Publié le: 5 juin 2020

Les aléas d’une étatisation rampante

FORMATION PROFESSIONNELLE – Membre de la Chambre suisse des arts et métiers, Jean-Pierre Wicht revient sur la transformation sémantique qui a conduit l’apprenti, autrefois jeune employé de l’économie, à devenir aujourd’hui jeune élève de l’instruction publique.

Aujourd’hui, grâce aux efforts des patrons et au repositionnement initié par le conseiller fédéral PLR Pascal Couchepin, l’image de l’apprentissage est porteuse de réussite, d’insertion pour les jeunes et d’intégration pour les étrangers en particulier, de lutte contre le chômage. Tous les pays nous envient cette filière et tentent de l’imiter.

Pourtant, pendant longtemps, les partis de gauche ont combattu la formation professionnelle (FP) qui laissait trop de place aux patrons et à l’économie, lui préférant la filière universitaire, vers laquelle ils désiraient orienter le maximum d’étudiants. Pour eux, la voie professionnelle n’était qu’un pis-aller et ils déploraient le faible taux d’universitaires de la Suisse en comparaison internationale.

Au début des années 2000, le groupe «A Propos» avait rédigé un cahier de 44 propositions pour revaloriser la formation professionnelle, qui avait été présenté dans les locaux de la Fédération vaudoise des entrepreneurs, sous la direction à l’époque de M. Jacques Guignard.

Dans la salle, un syndicaliste avait été délégué pour dénoncer l’ignominie des employeurs qui profitaient des apprentis. Peu après, la responsabilité de la FP était passée du Département de l’économie à celui de la formation, actant la transformation sémantique de l’apprenti, autrefois jeune employé de l’économie devenu jeune élève de l’instruction publique.

La position de la gauche a changé du tout au tout depuis qu’elle a compris que la FP était chère au cœur des Suisses et qu’il était bon de s’y rallier. Dès lors, elle multiplie les interventions à son sujet. Lors de la dernière session parlementaire, le conseiller national socialiste Matthias Aebischer a déposé une motion pour que les diplômes de la FP supérieure soient revalorisés et appelés bachelor ou master professionnel.

Heureusement, le Conseil fédéral s’est montré peu convaincu par cette proposition qui tendrait, déplore-t-il, à rapprocher la FP du système académique, ce qui est une vieille antienne de la gauche. Heureusement au niveau fédéral, et c’est la sagesse de notre pays, le Département de l’économie réunit toutes les filières de formation y compris la recherche.

Une initiative dangereuse

Au gré de la crise du Covid-19, la conseillère d’Etat socialiste vaudoise, Cesla Amarellle (PS), le conseiller d’Etat PLR Philippe Leuba et le directeur de la Fédération vaudoise des entrepreneurs, Roger Zünd, annonçaient qu’un fonds de 16 millions avait été débloqué pour payer la moitié du salaire annuel des apprentis et encourager ainsi les patrons à en engager.

L’initiative, outre qu’elle ne répond pas au vrai problème des entreprises qui est la charge de travail plutôt que les coûts, est dangereuse dans son principe. Cette allocation de la moitié du salaire de la première année représente une somme de l’ordre de 5000 francs, ce qui aura sans doute peu d’influence, car les vrais patrons sont plutôt fiers d’avoir, comme le vice-président de l’USAM, formé 45 apprentis, ou de bénéficier de l’image d’entreprise formatrice. En revanche, philoso­phiquement, l’entrée du financement par l’Etat n’est pas innocente. Il pourrait amener à une modification de la répar­tition entre la présence en entreprise et la présence en école professionnelle par exemple.

Le couteau par le manche

Ayant présidé durant plus de 10 ans le Centre d’enseignement professionnel des métiers à Morges (CEPM), qui réunissait plus de 3000 apprentis du gros-œuvre, du second œuvre, des métiers techniques et des métiers verts, j’ai pu constater que les échecs dans les métiers du chauffage, du sanitaire et des horticulteurs atteignaient 50%.

La ministre vaudoise en charge de la formation à cette époque n’avait cesse de dire qu’il fallait baisser les exigences. Les associations professionnelles répondaient que l’on ne peut pas facturer aux clients le travail d’un CFC qui n’a pas les compétences requises. Qu’en sera-t-il après la forme de subventionnement qui vient d’être initiée? Que pourront dire les patrons? Qui tiendra le couteau par le manche?

Jean-Pierre WICHT,

membre de la Chambre suisse

des arts et métiers.

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