Publié le: 12 mai 2021

Le spectre d’un nouveau paradigme fiscal menace

Fiscalité – Depuis plusieurs années, l’OCDE prépare des travaux pour trouver des solutions aux défis que pose la numérisation croissante de l’économie. Qui seront les perdants et les gagnants?

Certains Etats ont perdu du substrat fiscal du fait d’activités numériques délocalisées dans des économies super concurrentielles du point de vue de la fiscalité économique. Or donc depuis plusieurs années, l’OCDE prépare des travaux pour trouver des solutions aux défis que pose la numérisation croissante de l’économie.

«La question n’est donc pas si, mais bien quand cet accord global sera conclu.»

Les discussions autour d’un impôt minimum mondial sur les grandes entreprises vont bon train. Le vent tourne pour les Etats ayant de trop gros avantages concurrentiels fiscaux. Pour récupérer des recettes fiscales, certains grands Etats endettés n’hésitent pas à dicter en bloc via le G20 les nouvelles règles de concurrence fiscale internationale. D’ici juin 2021, l’OCDE souhaite parvenir à un accord sur les nouveaux principes d’imposition des grandes entreprises internationales. La définition même de «grande entreprise internationale» se base, pour le moment, sur une valeur seuil d’un chiffre d’affaires annuel dépassant 750 millions d’euros. Ce qui laisse présupposer que les PME pourraient aussi être visées.

Des travaux de l’OCDE, on distingue plusieurs piliers. Le premier pilier porte sur une redistribution des Etats hébergeant actuellement les activités numériques vers les Etats à fort potentiel de marché intérieur. Les discussions autour du pilier sont techniques, complexes et politiquement difficiles.

La Suisse, future perdante?

La Suisse compte un nombre important de sièges de sociétés internationales. Elle est potentiellement l’une des grandes perdantes. Toutefois, l’alternative consistant à devoir subir des taxes supplémentaires unilatérales par certains grands Etats serait beaucoup plus dommageable en termes de risques de double imposition et de bureaucratie supplémentaire. Le deuxième pilier des discussions de l’OCDE concerne l’imposition minimale susmentionnée des grandes entreprises. Les discussions relatives à ce deuxième pilier sont plus avancées et, poli­tique­ment, il peut être plus facile de parvenir à un accord entre les grands acteurs. Les effets négatifs pour la Suisse dépendent fortement du niveau de l’imposition minimale.

Transfert de revenus fiscaux en Asie et en Amérique

Selon les cantons, la charge fiscale ordinaire sur le bénéfice en Suisse est de 11,5% à 21%. La majorité des cantons sont en dessous de 16%, si bien qu’avec un taux d’imposition minimum global pouvant atteindre 12% pour la charge des sociétés par pays, la pression pour s’adapter en Suisse sera probablement limitée. Mais, l’effet de la pandémie sur les finances publiques et le changement de gouvernement aux Etats-Unis, la probabilité d’un taux d’imposition minimum nettement plus élevé a augmenté (15-20%). Cet élan protectionniste conjugué à des accords entre plusieurs grands Etats à fort potentiel de marché intérieur va se jouer au détriment de pays de petite ou moyenne taille favorisant plutôt l’innovation. Les grands perdants seront l’Irlande, Singapour, les Pays-Bas, le Luxembourg et, bien sûr, la Suisse qui compte un nombre relativement important de sièges de sociétés internationales. Le projet de l’impôt minimum intronise le principe de transfert de revenus fiscaux internationaux vers l’Asie et l’Amérique, ce qui ne pourra que se faire au détriment de la Suisse.

Il sera difficile de contrer une telle démonstration de force. Un impôt minimum mondial affecterait potentiellement et directement plusieurs centaines de sociétés ayant leur siège en Suisse, ainsi qu’un nombre beaucoup plus important de filiales suisses de sociétés étrangères. De manière indirecte, et comme l’écosystème entrepreneurial suisse est important, de nombreuses PME en subiraient les conséquences (impacts sur les emplois et les prix).

«La Suisse peut-elle encore se battre contre ce mastodonte?»

La question n’est donc pas si, mais bien quand cet accord global sera conclu. Autrement dit, la Suisse devra composer avec ce nouveau paradigme, recourir à des solutions compensatoires pour les entreprises (allège­ment au niveau des impôts) et innover et renforcer ses atouts en termes de localisation important pour les entreprises internationales (accès à un personnel qualifié, marché du travail libéral, environnement favorable à l’innovation, la stabilité politique et une qualité de vie élevée). Alexa Krattinger, usam

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