Publié le: 5 novembre 2021

Le plaisir de la littérature romande

découverte – Les Éditions Montsalvens ont été fondées en 2016 par un ancien assureur. Francis Antoine Niquille s’est attelé à façonner la ligne des publications et à conférer une dimension régionale à cette maison d’édition. Membre de Swiss Label, il joue à fond la carte de la Suisse.

Qui dit Swiss Label pense souvent à des produits industriels ou dans une moindre mesure à des denrées alimentaires? Mais qui penserait à de la littérature? Francis Antoine Niquille s’est attelé à donner une ligne purement suisse à sa maison d’éditions. Cet homme pleinement engagé dans les jeux de mots avec la Fédération suisse de Scrabble, ancien assureur aux lunettes rondes et au ton direct et franc, caressait depuis longtemps le rêve de se lancer dans l’édition.

Amoureux des mots, il a fondé le 18 septembre 2016 les Éditions Montsalvens, pour lesquelles il définit une ligne éditoriale simple: «Il faut que l’auteur habite en Suisse romande ou alors que le texte ait un lien avec cette région.» Ces textes nous font donc revivre la Suisse romande par les mots, les descriptions et les émotions qui en découlent.

Le temps de la lecture

Francis Niquille y travaille de façon déterminée. Tout le monde le sait, le domaine de l’édition est dure. La concurrence est dure, notamment avec les maisons d’édition de France. Les marges sont très minces. Le succès est toujours lié au risque de se retrouver dépendant d’un auteur reconnu qui finalement pourrait tourner les talons. En fait, qui s’y lance doit savoir montrer ses propres marques distinctives pour pouvoir réussir à séduire des lecteurs dans un monde où le temps dédié à la lecture subit la concurrence farouche de l’image.

Les Éditions Montsalvens jouent la carte régionale et locale, ce qui est probablement une orientation payante, alors que la méfiance à l’égard de la mondialisation ne cesse de se généraliser. La désorganisation du commerce international suite aux mesures contre le Covid-19 pourrait-elle donc susciter un retour aux valeurs locales dans un monde marqué par l’admiration du village mondial? Est-ce que les lecteurs pourraient être plus séduits par des récits de ou sur la Suisse romande plutôt que de suivre, par exemple, l’enquête saisissante d’un Mbougar Sarr qui semble forcer les ventes en France?

Les Éditions Montsalvens se défendent admirablement. Elles proposent polars, essais, romans historiques, nouvelles et recueils de mots croisés. Les succès des polars de la collection Vanil noir montrent qu’il y a un lectorat qui souhaite encore faire vivre ou plutôt revivre la région à un autre rythme. On peut suivre avec l’auteur Pierre Battaglia les inspecteurs Décaillet et Roduit dans leur enquête «On a volé la vache à Firmin».

Comme l’indique le résumé, on y fait la rencontre de paysans rusés, de jeteurs de sorts et d’hommes politiques sans scrupules et de promoteurs véreux – le tout sur paysage de Suisse romande: une véritable enquête locale. Ou bien Laurent Eltschinger, dans Le combat des Vierges, qui présente avec brio une enquête pas très catholique avec l’inspecteur Jean-Bernard Brun.

Dans la région de Posat, les cadavres s’amoncellent et l’inspecteur va devoir revenir sur l’histoire de ce lieu de pèlerinage appartenant à la route de Saint-Jacques-de-Compostelle, pour enfin saisir le fin mot de l’histoire. Il y a de quoi réapprendre à vivre avec suspense et curiosité dans son propre pays. Les Éditions Montsalvens ont même réédité «Mon syllabaire» de Valentine Marchand, une façon d’apprendre ou plutôt de se souvenir de l’apprentissage des mots dans les années avant et après la Seconde Guerre mondiale. Les pages transpirent ici la vie et les habitudes d’un autre monde sur lequel nous avons construit.

Il enfonce le clou!

Mais les Éditions Montsalvens ne se concentrent pas seulement sur des histoires de Suisse Romande. Francis Niquille a le chic de chercher la perfection dans l’origine suisse. Ainsi, toute la production des livres est réalisée en Suisse, y compris l’impression et la reliure. Alors que la majorité de la concurrence gagne l’étranger pour obtenir des coûts moins élevés et atteindre des marges plus élevées, les Éditions Montsalvens persistent et signent en recherchant la source locale. C’est clairement une stratégie de démarcation. Francis Niquille enfonce le clou en choisissant même une police de caractères créée par un Suisse.

La suite logique, pour Francis Antoine Niquille, consistait à décrocher un label certifiant sa stratégie helvétique jusqu’au bout des ongles. Le label «livre suisse» s’imposait pour montrer la volonté de participer à la promotion des livres et des bonnes pratiques dans les réseaux littéraires de la Suisse romande. Mais pourquoi avoir alors choisi en plus le Swiss Label? En quoi l’emblème de l’arbalète apposée sur la couverture de ses livres pouvait prolonger cette stratégie de différenciation en faveur du local? Depuis quand le Swiss Label pouvait intéresser des activités finalement culturelles?

Tout simplement parce que l’arbalète bénéficie d’une reconnaissance particulière auprès de tous les consommateurs, qu’ils soient grands ou petits lecteurs de livres. En fait, presque tout le monde reconnaît ce label maintenant clairement établi en Suisse et sait lui associer la garantie d’une production ou d’un service réalisé en Suisse. Pour un lecteur, le Swiss Label sur un livre pourrait même sembler intrigant et donner envie d’y voir de plus près, donc d’acheter.

Rester suisse, simplement

Mais là n’est pas le principal argument de Francis Antoine Niquille. Développer une stratégie visant le tout suisse pour une maison d’édition entraîne des charges de coûts supplémentaires qui sont évidentes. Comment est-il possible de rester à flot, s’il n’est plus possible de bénéficier de l’impression à bon marché de notre voisin du Nord, par exemple. Il est important de savoir que le métier de l’édition en Suisse est également redevable des subventions pour se maintenir face à ses voisins, ces autres maisons d’éditions francophones, germanophones et italophones. Or, il est intéressant pour les autorités ou organisations qui versent des subventions de pouvoir justifier que celles-ci vont en majeure partie rester en Suisse. Dans le cas présent, le Swiss Label certifie que les subventions seront essentiellement dépensées localement ou en Suisse. Voilà un nouvel avantage par rapport à la concurrence.

L’objectif des Éditions Montsalvens serait même de partir en chasse gardée et de s’exporter en France voisine avec ses atouts locaux. Est-ce que les Français sauront se régaler des histoires d’un pays en apparence sans histoires? L’avenir nous le dira.

Mikael Huber,

directeur de Swiss Label

www.montsalvens.ch

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