Publié le: 24 janvier 2020

Le piège fiscal de l’OCDE

OCDE – A l’avenir, il ne serait plus possible pour les entreprises d’utiliser les failles du système fiscal pour éviter de payer des impôts ou pour les transférer vers des juridictions à (très) faible imposition.

La menace sur les PME suisses se précise avec cet ambitieux chantier de l’OCDE au centre duquel se niche un nouveau modèle fiscal…

Photo: Michael Podger/Unsplash

L’opinion publique semble s’accorder sur le fait que les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) doivent contribuer plus fiscalement. Mais, ce changement de paradigme proposé par l’OCDE n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Le troisième volet soumis à consultation par l’OCDE soulève encore beaucoup trop de questions.

Sous l’impulsion du G20, l’OCDE a décidé de donner un grand coup de sac au modèle économique traditionnel selon lequel la répartition fiscale internationale des bénéfices repose sur une présence physique des entreprises dans un Etat donné (siège de l’entreprise ou établissement stable). En ligne de mire, les entreprises de l’économie numérique sont visées – soit les Gafa tenues pour principales responsables de l’érosion fiscale des Etats.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont grandement facilité l’utilisation des failles du système, si bien que le Beps (Base Erosion and Profit Shifting) a consacré un plan d’action entièrement dédié à la recherche de solutions visant à relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique.

Distorsions Ă  craindre

L’OCDE prévoit ainsi de mettre en œuvre un instrument multilatéral – inévitablement complexe – permettant de modifier d’un seul coup toutes les conventions de double imposition couvertes. Or à ce jour, il en existe environ 3000. Le chantier initié par l’OCDE est donc très ambitieux, puisqu’il s’agit de trouver un consensus entre près de 130 pays d’ici à la fin de l’année.

En mars 2019, la première consultation menée par l’OCDE portait sur les défis soulevés par l’économie numérique. Et en novembre, la seconde concernait la proposition du secrétariat d’une «Approche unifiée au titre du Pilier 1». En décembre dernier, l’OCDE lançait une troisième consultation sur la «Proposition globale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition (Global anti-base erosion mechanism, ou Globe) au titre du Pilier 2».

En supprimant toute possibilité de transfert de bénéfices et en fixant un plancher pour la concurrence fiscale entre juridictions, le projet Beps pourrait provoquer de réelles (et nouvelles) distorsions de concurrence fiscale. La proposition Globe contient des règles qui nécessiteraient de modifier la législation interne des pays ainsi que les conventions fiscales.

Un appareil bien rodé

Les nombreuses questions soumises à la consultation laissent à penser que la définition et la clarification du concept même se feront sur la base des contributions des nombreuses expertises et réponses aux différentes consultations. L’appareil de l’OCDE est plus que rodé, puisque l’analyse et l’expertise collectées lors des consultations et des auditions au siège de l’OCDE permettront de finaliser le nouveau concept de paradigme fiscal.

Mais – et c’est le plus important –, ceci permettra également de faire valider auprès de la société civile ce nouveau paradigme fiscal. Autre-ment dit, on ne pourra pas rien reprocher à l’OCDE, puisque le nouveau paradigme ne sera que le fruit d’une intense coopération de toutes les parties intéressées.

Incertitudes pour les PME

Quoi qu’il en soit, la proposition Globe n’est pour le moment pas du tout aboutie. Et, rien ne garantit que les PME (ou du moins certaines catégories d’entre elles) ne soient pas visées. Il demeure à l’heure actuelle dans la phase de conception de grandes zones floues en ce qui concerne non seulement la détermination de la base d’imposition, la mesure dans laquelle les règles permettront d’agréger des revenus forte­ment ou faiblement imposés, mais aussi des questions relatives à la nécessité d’exceptions et de seuils.

Inégalités de traitement

L’idée d’un taux minimum paraît être encore très loin. Par ailleurs, quel que soit le taux minimum choisi, il y a fort à parier qu’il y aura de toute façon des inégalités de traitement fiscal entre des groupes d’entreprises et/ou des juridictions. De plus, si le critère de la taille devait s’orienter plus généralement sur la limitation du chiffre d’affaires mondial, il faudrait veiller à ce que ce seuil de chiffre d’affaires soit au mieux nette­ment supérieur aux 750 millions d’euros et qu’il ne soit en aucun cas revu à la baisse par la suite. Ce serait à peu près l’unique moyen pour éviter que des PME ne soient visées.

Alexa Krattinger, usam

Rectificatif

A propos de l’article paru dans la «Schweizerische Gewerbezeitung» et le «Journal des arts et métiers» de décembre 2019. Il s’agissait d’un sujet sur la motion 09.3619 «Conférence suisse des impôts. Rétablir son caractère officieux».

Madame la conseillère nationale Sylvia Flückiger-Bäni (UDC/AG) précise qu’elle seule en est l’auteure et non l’ex-conseiller aux Etats Rolf Büttiker (PLR/SO). Ce dernier s’est en effet contenté de la déposer au Conseil des Etats. JAM/réd

Pessimisme croissant sur fond de guerre commerciale entre la France et les etats-unis

Pour qu’une réforme comme celle que l’OCDE propose puisse fonctionner, il faut encore que le contexte international s’y prête. Et que le projet en question ne se trouve pas coincé comme otage dans une guerre commerciale. Ce qui semble bien être le cas. C’est ce thème que les médias ont traité ces derniers temps.

«Les espoirs d’un accord mondial avec des sociétés fiscales comme Facebook et Google ont été considérablement réduits avant une réunion plus tard ce mois-ci impliquant plus de 130 pays, ont déclaré plusieurs hauts responsables à POLITICO», cité par News 24. Qui souligne que ce pessimisme croissant à propos de la refonte de la fiscalité de l’économie numérique intervient alors que les tensions montent entre la France et les Etats-Unis sur les règles fiscales numériques de Paris, qui ciblent massive­ment les entreprises technologiques américaines. Les deux pays contribuent à diriger les négociations fiscales numériques au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). «Les doutes quant à la conclusion d’un accord mondial sur la taxe numérique ne cessent de croître, selon ce média numérique. «Les responsables américains se font de plus en plus entendre sur le grand nombre de propositions nationales des pays européens visant à imposer des prélèvements à l’économie numérique – efforts qui se sont principalement concentrés sur les géants de la technologie américains comme Apple et Amazon.» Les Etats-Unis ont des arguments. «Washington a déclaré qu’il imposerait 2,4 milliards de dollars de droits de douane sur les produits français, y compris sur les vignerons du pays, en représailles à la taxe sur les services numériques, et a menacé de faire de même avec les autres pays qui lui emboîtaient le pas. Le commissaire européen au commerce, Phil Hogan, a déclaré que le bloc de 28 pays soutiendrait Paris dans tout différend commercial avec Washington du pays.

JAM, avec les agences

Les plus consultés