Publié le: 6 mars 2020

Le Tessin, réalité non insulaire

nouvelle génération – Parmi les nouveaux parlementaires qui débutent à Berne, Alex Farinelli (PLR/TI), également vice-directeur de la section tessinoise de la Société suisse des entrepreneurs (SSE). Il faut selon lui encourager et simplifier la transmission d’entreprises. Et mieux valoriser la formation continue.

Qu’est-ce que la situation dans laquelle les PME du Tessin se retrouvent actuellement nous apprend sur ce que vivent les petites entreprises en Suisse?

Alex Farinelli: La situation des PME au Tessin dépend beaucoup du secteur d’activité, il est clair que par rapport aux autres régions de la Suisse, notamment dans le secteur de l’artisanat, la concurrence directe des PME italiennes se fait fortement sentir.

Qu’avez-vous appris au plan personnel ces dernières années?

Qu’il est essentiel de s’engager dans deux domaines si nous voulons maintenir notre tissu entrepreneurial en bonne santé: premièrement, la formation continue devrait être mieux valorisée. Et deuxièmement, la succession d’entreprise doit être encouragée et simplifiée.

Le Tessin et la Suisse ne sont pas des îles au milieu de l’Europe. La concurrence avec l’Italie, l’Allemagne et la France, des pays de l’Est, a mis les prix et les marges des PME sous forte pression. Comment tirer son épingle du jeu?

D’une part, nous devons investir dans les conditions-cadres qui garantissent notre compétitivité (innovation, formation, administration légère, etc.). Et d’autre part, veiller à ce que ceux qui viennent travailler sur notre territoire respectent nos règles. C’est-à-dire avec des contrôles et des sanctions éventuelles en cas de non respect.

Le Conseil fédéral veut limiter le remboursement de la TVA perçue indûment sur la redevance radio et télévision (impôt sur les médias) aux ménages privés. L’usam exige que les entreprises soient elles aussi indemnisées – comme l’a voulu le Parlement. Quel est votre point de vue sur cette question?

En principe, je suis d’accord pour qu’une taxe qui n’était pas due soit remboursée, mais cela doit bien sûr être fait de manière intelligente et lorsque cela a un sens d’un point de vue pratique.

Quelle est votre position sur l’initiative de limitation (IDL)?

L’initiative soulève un problème en particulier dans les régions frontalières, comme le Tessin, où les salaires sont soumis à la pression de la concurrence des travailleurs étrangers qui peuvent vivre dans un pays et travailler dans un autre. Cela dit, il est clair que ce problème n’est pas résolu à l’heure actuelle, mais il est tout aussi clair que la Suisse doit maintenir d’excellentes relations avec l’Europe, et les accords bilatéraux en sont la base. L’initiative doit donc être rejetée, mais nous devons chercher des solutions réelles aux problèmes qui existent. Peut-être en donnant une base fédérale à des instruments d’intervention qui peuvent être appliqués dans ces régions.

Cette situation de concurrence transfrontalière marquée a-t-elle conduit selon vous certaines PME à se montrer particulièrement disruptives, à bousculer les habitudes, voire à innover?

La concurrence qui s’est développée a non seulement toujours produit des phénomènes sains, c’est-à-dire ceux qui poussent à trouver des solutions nouvelles et meilleures, mais aussi à mener une guerre des prix qui pénalise les investissements –comme dans les infrastructures, les machines et la formation – en sacrifiant le long terme sur l’autel du court terme. Ce phénomène peut produire des dommages importants et s’est effectivement produit dans certains secteurs.

Quels sont Ă  votre avis les domaines oĂą le Tessin, comme le reste de la Suisse, peuvent jouer leurs meilleurs atouts?

Certainement en matière de formation et d’innovation, ceci avec un Etat qui est un partenaire à côté de l’économie. En ce sens, essayer d’être un peu moins bureaucratique et un peu plus pragmatique que nos concurrents directs représenterait déjà un grand avantage. Ensuite, pour le Tessin, je pense que le fait d’être un pont physique et culturel avec l’Italie, en plus de créer quelques problèmes, est une énorme opportunité pour tout le pays.

Le destin de l’aéroport de Lugano, sur le fil du rasoir depuis si longtemps, tour à tout sauvé puis condamné, illustre-t-il quelque chose de propre au Tessin? Ou la réflexion concerne-t-elle aussi le reste de la Suisse, à l’image de l’aérodrome de Belp à Berne?

Le monde de l’aviation est certainement un secteur qui a été révolutionné à plusieurs reprises au cours des dernières décennies: nous avons commencé avec des sociétés monopolistiques nationales, puis ce fut l’explosion des sociétés régionales à bas prix. Actuellement, la révolution verte pourrait présenter d’autres surprises. Dans ce contexte, il est clair que les infrastructures, où il est nécessaire de pouvoir planifier les investissements, souffrent particulièrement. Je crois qu’il s’agit d’une dynamique commune à tous les aéroports régionaux, non seulement en Suisse mais aussi en Europe.

