ont appris à le faire – lors des étapes suivantes de la vie. Nous le voyons avec les personnes qui ont subi ce que l’on appelle le burn-out. Jusqu’à un certain point, leur activité semblait leur convenir. Et à un moment donné, ce métier ne colle plus à leur personnalité. C’est la cassure. Lorsqu’on examine les morceaux – comme dans un mobile suspendu au-dessus des berceaux d’enfants, on voit que toutes les parties sont liées.

Quels sont les atouts de la méthode du Portfolio professionnel?

Elle a été créée et développée par Reinhard Schmid, fondateur de S&B. Je m’y suis formée et je la propose en Suisse romande. Je l’utilise dans ce cadre et au besoin avec d’autres clients. Cela se présente sous la forme d’un classeur contenant des exercices en ligne, un cahier d’exercices à remplir et des approfondisse­ments à travailler en séance de coaching, il y a beaucoup de choses à remplir, cela représente un travail important. Il y a des diagrammes, des couleurs, on va dans le détail, puis des synthèses, on apprend aussi à condenser le message.

On y détaille tous les domaines de vie, le passé est découpé en tranche d’âges, on réfléchit à ce qui a été important, et pourquoi. Le travail se fait sur les compétences clés, les compétences sociales, il y a des auto-évaluations. Les valeurs sont aussi explorées en détail, le rêve, la philosophie de vie, ce à quoi on ne renoncerait pas. C’est la base de la maison, une base que l’on pourra utiliser pour le CV, la lettre, la préparation de l’entretien et d’autres démarches à l’avenir en rapport avec la planification de carrière professionnelle. Enfin, il faut écrire à la main – ce qui représente un réel avantage du point de vue de l’activité du cerveau.

C’est ensuite le hit-parade des métiers choisis selon les domaines et les hiérarchies des postes. Puis, on condense ces choix jusqu’à aboutir à trois métiers. Chacune des étapes est argumentée. Et chaque étape passe par un travail qui réunit le groupe et ou chacun commente. Cette dimension est essentielle, car elle rend possible de nouvelles idées et permet aussi de créer des liens entre les personnes – donc des aides potentielles…

Pour le passage à l’action, nous sommes dans le concret, je fais quoi, comment vérifie-t-on, quels ont été les freins, étape par étape. Le participant définit lui-même ces étapes. S’intéresse-t-il à un métier? Ira-t-il voir par lui-même, via un entretien personnel avec un professionnel? Enfin, il faut écrire à la main – c’est un avantage du point de vue de l’activité du cerveau? Comment sollicitera-t-il son réseau? Comment puisera-t-il dans ses ressources?

«cette démarche pourra être réutilisée – puisqu’ils ont appris à le faire – lors des étapes suivantes de la vie.»

Vous a-t-on sollicitée pour des coachings complémentaires?

Oui, un premier cas pour le suivi du contrôle des démarches, des lettres de motivation, la façon de se présenter et la mise au point des étapes suivantes. Avec une deuxième personne, j’ai travaillé sur les simulations d’entretien, afin de se préparer au mieux – cela va jusqu’à l’habille­ment.

Le message personnel condensé de Caroline Perroud?

Si je sais qui je suis, ce que je sais faire, je peux dire en quelques phrases ce que je veux réellement pour mon avenir professionnel. Notre but, c’est de les faire sortir de cette bulle d’évidence afin qu’ils découvrent le monde en soi. Pour paraphraser Gandhi, je dirais que le grand voyage, en fin de compte, ce n’est pas le tour du monde, c’est de faire le tour de soi. Le plus beau moment, c’est lorsque je lis le scintillement, le sourire et le visage qui se détend. Je sais alors qu’à l’intérieur, le message est intégré.

Portrait et interview:

François Othenin-Girard

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