Publié le: 15 décembre 2017

Le paradis des deux frères bouchers

Boucherie Robellaz – Le secteur aimerait être mieux représenté au Parlement. Au final, les crises alimentaires se résolvent à l’avantage de l’agriculture. Les bouchers doivent gérer seuls les questions de société. Entretien avec la quatrième génération.

Après de longs mois lessivés par la thématique de l’innovation, de l’industrie 4.0 et du monde roboro-robotico-technologique, vanté ou haï «ad nauseam» dans l’actu et les microcosmes institutionnels, l’envie nous prend de visiter un petit fleuron classique au cœur d’une région un peu décentralisée.

Notre choix se porte sur la boucherie Robellaz à Yverdon-les-Bains, nichée dans la vieille ville. Un jeudi de novembre, nous y retrouvons Jean-Louis et Pierre-André Robellaz, deux frères représentant la 4e génération de cette entreprise familiale. Fameuse pour ses petits pâtés dont la recette subsiste envers et contre les campagnes de standardisation menées dans la branche. Les recettes ont été retravaillées par chaque génération. La famille Robellaz a même décidé de sortir de l’Association Charcuterie Vaudoise (la couleur verte et les petits plombs) pour ne pas ajouter trop de gras et de sel dans ses saucissons et saucisses aux choux. Pour l’heure, les petits pâtés vaudois sont baptisés «pâtés maison». Ces derniers sont cuits dans un petit moule en fonte de l’arrière-grand-père, à l’origine des moules d’une pâtisserie locale.

Ces deux gosses ont plongé dans cette passion le samedi matin en donnant un précieux coup de main à leurs parents. L’idée était de s’offrir, bien plus tard, un vélomoteur, selon l’adage parental que «tout se mérite» et que «l’argent ne tombe pas du ciel». Et ils l’ont fait: les deux frères se souviennent avec acuité du modèle «Trial» de la marque Cilo pour Jean-Louis (1972) et d’un Piaggio modèle «Ciao» pour Pierre-André (1976). Il a fallu trimer dur au service d’une génération qui ne plaisantait pas avec la valeur travail. «Chaque fin d’après-midi, nous donnions un coup de main pour nettoyer les moules, les plats, les frigos…»

Grand-père Louis: le charmeur

La discussion porte sur ces valeurs et les ancêtres. Leurs prénoms résonnent dans l’arrière-salle de la boucherie yverdonnoise. Tout en haut de l’arbre généalogique de la boucherie se situe l’arrière-grand-père Louis. En plus d’une boucherie, il avait également la responsabilité d’un dépôt de sel, un poste névralgique qui indique la confiance que l’on avait en lui. Son fils, le grand-père Louis junior, également boucher-charcutier, reprit la boucherie mais n’effectua sa maîtrise qu’à cinquante ans environ. Que sait-on de ce dernier? Portrait d’un ancêtre, vu par la descendance. «Je me souviens de mon grand-père Louis, raconte Jean-Louis. Il venait faire les pâtés, les rissoles, les croissants et parfois de très gros pâtés. Une fois par année, il venait avec l’amicale des aînés pour faire la cochonaille. Au plan du caractère, c’était un homme qui était à l’aise avec la clientèle – c’était un charmeur!»

Maman Elisabeth: la bûcheuse

Le récit des origines inclut aussi deux femmes, l’arrière-grand-mère Berthe et la mère Elisabeth. Sans leur dynamisme, cette boucherie n’aurait certainement pas connu une telle prospérité. «Ma mère a mené son activité durant 47 ans, relève Jean-Louis. Sa longévité professionnelle est considérable, elle nous aide encore énormément.»

Quid de la trajectoire de son paternel? «Mon père Philippe avait effectué l’école technique de Genève et une trajectoire militaire, il avait un temps renoncé à ce métier et à la maîtrise. Comme il avait aussi mené un apprentissage de boucher-charcutier à Aigle, les circonstances ont fait qu’il a aussi fini par reprendre la boucherie en 1974. Toutefois, son règne se termine abruptement avec son décès en 1996. Jean-Louis renonce à un emploi dans une autre entreprise et se lance avec son frère Pierre-André.

Choisir un métier: par passion

En représentant la quatrième génération, s’agissait-il pour eux d’un vrai choix? «J’étais attiré par le monde alimentaire et j’hésitais entre les métiers de boucher et de cuisinier, se souvient Jean-Louis Robellaz. C’est vrai qu’à l’époque, la cuisine était moins bien considérée. J’ai donc effectué mon stage à Aigle chez Roland Besançon. A l’époque où mon père est décédé, je commençais chez Vulliamy, une boucherie reprise depuis par Bell. Je m’apprêtais à y suivre une formation. Je travaillais à la chaîne, alors le choix était facile. Nous avons travaillé avec ma mère jusqu’en juillet 2017, date à laquelle j’ai repris la boucherie.»

Les effectifs actuels comprennent également une collaboratrice et un jeune qui a terminé son apprentissage et qui a commencé en septembre. Que transmettent-ils aux jeunes qui travaillent dans leur boucherie? «La passion du métier, cela veut dire à nos yeux que personne ne devrait choisir un métier pour choisir un métier. Ou par obligation. Ou parce qu’une place est libre. Se lever tôt le matin pour venir ici devait être un plaisir et cela dès le début.»

François Othenin-Girard

pâtés et politique

Image du métier et influence à Berne

Le métier de cuisinier profite depuis quelques années d’une bonne visibilité grâce aux émissions de télé-réalité et aux grands chefs hyper médiatisés. Qu’en est-il du boucher?

Quelle est l’image de la boucherie?

n Pierre-André: Le côté tablier plein de sang et métier sanguinaire est moins bien vu dans notre société. Le terme même de «boucherie», utilisé dans les médias, fait plus référence à une tuerie qu’à une profession honorable! Par chance, contrairement à la France et à l’Angleterre, il n’y a pas besoin de mettre des caméras dans les abattoirs, car la loi ­suffit.

 

Alors tout va bien en Suisse?

n Jean-Louis: Comme partout, il y a aussi des gâche-métier, également dans l’agriculture. Cela contribue à créer une mauvaise presse pour l’ensemble de la branche, mais les paysans ne perdent rien car tout leur est remboursé l’année suivante sous forme de subventions.

Pierre-André: C’est vrai et la crise de la vache folle s’est traduit par un volume énorme de ventes en moins. Mais la Confédération ne nous a été d’aucune aide. Ensuite, l’agriculture a touché 200 millions de francs, mais nous rien du tout.

Quel est votre poids politique Ă  Berne?

n Jean-Louis: C’est l’agriculture qui a pris le dessus. Elle et les représentants de la grande distribution décident et fixent tous les prix. Nous ne pesons plus rien face à eux.

Pierre-André: Un exemple le montre. Nous arrivons sur la période de Noël. Je trouve aberrant de faire un rabais de moins 30% sur l’entrecôte d’Uruguay qui passe de 78 franc à 56 francs du kilo. Nous proposons toute l’année une entrecôte suisse à 69 francs.

Quel est le paradis du boucher?

n Pierre-André: Un pays dans lequel il n’y aurait pas de véganes (rires).

 

FOG

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