Que pensez-vous du projet de parc technologique ferroviaire de Bellinzone? Quelles sont ses chances de faisabilité?

Tout d’abord, je pense que nous sommes confrontés à une opportunité extraordinaire, il n’est presque jamais possible de repenser, au centre d’une ville, une surface de plus de 100 000 m2. Bref, une occasion unique de décider ce que sera l’avenir de la ville de Bellinzone. Le parc technologique offrira une grande valeur ajoutée et je pense qu’il peut également être réalisé grâce aux excellentes connexions garanties par AlpTransit.

Le groupe de luxe Kering (Gucci) transfère sa filiale Luxury Goods International en Italie et supprime 150, puis 300 postes sur les 800 concernés. Que peut faire le Tessin pour lutter contre l’érosion de l’emploi?

Malheureusement, ces départs sont dus à de véritables guerres entre Etats qui luttent pour obtenir le plus de ressources fiscales possible. Il ne s’agit pas en fait de «batailles» fondées sur l’équité ou l’éthique, comme la gauche veut souvent le croire, mais simplement de la défense des intérêts nationaux. Le Tessin et la Suisse, si l’idée est de maintenir les emplois et les recettes fiscales, devront continuer à être compétitifs dans divers domaines, avec une fiscalité légère, une administration publique efficace et une formation professionnelle à la pointe. Ce faisant, la Suisse et le Tessin devront éviter d’être trop condescendants face à certaines attaques lancées par certains Etats étrangers. Bien entendu, les accords bilatéraux, qui sont un élément clé pour faire venir en Suisse des activités économiques du reste de l’Europe, doivent également être défendus.

Le rĂ´le de la promotion Ă©conomique doit-il ĂŞtre revu au Tessin? Et en Suisse?

Au fil des ans, la promotion économique a évolué, aujourd’hui nous essayons principalement de stimuler l’innovation et d’accroître la compétitivité sur les marchés. Je crois que cette voie est la bonne, sans oublier, bien sûr, que ce n’est pas seulement l’Etat qui détermine les conditions-cadres pour le bon fonctionnement de l’économie, mais aussi l’économie elle-même. Si l’on pense, par exemple, à la formation professionnelle, les entreprises elles-mêmes jouent un rôle central.

Qu’attendez-vous actuellement de la Berne fédérale par rapport au Tessin? Et par rapport à l’ensemble de la Suisse?

J’attends simplement de pouvoir écouter et comprendre que le Tessin, du fait de sa position au milieu d’une région d’environ 10 millions d’habitants avec environ 500 000 chômeurs, vit vraiment une situation particulière et a donc des besoins différents. En substance, je voudrais que le fédéralisme, qui est le principe fondamental de notre système, soit également appliqué en tenant compte du fait que tous les Suisses ne vivent pas dans les mêmes situations. Ensuite, bien sûr, c’est à nous, les Tessinois, de pouvoir faire comprendre nos besoins spécifiques.

Que penser de la représentation des forces économiques vives du Tessin dans la politique fédérale et notamment en lien avec le conseiller fédéral Ignazio Cassis?

Le fait qu’un conseiller fédéral connaisse la réalité de notre région est certes important, mais cela ne suffit pas encore pour obtenir des résultats. C’est toujours l’ensemble du collège qui décide!

Si vous pouviez changer l’image de votre canton – et de la Suisse – que feriez-vous?

Je voudrais essayer de changer cette image du Tessin qui se plaint toujours. Malheureusement au fil des années nous avons été un peu perçus de cette façon. Je pense que c’est dommage, parce que je crois que le Tessin est vraiment une terre de grandes opportunités pour tout notre pays: des chances qui ne sont pas toujours perçues et valorisées. Peut-être que je changerais la vitesse de réaction de la Suisse dans une dynamique globale qui évolue de plus en plus vite.

Interview: François Othenin-Girard

TRAJECTOIRE

«Né le 16 décembre 1981, j’ai toujours vécu à Comano. J’ai obtenu une licence en économie (Zurich et Lugano) et un master en économie et politique internationale. Pendant mes études, j’ai travaillé pendant 10 ans au Manoir de Vezia (qui, au début, s’appelait encore Innovation). Sur le plan professionnel, j’ai rejoint Corner Banca en 2009, m’occupant de l’organisation interne. Puis un an plus tard, en 2010, je suis devenu secrétaire cantonal du PLR tessinois, avec la responsabilité, à partir de 2014, de directeur de la publication ‹L’Opinione Liberale›. Depuis juin 2015, je travaille pour la section tessinoise de la Société suisse des entrepreneurs (SSE), dont je suis le directeur adjoint depuis 2017.»

www.alexfarinelli.ch

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